Bonjour à tous !
Tout d'abord, je dois préciser qu'il s'agit d'un SP, chose que je n'accepte plus habituellement, mais Alain m'a dit que si le recueil ne me plaisait pas, je pourrais toujours l'utiliser pour caler un meuble (ou quelque chose dans le même esprit), bref, il m'a convaincu avec son humour, on oublie souvent l'humour pour convaincre les gens.^^
Son recueil m'a fait penser à de la poésie moderne, le jeu sur le rythme d'un
Queneau, la sensibilité et la simplicité d'un
Prévert. J'ai beaucoup aimé comment la drôlerie pouvait parfois cacher un désespoir à fleur de peau, comme le rire forcé d'un clown au coeur brisé. Ce sont des
poèmes qui s'interrogent sur la modernité, sur le délitement des relations qui peut en découler, certains sont aussi des
poèmes sociaux, qui parlent de l'absurdité du travail, de déclassement. Il y a aussi beaucoup de
poèmes sur l'amour, sans mièvrerie, la peur d'empiéter sur l'autre, la délicatesse des premiers émois. Je n'ai jamais été bonne pour parler de poésie, je vais donc vous partager mes préférés :
« Dans le petit parc des années 1990 avec ma fille et mon chien… Nous nous sommes reconnus. Un banc pour deux avec Alan qui m'a dit trois fois avoir les mains propres tellement il n'en serre plus. Il a voulu que j'aie cinquante-cinq ans avec lui. le temps de trois clopes, nous nous sommes faits nos morts en commun et j'ai aussi constaté qu'il avait de plus belles dents que moi. Les SDF reconnaissent les oiseaux. »
Le chiffre trois sert à la fois à montrer la solitude d'Alan, une sorte de litote paradoxalement insistante — « j'ai les mains propres tellement je n'en sers plus » = je suis seul, je ne veux pas le dire tel quel (peut-être pour ne pas affronter la dureté du constat) mais je le répète 3 fois (pourquoi trois ? On extrapole, mais on pourrait penser à Pierre qui renie Jésus trois fois, et donc le trois pourrait représenter l'abandon — l'abandon de la société). Mais 3 sert aussi à montrer la durée, « le temps de trois clopes », manière plus prosaïque et imagée d'indiquer le temps passé avec Alan, ce temps court et long (trois clopes, c'est entre 15 minutes et une demi-heure, c'est long pour une connaissance, et court pour un proche, ce qui peut indiquer la nature de la relation) permet de dire l'essentiel. Autre poème :
« Une queue de grands-mères à la boucherie continue de manger de la viande fraîche pour montrer au monde qu'elles sont bien là. C'est grâce à elles que les villages vivent encore. Elles viennent chercher la vanne salace et le sourire de l'artisan, ou alors, le clash entre copines en faisant leurs courses autour de l'église. Je me suis assis à côté de l'une d'elles pour attendre mon tour ; après elle, nous avons échangé deux points, que la vie était belle et que nous étions mieux assis, une queue de grand-mère à la boucherie… »
J'aime particulièrement l'épanadiplose (tu la sens ma grosse épanadiplose ?) dans celui-ci qui va du général au particulier, des grands-mères pour se pencher à ces grands-mères-là, on va les détailler et les humaniser, et la fin qui suit le mouvement inverse, du particulier au général, comme pour mieux inviter le lecteur à se pencher sur « ses »grands-mères à lui, à chercher le particulier dans son environnement, à détailler et humaniser les siennes, et pourquoi pas discuter avec.
Voilà donc un recueil que je vous recommande, « ça se lit en une demi-heure sur les chiottes » dit modestement l'auteur. Peut-être. Mais ça reste en nous plus longtemps.