Quelle capacité à se mettre - à nous (re)mettre dans la tête d'enfants, d'adolescentes ! Au début de ce livre,
Elena Ferrante m'a impressionnée par sa magistrale relation de l'enchaînement des pensées qui saisissent Giovanna, après le choc des paroles de son père, entendues à son insu, par la description de la descente aux enfers où ses pensées la mènent, de l'angoisse dans laquelle sombre cette toute jeune adolescente. Giovanna est tellement sans défense face à ses émotions, au "film" qu'elle se raconte... En fait, je me suis reconnue (et m'en suis trouvée tout émue et reconnaissante) : alors c'est peut-être que c'est une caractéristique de cet âge ?
Elena nous emmène magistralement, comme elle l'avait fait dans l' "amie prodigieuse", dans les méandres des états d'âme de jeunes filles.
On prend alors la mesure de leur héroïsme : Giovanina, en cherchant à rencontrer sa tante Vittoria, cherche à rencontrer, affronter... le monstre.
On ressent à quel point c'est une question de vie et mort.
Je dois dire que, en attaquant ce livre, j'étais un peu alléchée par la promesse du titre :
Elena Ferante va prendre le point de vue d'une adolescente pour nous faire voir en quoi la vie des adultes peut effectivement être mensongère.
J'y ai trouvé un peu cela, mais finalement, surtout, tout autre chose.
Car le roman comprend deux parties. Dans la première, Giovanna observe, évalue la vie et l'attitude de ses parents, allant chercher, pour mettre à l'épreuve ses anciennes idées et pour confirmer son récent dégoût, le point de vue de la tante honnie par ses parents. Dans la seconde partie, Giovanna se met à vivre par elle-même à son tour ; se met à faire ses propres expériences, à faire ses choix. Et c'est nous, cette fois qui l'observons...
Surprise !
Alors que, dans la première partie, on adhère au point de vue impitoyable de Giovanna et même de Vittoria (pureté de l'enfant contre mensonge de l'adulte, humanité et sincérité de la femme du peuple contre égoïsme et appât du gain dissimulé derrière la sophistication intellectuelle et l'ascension sociale qui l'a accompagnée), on se surprend à penser, dans la seconde partie : "mais est-ce que Giovanna et ses amis ne sont pas en train de suivre le même parcours que les personnages du monde de ses parents ? Giovanna n'est-elle pas en train d'emprunter le chemin de la trahison ? Ne se laisse-t-elle pas émouvoir par un "séducteur" du même acabit que son père - et beaucoup plus vieux qu'elle ? Est-ce que Giulia, la maîtresse inquiète du brillant Roberto ne fait pas penser à la mère de Giovanna, incapable de tourner la page de l'homme à la carrière finalement établie qui l'a éblouie, dont elle était dépendante affectivement et matériellement? Est-ce que Vittoria n'est pas un peu la folle méchante que décrivait les parents - pas si dépourvue de fausseté ?"
L'idéal en vedette en première partie (idéal d'amour, surtout) ; l'apprentissage de l'amour "en vrai" dans la seconde.
Avec, comme l'ont fait remarquer plusieurs babelionautes, cet autre moment de bravoure d'Elena ferrante dans l'une des dernières scènes : l'auteure nous conduit loin, loin de tout romantisme, en relatant le moment qui est réputé le plus important de la vie d'une jeune fille, en en faisant un moment tellement cru et trivial, telle que Giovanna l'a elle-même voulu... mais rendu beau finalement par le partenaire balourd et médiocre qui se révèle d'une incroyable délicatesse et simplicité.
Ces babelionautes disent aussi qu'
Elena Ferrante écrit un roman initiatique, le récit du passage dans l'âge adulte. Et je suis d'accord.
Mais comment grandir, forger son caractère, son estime de soi, dans ces relations avec des hommes de 10 ans plus âgés, pratiquement établis socialement ?
A aucun moment cette différence n'est interrogée, encore moins critiquée par l'adolescente à la critique pourtant si à fleur de peau, ni nulle part par l'auteure.
Merci en tous les cas à
Elena Ferrante de nous replonger dans ce que, peut-être, nous avons été ; de ce que vivent intérieurement en ce moment-même, peut-être, nos ados.
Quel talent !
Le livre est intéressant également par son évocation du milieu intellectuel universitaire - où les idées comptent manifestement peu, comparées à l'aura que procure la virtuosité intellectuelle et la carrière (les intellectuels d'extrême gauche ou catholiques sont présentés sur le même plan).
4 étoiles seulement peut-être, à cause du grossissement sur un tout petit milieu seulement - en comparaison avec la saga de l'"amie prodigieuse" qui fait voir, non seulement l'évolution et la situation des fillettes, jeunes filles puis femmes de l'Italie contemporaine, mais aussi toute la société italienne, socialement, politiquement, sur plusieurs décennies. 4 étoiles seulement par nostalgie de l'incroyable ampleur de cette saga, capable pour autant de cohabiter avec la même description minutieuse du monde intérieur des personnages féminins, notamment dans le très jeune âge.