Nuit soudaine.
Mon coeur un instant s'est tu.
Une gerbe de brandons catapultés contre ma rétine, tourbillon de formes incandescentes, en pâles rémanences vont s’affaiblissant.
Ainsi, condamné à la nuit.
Narines saturées de l'odeur de moisissure, l’oreille obsédée du murmure de l'eau qui suinte et infuse goutte à goutte dans mon crâne sa rumeur d’océan.
J'imagine au-dehors la puanteur des charognes, ruines et silence, un monde dévasté et, si dans le feu, la flamme et la lueur aveuglante ils n'ont pas tous été vaporisés au ciel, des hommes, des animaux, défigurés, une morgue empoisonnée d'effluves corrosifs.
Demeurer dans la nuit pour toujours. Manger encore, tracer à tâtons peut-être des signes dont seule ma main connaîtra, un bref instant, le chiffre. Perdre le souvenir de la lumière; n'avoir plus d'imagination que de la nuit où pâlissent les spectres.
Il me faudra m'inventer des souvenirs, des amours, des crimes, des deuils de nouveau, desquels enfin pouvoir peut-être souffrir, jouir et dans ma nuit éternelle me divertir.
Que de temps encore!
Je confesserai à voix basse dans l'immense et sourde oreille du silence un chagrin d'amour, les tourments de la jalousie...
Dans l'imagination de nuits, fuir ma nuit et dans mon lit glacé conjurer la froideur d'une amante intangible...
Mais quel crime, quel deuil, quel amour, même idéal, vaut un tel entombement? Il y a devant moi une nuit immense et sans faille: quel amour, quel deuil, quel crime pourra la remplir toute?
Peut-être n'ai-je fait que rêver le fracas des avions volant si bas sur l’horizon et la nuée sombre à l’occident. Dehors, le jour m'aura attendu; dans le verger les poiriers seront en fleur, et renaîtront pour la centième fois les pivoines de mon arrière-grand-mère. Chaque année parmi les ronces je me souviens m'être mis en quête de leur berceau, et à contempler leurs têtes rondes et lourdes déjà avant que d'éclore, avoir éprouvé effroi et haine.
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