Original ce roman l'est par la forme et par le fond. Par le fonds d'abord. C'est le premier roman implanté dans l'univers du "street art". Mais on se tromperait grandement en le considérant comme un autre roman de banlieue concocté pour des trentenaires blasés en mal d'exotisme. La nuit du tagueur ne se contente pas de décrire les codes d'honneur des bandes de grapheurs, les crew ; leurs défis téméraires qui les conduit à grapher dans les lieux les plus insolites comme l'un des protagonistes qui tague une tour de télécommunications du Ministère de la défense ! Il va plus loin en interrogeant les liens que ces groupes entretiennent avec la théâtralisation de leurs propres noms et plus encore avec l'image qui la sous tend. du coup, c'est une méditation sur les tensions éternelles entre art populaire et art institutionnel qui nous est proposée. Qu'est-ce qu'une oeuvre d'art ? Qu'est-ce qu'un artiste ? Mais aussi ce qu'on appelle réalité?
Pour répondre à ces questions,
Nathanaël Fox met en scène Richard Killroy, peintre en pleine crise existentielle, son fils David de 17 ans, proche d'une crew de tagueurs, dont l'un des membres, son meilleurs ami , s'est fait sauvagement assassiner. David veut démasquer l'assassin et entraîne son père à sa suite. Dans cette course poursuite, Richard découvrira un univers qu'il ne soupçonne pas et dont la violence surgit sans crier gare, comme les émeutes de la Seine Saint-Denis en 2005 qui servent d'arrière scène au déroulement de l'action.
D'étranges personnages hantent les terrains vagues comme ce Xan, maître invisible, ou Gap, le tagueur-des-galeries mais le jeu en ligne auquel s'adonnent les membres de la crew, est plus étrange encore et ce d'autant plus que quelqu'un a mystérieusement inversé les règles. Comme si le réel et l'imaginaire avaient permuté. C'est l'épreuve ultime à laquelle Richard dans sa quête éperdue, sera confronté : il devra affronter son double en un combat singulier pour sauver la vie de son fils sacrifié tel Isaac.
Mi polar, mi roman d'apprentissage, la nuit du tagueur dont le titre évoque celui d'un film-culte autrement envoûtant, croise les genres pour mieux révéler le chiffre qui est coeur de tout entreprise artistique. Et le chiffre de ce roman renvoie à son architecture même laquelle est tout entière contenue dans le poème inaugural un peu comme
La lettre volée d'
Edgar Allan Poe.
Chaque vers de ce poème acrostiche sera repris en titre dans la soixantaine de chapitres brefs qui scandent ce drame. Ce qui donne à l'ensemble une unité exceptionnelle qui permet au roman de déployer en rhizome l'imaginaire dont il est porteur. Et cet imaginaire prolifère, surabonde. Dès lors tout se passe comme si l'action venait en appoint à une histoire déjà écrite comme dans les textes sacrés.
Oeuvre ambitieuse, singulière et profondément originale, La nuit du tagueur appartient à cette nouvelle lignée de fictions qui, loin du tohu bouhu médiatique, font bouger les lignes de l'imaginaire. Soyez parmi les premiers à le découvrir. Et répandez le bruit autour de vous. A bon entendeur, salut