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sur 1507 notes
C'EST FORT ET C'EST BON !
Non, non, non. N'en croyez rien, mon incipit n'est pas une énigme dont la solution serait : ÉLÉPHANT, mais bien un qualificatif pour ce fantastique bouquin. Merci Romain Gary pour ce moment de bonheur littéraire, l'un des tout meilleurs souvenirs de lecture qui me reste après bien des années d'exercice (j'hésite à le mettre dans mes livres pour une île déserte).
C'est tonique, c'est bien écrit, il y a beaucoup de personnages avec des profils et des psychologies variés.
L'histoire se déroule dans les années 1950 dans feu l'A.E.F. (Afrique Équatoriale Française). Gary nous peint le portrait de ces baroudeurs tous un peu fatigués de l'humanité et qui ont décidé de s'exiler plus ou moins volontairement dans une colonie bien reculée où il n'y a à peu près rien à faire ni à gagner mais où l'on est peinard.
Tout commence à aller de travers quand un gars plus têtu et plus accroché à un idéal que les autres, Morel, décide de s'engager dans une lutte pour la sauvegarde des éléphants, victimes de véritables tueries, aussi bien par les colons blancs que par les populations locales. Tant que Morel reste dans le registre de la pétition, tout le monde lui rit au nez et le renvoie avec une tape dans le dos. Un jour, Morel en a marre et décide d'utiliser les armes contre les chasseurs d'éléphants et d'incendier les dépôts d'ivoire. Il est rejoint dans le "maquis" par des personnes aux intérêts divers.
L'administration coloniale, toujours soucieuse de sa propre tranquillité (voir à ce propos le livre de Multatuli "Max Havelaar ou les ventes de café de la compagnie commerciale des Pays-Bas"), sort soudain de sa torpeur pour connaître la peur. Les autorités pensent qu'il s'agit d'une manoeuvre politique de la part des indépendantistes...
Je ne vous en dit pas plus. Mais l'auteur sait nous faire vivre et partager les visions et les attentes de chacun de ses personnages avec une acuité merveilleuse. L'écologie est la colonne vertébrale de l'ouvrage et en ce sens, il est également remarquable car c'était l'une des toutes premières fois. de plus, le propos n'a pas pris une ride même si l'A.E.F. n'existe plus et que Fort Lamy s'appelle désormais N'Djamena.
Un livre universel à mettre entre toutes les mains, mais ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Quel chef d'oeuvre! J'ai dévoré Les racines du ciel en quelques jours, je l'ai adoré du début à la fin. Et ce fut une agréable surprise, je ne m'attendais pas à un tel accomplissement. L'auteur, Romain Gary, m'a franchement épaté.

À peine sorties de la deuxième Guerre mondiale, les nations occidentales ont repris leurs vieilles habitudes : exploiter les ressources du monde à leur profit peu importe les conséquences. Peu s'intéressent au sort de l'Afrique, encore moins des éléphants africains. Sauf Morel. Cet homme, d'abord sous-estimé, presque inconnu, deviendra peu à peu l'ennemi numéro un. Administrateurs coloniaux, chasseurs, contrebandiers, jésuites, chef de tribu… tous s'entendent pour dire qu'il dérange.

En tant que lecteur, on ne peut que s'émouvoir du sort des éléphants et même de ce pauvre Morel, un idéaliste luttant presque seul contre un monde cruel.

Gary a réussi à décrire avec réalisme tous les enjeux. Il a su cerner et analyser la situation géo-politique de la région (l'Afrique équatoriale française) et à insérer son histoire dans une autre histoire encore plus grande. L'opinion publique américaine, les intérêts des pays arabes en pleine décolonisation, ceux de l'URSS. Tout y passe. Il n'y est plus question que d'éléphants et de préservation de l'environnement, c'est de la situation du monde entier qu'il s'agit.

Surtout, l'auteur a réussi à expliquer, à rendre accessible son histoire malgré ces enjeux complexes. de plus, le nombre élevé de personnages secondaires, malgré mes craintes, n'a pas constitué une trop grande difficulté. Peut-être le fait que chacun représente souvent un enjeu particulier y joue un rôle. Dans tous les cas, on s'y retrouve facilement dans cette galerie impressionnante mais aussi touchante et crédible.

Bref, un roman qui parle d'espoir et que je recommande vivement!
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Il faut sauver Babar des barbares.
Cette causticité n'aurait pas été du goût de Morel, personnage central de ce roman, qui fit de l'interdiction de la chasse à l'éléphant dans l'Afrique Equatoriale Française des années 50, sa raison de survivre.
A défaut de prendre le maquis, l'homme accusé de vouloir changer d'espèce prend racine dans la brousse après s'être rapidement rendu compte que les pétitions étaient aussi efficaces pour sa cause que l'arrosage sur des plantes en plastique.
Morel s'attaque aux intérêts des chasseurs et des trafiquants d'ivoire. Ses exploits sont relayés par la presse et l'homme insaisissable devient un mythe. Des révolutionnaires en herbe, foetus d'apprentis dictateurs, cherchent à l'instrumentaliser, la population locale qui se nourrit de la viande des pachydermes et qui revend l'ivoire ne l'accueille pas à bras ouverts, l'administration coloniale en fin de course pourchasse ce fauteur de troubles et les prêtres ne comprennent pas cette obsession pour la sauvegarde des animaux alors qu'il y a tant à faire pour l'homme. Il Dans ce zoo humain, Morel devient l'éléphant qui se balade dans un magasin de terres cuites.
Dans son combat, l'ancien déporté dans les camps nazis est accompagné de baroudeurs lassés de la condition humaine. Il y a Minna, hôtesse de bar allemande violée à la fin de la guerre à Berlin par des soldats russes, Forsythe, ancien prisonnier de guerre américain en Corée, considéré comme un pestiféré dans son pays, Fields, photographe dont la pellicule est gagnée peu à peu par la cause et Peer Qvist, naturaliste danois, intégriste de la cause animale.
Derrière la volonté de préserver les éléphants surgit la volonté de sauver l'honneur de l'humanité par un combat qui la dépasse. Tel est le sens de ce magnifique titre, les racines du Ciel.
Romain Gary s'était battu pour un autre intitulé, l'Education africaine, qui portait un message plus politique en résonance avec son premier roman, l'Education européenne. le roman est effectivement un manifeste de résistance contre tous les totalitarismes et Morel présente bien des traits communs avec la légende du partisan polonais Nadejda de son précédent livre. le choix des Racines du Ciel, qui souligne le besoin humain de justice, reste néanmoins une merveille de métaphore.
le roman, paru en 1956, relève presque de la prescience ou du vaudou. A cette époque, Nicolas Hulot n'avait pas encore inventé le gel douche et les animaux ne bénéficiaient pas encore de 30 millions d'amis. Certes, Romain Gary, expert en filouteries, a ajouté dans l'édition de 1980 des mentions à l'écologie ignorées à l'époque mais cela n'enlève rien aux qualités visionnaires de ce roman verdoyant qui lui valut son premier Goncourt.
Romain Gary n'aima pas l'adaptation de son livre réalisée par John Huston en 1958 avec Trevor Howard, Errol Flynn et Juliette Greco. Peut-être parce qu'il s'agit d'un film d'aventures assez binaire. Peut-être aussi parce que John Huston profita du tournage pour aller chasser quelques éléphants…
Comme beaucoup de lecteurs, j'ai trouvé aussi que le roman souffrait de quelques longueurs et de pas mal de répétitions mais cela est dû à une construction polyphonique qui donne la parole à tous les protagonistes. Je dois avouer que sans éclaireur, je me suis parfois un peu perdu dans la narration de ce safari romanesque.
Reste une oeuvre impressionnante, sorte de « roman total » qui embrasse bien des causes perdues et embrase les lecteurs.




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Roman publié en 1956. C'est peut-être ça le plus surprenant, tant cette fabuleuse épopée africaine aux accents écolos de sauvegarde du patrimoine naturel, ici les éléphants, s'inscrit si bien dans le maintenant. Il paraît même que c'est un peu ça, la signature des grands romans.
Parce que pour le reste ça l'est beaucoup moins, surprenant, quand on connaît Romain Gary (pas tant que ça en ce qui me concerne, mais j'en ai tellement entendu parlé, ou lu sur lui) : une écriture à la fois simple, puissante et majestueuse pour une prose dense et élégante, une narration riche même si parfois alambiquée (il m'est arrivé de perdre le fil entre les prolepses et les changements intempestifs de narrateur, surtout au début). Les personnages y sont légions, leurs intentions multiples. Entre Morel, irrévocable idéaliste obstiné à la cause des éléphants, ou Waïtiri l'africain, ancien député aux ambitions politiques bien accrochées, c'est une farandole de personnalités variées qui nous font visiter le territoire de l'Afrique Equatoriale Française, tous reliés à l'affaire qui secoue tout ce beau monde, et même bien au-delà : qui est donc cet illuminé qui veut protéger les éléphants de la chasse coûte que coûte (et qui rend même coup pour coup), alors qu'il y a quand même plus urgent, comme par exemple la faim ?
Si ça n'est pas déjà fait, vous le saurez (ou pas), en le lisant.
Parce qu'il faut le lire, évidemment.
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« Les racines du ciel », prix Goncourt 1956, est un roman écrit par Roman Kacew, écrivain plus connu sous le nom de Romain Gary. Paru en novembre 1972 chez Gallimard dans la collection Folio, l'ouvrage compte 495 pages.

L'histoire se déroule dans les années 1950, au Tchad, ex-Afrique Équatoriale Française. Des européens aux origines et aux objectifs peu explicites ont décidé de s'y installer, pour y écouler une vie en « père peinard », se livrant à de menus trafics, au nez et à la barbe des autorités locales, complaisantes et soudoyées. Dans ce contexte, Morel souhaite sauvegarder les éléphants, victimes de véritables tueries, aussi bien de la part des colons blancs que des populations indigènes. Morel prépare et fait signer des pétitions puis, devant le peu de résultat de ses efforts, il décide d'utiliser les armes contre les chasseurs d'éléphants et d'incendier les dépôts des recéleurs d'ivoire. Morel est rejoint dans son combat par quelques nationalistes et quelques politiques indigènes qui se servent de lui pour se faire connaître. Suspecté d'être un agent double à la solde de l'URSS, envoyé en AEF pour y fomenter des désordres, Morel devient l'homme à abattre : administrateurs coloniaux, chasseurs, contrebandiers, jésuites, chef de tribu, …, tous veulent sa peau. Ce livre (page 449) relate le procès (par contumace) de Morel, l'homme qui défendait les éléphants.

L'écologie est la colonne vertébrale de l'ouvrage : (page 129) tout ce qui m'intéresse, l'essentiel, c'est la protection de la nature. L'auteur dénonce le massacre des éléphants et fait la promotion de leur sauvegarde. Massacrés par milliers pour fournir des monceaux de viande fraiche aux chasseurs africains, des tonnes d'ivoire aux trafiquants, du travail aux guides des safaris, les éléphants détruisent les plantations des paysans : faut-il les exterminer ou les protéger ? L'auteur considère qu'il faut les protéger, les préserver de la barbarie et de la cruauté sous toutes ses formes ; il revendique la dignité des éléphants, à tout prix. Ce roman est polyphonique en ce sens que tous les personnages (voir plus loin) s'expriment et témoignent à tour de rôle à propos de la personnalité de Morel et de son combat.

Les personnages sont très nombreux et assez complexes, par leurs intérêts, leurs profils, leurs parcours et leurs psychologies : Mina, une berlinoise, strip-teaseuse au bar « le Tchadien », sans papier et paumée dans ce monde de baroudeurs ; Saint Denis, un jésuite fuyant le monde et les hommes ; Idriss, le meilleur pisteur de l'AEF ; De Vries, un ancien légionnaire, partant à la chasse par tous les temps, pour le plaisir ; Habib, un homosexuel libanais donnant dans la contrebande d'armes ; Ornando, célèbre journaliste américain, venu enquêter sur la « folie » Morel ; Korotoro, un déserteur de l'armée française, lié à Morel par amitié ; Sarkis, un syrien, organisateur de battues en représailles contre les éléphants qui piétinent les champs ; Waïtari, proche des Frères Musulmans au Soudan ; Robert Sajean, député et fervent partisan d'un réel développement culturel, social et économique en Afrique ; des journalistes se faisant extorquer des sommes impressionnantes par des émissaires mystérieux qui leur offrent de les conduire jusqu'à Morel puis s'évaporent avec l'argent versé pour l'achat de certaines complicités, rejoignant leur vase profonde après une cuite monumentale ; des fonctionnaires français d'Afrique n'obéissant pas aux ordres qu'ils reçoivent mais faisant une politique bien à eux ; Youssef, Orsini, Prostrach, Challut et quelques autres …

L'ouvrage est globalement intéressant et lucide mais il est trop dense (les pages se suivent sans aération, saut de lignes ou de paragraphes), il est écrit tout petit, présente quelques longueurs et beaucoup de répétitions.
Et puis le monde africain nous est projeté en mode simpliste et binaire (les bons contre les méchants), comme dans un vieux documentaire en noir et blanc : les éléphants (page 46), splendeurs naturelles, géantes et maladroites que l'on retrouve (page 51) empalés dans des fosses, agonisant pendant des jours ou brûlés au ventre par les feux de brousse, criant dans la nuit (savez-vous qu'il existe un langage des éléphants ? – page 68 – et que 80% des captures meurent dans les premiers jours ? – page 133) ou réduits à l'état de corbeilles à papier (les pieds d'éléphants), ou de boules de billards ou de coupe-papier ; dans les rites magiques – page 227 – les testicules d'éléphants jouent un rôle essentiel puisque les adolescents chasseurs acquièrent ainsi le droit de se marier ;les pistes sont impraticables à la saison des pluie (page 34) ; les paysannes (page 80) faisant 30 km à pied dans la nuit pour aller vendre une poignée de cacahuètes, se dirigeant vers le marché avec leur démarche de reine, un mouchoir noué sur sur la tête.
De plus, l'humour y est rare (page 202 – « J'ai mené mes enfants au zoo du Bronx pour leur faire voir les éléphants mais j'ai oublié de le mentionner à la Commission Sénatoriale au moment de l'enquête sur ma loyauté »).
Et pour finir, l'ouvrage promène et perd le lecteur au milieu de plusieurs thématiques : préservation des espèces, humanisme, anticolonialisme, lutte contre la faim, droit des peuples à prendre leur avenir en main, création de réserves et de parcs naturels, cohabitation entre une Afrique moderne et une Afrique ancestrale, l'Afrique et l'Islam (Morel aspire à la justice, la liberté, l'amour, la protection, l'égalité des hommes, la fraternité, la générosité et le désintéressement ; ces valeurs sont les racines du ciel au sens de l'Islam (page 222), des racines profondes mais menacées ; et c'est auprès des Frères Musulmans au Soudan que Waïtari va tenter de chercher les fonds qui lui permettrait de bâtir une Afrique islamisée (page 312) qui serait dans le monde une force irrésistible) … posant plein de questions sans apporter la moindre solution.

En conclusion, Romain Gary a écrit un roman « écologique », fourre-tout et militant. « Les racines du ciel » reste toutefois un livre qui ne peut laisser indifférent.
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Qualifié après sa parution comme l'un des premiers romans « écologiques », Les Racines du Ciel est aussi bien plus qu'un roman qui parle de sauvegarde de la nature et des éléphants. 1956, en Afrique Equatoriale Française, quelques années après l'Holocauste et alors que l'humanité effectue ses premiers essais nucléaires et que l'on a découvert l'existence des goulags en Sibérie, Morel, ancien résistant, rescapé des camps de concentration nazie met la pagaille dans les rouages encore paisibles de l'administration coloniale : il s'acharne à protéger les éléphants… Les éléphants, massacrés par milliers pour fournir des monceaux de viande fraiche aux chasseurs africains, des tonnes d'ivoire aux trafiquants, du travail aux guides des safaris, les éléphants qui détruisent les plantations des paysans : vaste programme !
Utilisé par le mouvement indépendantiste, haï par les chasseurs, accusé de misanthropie, raillé par presque tous, il prend néanmoins le maquis contre la barbarie et la cruauté sous toutes ses formes, aidé par une poignée de personnages improbables qui l'épaulent dans son combat fou. La dignité à tout prix, celle des éléphants comme celle des hommes, voilà ce que Morel veut préserver : à l'image de son premier combat pour sauver les hannetons alors qu'il était prisonnier des nazis, il se bat avec une énergie confiante et humaniste pour préserver les derniers représentants sur terre d'une époque révolue, affirmant ainsi sa nature humaine contre ce qui cherche à la nier : le totalitarisme la petitesse et l'adversité.
Dans ce roman polyphonique, on découvre la personnalité de Morel et son combat à travers les différents témoignages de ceux qui l'ont côtoyé, aventuriers en tous genres, administrateurs coloniaux ou pères missionnaires : et petit à petit s'esquisse le portrait lumineux d'un idéaliste, un homme pur, confiant et joyeux, aspirant à l'Humanité avec un grand H, la liberté et le respect pour tous.
Un magnifique roman qui, malgré quelques longueurs, me résonnera longtemps dans la tête.
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C'est un très bon Goncourt, pas tout à fait un chef d'oeuvre mais un excellent roman qui en plus a fait mieux que de bien vieillir tant il colle à des problèmes de notre temps. J'ai trouvé ce roman d'une richesse incroyable avec tous ces points de vue., C'est touffu, dense, ça part dans tous les sens, difficile de faire plus polyphonique. Mais en même temps le récit a les défauts de ses qualités. D'abord il y a vraiment beaucoup de personnages et j'ai regretté de ne pas avoir noté quelques détails par écrit sur chacun dès le début pour m'y retrouver. Au bout de cinquante pages j'étais un peu perdue, mais heureusement c'était moins confus pour l'action. Comme l'auteur veut nous donner à entendre tous les points de vue (et il le fait avec un talent extraordinaire), bien sûr, il y a quelques redites inévitables mais en même temps le temps de l'action s'écoule, on ne fait pas du sur place. Vu la complexité géopolitique Romain Gary a réussi un tour de force pour nous livrer un beau roman humaniste, universel et intemporel (même si Fort-Lamy est devenu N'Djamena et si l'Afrique Equatoriale Française n'existe plus). Par contre c'est un peu déprimant, le mot écologie est rentré dans la langue de tous les jours, certaines des opinions nous paraissent incongrues, mais dans l'ensemble l'humanité n'a guère progressé (c'est un euphémisme). A lire absolument !
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Lorsque je découvris La Promesse de l'aube, en 2017, il m'apparut flagrant que Romain Gary s'était trouvé dans un angle mort de ma culture littéraire. Il m'aura fallu quatre années supplémentaires pour lire Les Racines du ciel. Comment ai-je pu passer aussi longtemps à côté de ce roman exceptionnel ? Il valut à l'auteur son premier prix Goncourt en 1956, le second, rappelons-le, lui ayant été décerné près de vingt ans plus tard sous le pseudonyme d'Emile Ajar.

Les Racines du ciel raconte le parcours au Tchad d'un Français, Morel (pas de prénom !), qui milite inlassablement et de moins en moins pacifiquement contre la chasse à l'éléphant. Cette activité, menaçante pour la survie de l'espèce, était pratiquée à grande échelle dans l'ancienne Afrique-Equatoriale Française par trois catégories de personnes : les peuplades locales pour la viande, les trafiquants pour l'ivoire et les amateurs de trophées exotiques pour la gloriole.

Bien au-delà de ces publics directement concernés, Morel suscite toutes sortes de sympathies, d'hostilités, de fascinations, d'inquiétudes, de soupçons et d'exaspérations. de Paris au Caire, de Washington à Moscou, chez les naturalistes scandinaves comme chez les nationalistes africains, dans un contexte géopolitique de guerre froide et de contestation de la colonisation occidentale, le retentissement de son action est immense. On cherche à l'éliminer parce qu'il trouble l'ordre public, parce qu'il entrave des intérêts particuliers, ou parce qu'il pourrait être sournoisement à la solde de l'ennemi. Certains ne le comprennent pas, parce qu'il ne s'inscrit pas dans leurs croyances. Quelques-uns s'efforcent de détourner ses objectifs au profit des leurs. Les plus retors le rejoignent sans adhérer sur le fond, parce qu'ils luttent contre les mêmes adversaires, mais jusqu'à quand le soutiendront-ils ?

Dans cette comédie humaine vibrionnante, tous les personnages jouent un rôle clé emblématique d'une institution politique, d'un groupe de pression ou d'un simple profil type d'Occidental expatrié en Afrique coloniale. Faisant fi des chronologies, jonglant avec le temps, le narrateur met au premier plan ce que « le cas Morel » inspire ou a inspiré à chacun, transcrivant des débats pris sur le vif, des échanges de souvenirs, des témoignages ultérieurs devant la justice, ou lisant directement dans les mémoires, dans les ressentis et dans les pensées. le texte n'est ainsi qu'un assemblage de subjectivités, forcément dissonantes, au sein desquelles lectrices et lecteurs doivent trouver leur chemin pour reconstituer la cohérence des péripéties.

Il faut un certain temps pour s'adapter à la construction de l'ouvrage et pour situer les personnages – nombreux ! – les uns par rapport aux autres. Dès que l'on y voit clair, le roman devient passionnant. Tout en restant accessible, le vocabulaire de Romain Gary est riche, parce qu'il correspond à la complexité du contexte et à la variété du paysage africain. Sa plume déliée et harmonieuse raconte subtilement la flore foisonnante des forêts, l'horizon poussiéreux des déserts, les maigres points d'eau où se presse le monde animal, sans oublier les bars d'hôtels fréquentés par les Occidentaux.

On trouve tout dans Les Racines du ciel : émotions, humour, réflexions profondes sur le monde et sur le futur de l'humanité. Des questionnements d'une modernité évidente. Pour ou contre la chasse aux éléphants, le débat reste ouvert de nos jours, chaque partie assénant des arguments assortis de statistiques irréfutables. le progrès technique est nécessaire à l'émancipation du peuple africain, mais l'exploitation utilitaire des terres s'accommode mal des dégâts commis par les troupeaux. Humanité vs nature : les utopies se fracassent toujours sur des contradictions extrinsèques.

Dans sa préface de la réédition du roman en 1980, Romain Gary se présente en pionnier de l'écologie politique. Compagnon de la Libération, il s'identifie à Morel, évoquant le Général de Gaulle et son combat solitaire en 1940 pour la reconquête de la dignité humaine.

Je vois surtout dans Les Racines du ciel un vaste et captivant roman d'aventures, brassant des profils d'hommes intemporels, dans un environnement géopolitique complexe, où il importe de préserver les valeurs humanistes essentielles, celles que Gary nomme justement les racines du ciel.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Cher Morel,

On ne se connaît pas, on ne se croisera jamais (à moins que vous ne décidiez un jour de vous incarner parmi les mortels, ou que je me métamorphose par magie en personnage de fiction pour vous rejoindre dans votre savane de papier), mais je tenais à vous dire toute l'admiration que j'ai pour vous et pour M. Gary, votre génial créateur !

Le récit de vos aventures africaines m'a captivé, et j'ai suivi avec autant de passion que d'effroi votre lutte acharnée, désespérée mais nécessaire, pour la sauvegarde de la nature.
Certes, vos méthodes peuvent paraître discutables.
Certes, beaucoup vous traitent au mieux de doux illuminé, de fou, de misanthrope ayant décidé de "changer d'espèce par dégoût de l'humanité", au pire de dangereux terroriste, et tous vous prêtent de sombres arrières-pensées politiques, mais je sais quant à moi qu'il n'en est rien.
La noblesse de votre combat en faveur des éléphants n'a d'égale que celle de ces majestueux pachydermes, que je vénère autant que vous.

Dès les années 50, vous aviez anticipé le danger qui planait sur la faune sauvage, et via la plume toujours impeccable de Romain Gary, qui me surprend sans cesse, vous lanciez un cri d'alarme qui résonne encore tristement aujourd'hui...
Votre histoire, si singulière, est un vrai dédale, une brousse touffue (rendue plus dense encore par la mise en page compacte et assez désagréable de l'édition folio-Gallimard), mais tout y est beau et grand : les thèmes, le cadre, le style.
Même les quelques longueurs et répétitions qui agacèrent certains lecteurs ne m'ont pas dérangé outre mesure : votre message mérite d'être rabâché !
Il faut bien se concentrer, bien sûr, pour identifier les différents narrateurs et ne pas se perdre dans la chronologie des faits, mais à force de persévérance votre grain de folie finit par devenir contagieux. Il ne m'a pas fallu longtemps pour voir en vous le "symbole vivant d'un espoir qui refuse de capituler".

Transmettez, je vous prie, toutes mes amitiés à la belle Minna, à Schölscher, à votre ami naturaliste danois, et à toute votre troupe de rebelles libertaires.
Je vous adresse aussi, à l'attention de M. Gary, tous mes remerciements pour ce roman visionnaire et complexe, qui aborde brillamment les problèmes sociétaux, sanitaires, politiques et écologiques d'une Afrique en pleine décolonisation.

Puissiez-vous un jour, d'où vous êtes, voir votre cause enfin reconnue, et admirer d'immenses troupeaux d'éléphants libres et fiers.

Bien à vous,

gabb
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J'avoue avoir été perdue au début des Racines du ciel par l'identité des personnages. Puis se détache Saint- Denis, fonctionnaire en charge du fonctionnement de l'AEF, l'Afrique Equatoriale française , couvrant le Congo, le Gabon, la Centrafrique, et le Tchad, (lieu du roman) pays qui deviendront indépendants (1960) 4 ans après la parution du livre de Romain Gary.

Puis j'ai compris que Romain Gary, lorsqu'il rapporte un dialogue, en fait toujours un dialogue répété à un troisième, ou à un quatrième interlocuteur. Tout est rapporté par personne interposée, rien n'est simple, un peu comme dans une conversation où les idées se croisent, s'entrechoquent, et où à la fin il est difficile de se rappeler qui a dit quoi.

Il est évidemment question de Morel, défenseur de la beauté de la nature et des éléphants. Mais nous ne croisons pratiquement jamais Morel, sauf au début où il dit que les éléphants n'ont rien à voir avec les saloperies des hommes, et à la fin lors de sa traversée du désert ; nous ne savons de lui que ce que d'autres en disent à d'autres, et il n'est même pas présent à son procès.

Illuminé, naïf, misanthrope, renégat, et surtout, surtout, cachant derrière cette cause somme toute assez futile un projet politique, comme l'indépendance, voilà la réputation que les uns et les autres colportent.

Gary, en bon ambassadeur, ne rejette jamais les opinions adverses, au contraire : il les expose, ou plutôt les fait exposer par différents acteurs :

- Orsini, à qui on ne « fera pas croire » que Morel défende seulement les éléphants, et qui subodore avec haine un terrorisme latent.

- Saint Denis qui souhaite que l'Afrique garde ses rites, ses croyances, les pouvoirs des sorciers et doute que les indépendances ne soient pas autre chose qu'une « occidentalisation », livrées à des meneurs formés dans la métropole, aboutissant finalement à la corruption, le désordre, la misère et le totalitarisme .

- Waitari , formé en France et plus cultivé que la majorité des français illustre ce doute. Ex Député français, après avoir côtoyé Morel et essayé de le manipuler, il se propose de remplacer la flore et la faune inutiles par des tracteurs et des centrales électriques. Dis de façon plus modérée, et Gary le fait, il veut moderniser son pays et l'arracher aux croyances, aux pesanteurs tribales, aux traditions comme par exemple l'excision des jeunes filles, les cérémonies magiques, les couvents fétichistes, le pouvoir des anciens. le pouvoir, il le veut pour lui et il en a les capacités….

Pour Waitari, la défense des éléphants est un prétexte, un rideau de fumée destiné à cacher « les réalités hideuses : le colonialisme, la misère physiologique, le maintien de deux cent millions d'hommes dans l'ignorance crasse pour retarder ainsi leur émancipation politique ». Nous ne voulons plus, dit il, être le jardin zoologique du monde, nous voulons des usines et des tracteurs à la place des lions et des éléphants.

L'admirable dans ce livre, c'est la façon dont Romain Gary, en faisant parler et réfléchir différents personnages, expose la difficulté de cette protection des éléphants et de la beauté des terres africaines, en développant la pensée de ses opposants et en en montrant la légitimité.
La pensée de ses opposants reflète la réalité de l'Afrique des années 1950 : ,outre la nécessité du progrès industriel, les chasseurs, pour la gloire d'exposer un trophée (pourtant peu glorieux, cf citation) , les profits de la vente des pieds et de l'ivoire pour les pianos, les boules de billard, crucifix et jeux d'échecs, mais aussi le besoin de viande des paysans africains, qui ont besoin de protéines pour survivre, et la tradition qui veut que chaque jeune doit tuer un éléphant et rapporter au village ses couilles( comme dans le Lion de Kessel) s'il veut se marier, sont parmi les raisons du massacre de ces pauvres bêtes.

Intérêts contradictoires, profits très puissants, doublés du fait que, comme les bisons en Amérique, la disparition des pachydermes peut paraitre inéluctable.

Pourtant, le petit idéaliste, Morel, reste imperméable aux influences, aux essais de manipulation et à tous ces discours. Il est « tombé entre les pattes d'un de ces agitateurs politiques auxquels nous avons inoculé, dans nos écoles, dans nos universités, et surtout par nos propos, nos préjugés, notre comportement, tous les maux dont nous sommes depuis si longtemps atteints : racisme, nationalisme absurde, rêves de domination, de puissance, d'expansion, passions politiques, tout y est. ».

Pourtant donc, par sa confiance, son obstination à croire à nécessité d'arrêter les tortures, à se croire porteur d'un message, par sa droiture, il se fait connaitre, ses aventures sont suivies dans le monde entier, sa cause gagne. Non, il ne se bat pas pour des raisons d'ordre politique, mais seulement pour les éléphants.

Livre foisonnant comme une jungle africaine, que Gary a connu et aimé , livre de géopolitique, où il est question du monde après le nazisme et les totalitarismes, de Bandoeng, du fait que l'humanité est née an Afrique, du carnage de Congo- Océan dont parle Albert Londres, livre intelligent et drôle ( celui qui affirme aux journalistes qu'il n'a pas dévoilé de secrets militaires aux éléphants, celui qui a du mal à fermer le pantalon de son uniforme , celui qui fait appel à Michel-Ange, Ronsard et Bach pour contrer les détracteurs de l'humanité, puisqu'ils défendent les droits des animaux, le curé mal embouché, à qui on ne va apprendre le catéchisme, Minna, la belle et blonde allemande « amoureuse d'un homme qui lui était, pour ainsi dire, passé dessus à la tête de ses troupes », puis, sans doute par peur de la solitude, amoureuse de Morel. Peut être même, ironise Fields, le photographe américain, ils auront des enfants, ouvriront une boutique de souvenirs d'ivoire pour les touristes, « vous savez il a eu son moment de célébrité, c'est l'homme qui défendait les éléphants… mais il faut bien vivre ».

Livre complexe quant aux enjeux ; ce n'est pas du tout un livre monolithe pour l'arrêt de l'extermination de ces géants dont, enfant, j'imaginais et souhaitais l'intrusion dans un magasin de porcelaines, c'est un livre dont la perspicacité, la vision, la grandeur de vue, l'honnêteté d'exposer tout ce qui peut contredire sa propre pensée aboutit finalement à convaincre, ainsi que Morel, pourtant perdu au départ, arrive à convaincre les curés, Minna, les américains et même celui chargé de le tuer.
Gary s'est suicidé en 1980, et la réglementation sur la vente d'ivoire, si elle n'a pas arrêté les trafics, est intervenue en 1990. L'opinion mondiale avait été gagnée à la cause, les chasseurs sont en voie d'extinction, les safaris photographiques ont depuis longtemps remplacé les sombres safaris effectués, comme le dit Gary, par des alcooliques et des impuissants, et plus personne ne se vante, heureusement pour eux, d'avoir tué un éléphant.

Restent bien sûr quelques impuissants, mais personnellement, je n'en ai jamais croisé.
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