Wahou…
Giraud revient seul avec un nouveau cycle du lieutenant… ou plutôt de Mister Blueberry. Et quelle claque !
Graphiquement, c'est toujours aussi bon. On retrouve le style d'Arizona Love, où l'auteur révèle toute la richesse de son art : rigueur du trait et profusion des détails, propres à la série, mais avec plus d'épure et une fougue esthétique, expérimentée sous son pseudonyme
Moebius.
Giraud fait donc du neuf avec du vieux : après tout, c'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleures confitures….
Et c'est bien le propos du livre : un ensemble de récits secondaires tourbillonnent autour d'un Blueberry âgé (il commence à avoir des cheveux blancs, comme son auteur…), posé le cul sur une chaise à faire des jeux de hasard.
Les thématiques sont toujours un peu les mêmes (en particulier le poker, les tireurs d'élite, l'ambiance de saloon, les Apaches, les outlaws…), tout comme les planches restent découpées en deux parties (A et B) dans leur largeur.
Comme ce fut le cas dans les précédents albums, certains personnages m'ont fait penser à des personnages réels ou fictifs : c'est Campbell, aussi boursouflé que
Balzac, ou son secrétaire, au petit air de Little Némo mais adulte…
Dans les albums suivants ce seront aussi Bluch, Lucky Luke, Neige, Mac Donald's, Billy the Kid, Mickey, Harry Potter, le déjeuner de Monet et j'en passe... Des clins d'oeil un peu lourdingues en réalité.
De fait, quoique Giraud a essayé de rester dans le cadre, le scénario contraste un peu avec ceux de Charlier auparavant. D'une dimension
moebiusienne, il n'en demeure pas moins réussi.
J'ai été happé dès l'accroche, avec une mise en abîme où Campbell et son secrétaire venus de Boston, en bons pieds tendres, découvrent l'Ouest avec stupeur.
Le plus jeune, commençant à se faire des « films », son patron lui répond : « Billy, tu as trop lu d'histoires de cow boy »...
Et puis quelle tension, que ce soit autour des mises du poker, du bluff, des relations parfois tumultueuses entre les personnages… mais surtout de la ville toute entière, qui semble comme prise dans la folie d'un jeu dangereux.
Giraud profite aussi de ce cycle pour développer, en creux, certaines réflexions contemporaines sur les Western voir la littérature.
D'un côté, il recycle les mythes de l'Ouest (Earp, Géronimo…), de l'autre il cherche à démontrer certaines de ses incohérences (garçons de vaches).
De la même manière, il semble faire un parallèle, pas si vaniteux, entre
Homère et le mythe de l'Ouest, entre le théâtre et Blueberry…
Une manière de dire toute sa fierté, celle d'avoir contribué à une série marquante pour plusieurs générations.
Car oui, cette BD est exceptionnelle. Encore aujourd'hui, elle me fait passer par toutes les émotions : la peur, le rire, la joie, la surprise…
Ce seul volume justifie à lui seul le grand prix d'Angoulême, obtenu par Giraud 14 ans auparavant déjà.