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EAN : 9791032615072
536 pages
Les Editions Sydney Laurent (20/03/2019)
5/5   1 notes
Résumé :
Alani Sierradoro embarque à bord du sous-marin Le Flamboyant alors que la grippe Amina exerce ses ravages sur les cinq continents. Tour à tour cuisinier, chasseur, constructeur de voiliers, ou espion, sa longue errance le mènera de l’Antarctique à l’Amérique en passant par Vladivostok, Genève et Paris… Au cours de son voyage, il sera confronté à la folie des hommes, à la fureur de la nature. Autant de rencontres qui forgeront son caractère et modifieront profondémen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Amina, la paix de Dieu : Un grand roman géopolitique !
Il est plutôt inhabituel que prochetmoyen-orient.ch consacre son éditorial à un livre, et qui plus est un roman1. le faire cette semaine répond à une nécessité tranquille motivée par trois raisons : 1) ce récit d'anticipation se fonde sur plusieurs réalités géopolitiques incompressibles et visionnaires ; 2) ses perceptions décentrées et libérées des obsessions parisiennes en font un vrai roman de la mondialisation contemporaine ; 3) la plume alerte raconte d'étonnantes aventures en comparaison desquelles les tribulations attendues de San Antonio ou de SAS sont de la petite bière. Sans forcer le trait, ce roman prend légitimement place dans la filiation de la Ferme des animaux, du Meilleur des mondes et de 1984…

Au début, on craint le pire parce que le scénario semble déjà vu et achevé avant d'avoir commencé. Erreur, profonde erreur, puisqu'au fil des pages s'affirme une saga épique crédible, haletante et si belle. Et il nous tarde de découvrir l'aboutissement dont on pressent qu'il dépassera les mièvreries du conflit des civilisations et de la fin de l'Histoire. Donc, nous ne sommes ni dans les prédictions téléphonées houellebecquiennes, ni dans les métaphysiques bobologiques du moment mais bien dans un réel déjà là ! Rien d'étonnant, l'auteur – Alain Gradiski – est un cadre territorial qui connaît le terrain, la musique, les hommes, les femmes et les lois du voyage.

Simple matelot, le héros embarque à bord d'un SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d'engins) alors que la grippe Amina ravage les cinq continents. La survie passe-t-elle par une exfiltration à destination du grand froid des pôles ? Elle transite en tout cas par la mer et ses contraintes, dimensions de plus en plus décisives de notre mondialisation. Au soir de sa vie, le bourlingueur se remémore ses escales tourmentées : la base de Dumont-d'Urville2, celle de Vladivostok, le lac Baïkal, le port d'Hambourg, Genève, le Morvan, Cherbourg, la vallée d'Abondance, etc. Allié à une connaissance certaine du « milieu marine », Alain Gradiski sait que la terre est bleue et que les grands événements du monde à venir finiront sur les mers et les océans. Il sait aussi que toutes espèces de crises internationales – guerres, accidents industriels, catastrophes naturelles, déséquilibres démographiques et migratoires – aboutissent toujours à des urgences de sécurité civile nécessitant sauveteurs, sapeurs-pompiers, médecins, infirmières et marins…

GUERRE DE TOUS CONTRE TOUS

La délimitation de ce drame global repose sur une connaissance maîtrisée des virus, des pandémies bactériologiques et de leurs histoires : peste et choléra, variole, Ebola et Sida… Comme souvent, ces malheurs planétaires ont une origine humaine, des Etats voyous n'hésitant pas à bricoler quelques gènes malins pour les transformer en armes de destruction massive. de nos jours, l'hypothèse selon laquelle la perte de maîtrise d'une arme biologique pourrait transformer la planète entière en Jurassic Park ne relève plus de la science-fiction et s'ajoute désormais à la panoplie des menaces globales : nucléaire, terrorisme, réchauffement climatique, cyber-attaque, transhumanisme, etc. Donc, les ruses d'un Docteur Folamour en liberté sont bien là et l'on y croit…

Les pages de cette fiction trépidante sont truffées d'informations, sinon d'expertises opérationnelles sourcées. Exemple page 115 : « notons aussi que les douanes, et plus particulièrement les douanes françaises, saisissent chaque année d'importantes quantités de viandes de brousse destinée aux restaurants africains en Europe. La majeure partie de cette viande de brousse est constituée de carcasses de singes… ». Ne parlons pas des trafics criminels – drogues, armes, êtres humains, ivoire d'éléphants, cornes de rhinocéros, bois précieux, etc. – menés au profit d'un Empire du milieu bienveillant qui viserait le bien commun de l'humanité : imposture d'une mondialisation sauvage et meurtrière !

L'autre grande vraisemblance du récit repose justement sur une juste mesure et description du méli-mélo international dans lequel nous pataugeons aujourd'hui. L'implosion des multilatéralismes politique, économique et juridique – qui voit l'hyper-puissance américaine sortir de l'accord sur le climat, déchirer un traité sur le nucléaire iranien (fruit de quinze ans d'âpres négociation), annuler le Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI), transporter une ambassade en territoire occupé à Jérusalem, entériner une occupation étrangère du plateau du Golan, affamer Cuba et adouber un putschiste au Venezuela -, qui voit aussi la Chine acheter des pays, détruire les fonds marins et piller les ressources naturelles de la planète, génère autant de folies qui pulvérisent les anticipations les plus tragiques.

Prenant acte de ces mutations actuelles, le roman d'Alain Gradiski dévoile une réalité proprement hobbesienne : il n'y a plus d'amis, plus d'ennemis déclarés, mais « la guerre de tous contre tous » ; une guerre sans armée ni ligne de front, sans foi ni loi, une guerre hors limites où tout devient permis pour la simple survie. Régression animale à l'état de nature, la violence de certaines pages renversera sans doute les âmes sensibles, notamment certaines décapitations. Ici, Salomé ne présente pas la tête de Saint Jean-Baptiste sur un plateau d'argent, mais découpe la vie qu'elle a bien failli perdre.

Quelques trous d'air néanmoins… consacrés à d'autres massacres de masse, symboliquement attribués aux seuls Lénine et Staline. Les besoins de l'écriture romanesque convoquent parfois quelques facilités, mais en l'occurrence celles-ci contrastent singulièrement avec la complexité géopolitique de l'ensemble. Loin de vouloir réhabiliter les figures de Lénine et Staline – ce n'est pas la question -, on s'attend plutôt à voir se prolonger le raffinement historique, sinon historiographique de l'ensemble du texte. Simple trou d'air, disions-nous parce que personnaliser à l'extrême les tragédies historiques, comme la grande presse le fait continuellement avec Bachar al-Assad pour la guerre civilo-globale de Syrie ne rend jamais service à l'intelligence collective. Comme le rappelle fort à propos Bossuet dans ses Discours sur l'histoire universelle, les prête-noms nous empêchent trop souvent de comprendre les impulsions profondes de nos malheurs.

L'ESPOIR

Alain Gradiski se reprend très vite pour continuer à nous enchanter de bruits, de fureurs et, en dernière instance, d'espoir. Son boucanier traverse aussi les sites désolés de Tchernobyl : rappel grandeur nature des arrogances technologiques et bureaucratiques du pouvoir. Il y croise des bonnes soeurs de lumière qui soignent, apaisent et donnent. Loin de toute espèce de prosélytisme religieux, la plume apaisée sculpte alors l'un des plus beaux messages éternels : n'importe quelle espèce de merdier, aussi gravissime soit-il, n'arrive jamais – jamais – à abolir entièrement le bien, la bonté, le don et le beau !

Ainsi, malgré les épreuves et les privations la culture essentielle ne peut pas totalement disparaître et refait irruption comme un Festin de Babette3. Page 164 : « le volume sonore diminue encore un peu avec le premier plat, des noix de coquilles Saint-Jacques au foie gras poêlé avec une touche de vinaigre balsamique. le silence est total alors que j'envoie les cailles en sarcophage, sauce madère, sur leur lit de petits fruits rouges ». Comme si nous étions à table ! Plusieurs morceaux d'une fête renouvelée du corps ponctuent aventures et mésaventures de notre matelot au long cours qui n'a pas oublié les vieilles traditions bien ancrées de la Royale et des terroirs français.

Le destin du Marin de Gibraltar de Marguerite Duras est bien connu : de port en port, la recherche de l'amour absolu. Malgré toutes les anomies du monde, c'est aussi l'obsession du héros d'Alain Gradiski qui, en la matière, ne se contente pas de quelques prédations sexuelles faciles. Les passages brûlants d'enchevêtrement des corps ne cède pas aux pics d'audience – comme lorsque Malko visite charnellement l'une de ses proies, les yeux marbrés de plaisir – mais veulent rappeler que toutes formes d'espoir ne peuvent être anéanties. Là aussi, notre écrivain territorial – le plus beau compliment qui soit ! – renoue avec les tendances lourdes de notre culture occidentale, notamment celle si bien restituée par Denis de Rougemont dans L'Amour et l'Occident4: en pleine barbarie, l'amour courtois survit parce qu'il vise la passion…

Moins reluisant, et madame Hidalgo n'y est pas pour rien : Paris est envahi par les rats. Des hordes de porteurs du bacile de la peste s'exfiltrent nuitamment des égouts pour traverser les ponts Bir-Hakeim et Alexande-III, notamment. Tant ridiculisées à l'époque, les « motos-crottes » de Chirac ont été remplacées par le mobilier urbain de la société JC Decaux, des vélos fantômes et des trottinettes électriques – faucheuses de petites vieilles – privatisant l'espace public, plongeant l'ancienne ville lumière dans un état d'indescriptible saleté et dangerosité. Même si les animaux des zoos éventrés ont envahi les centres villes, quelques rencontres d'exception permettent de ne pas complètement désespérer du genre humain : par exemple, Stanley cette réincarnation du Docteur Livingstone qui parle de Poutine sans a priori. Cela nous change des gazettes du moment. Et malgré ses tics les plus britanniques, Stanley – pétri de générosité – redonne confiance en l'avenir et permet la poursuite du voyage. Malraux n'est pas si loin…

Ce roman d'un provincial décomplexé nous fait passer aussi par la vallée d'Abondance, célèbre pour son abbaye, ses vaches d'alpage rouges et ses fromages tout aussi légendaires. Autre leçon géopolitique : se sauver par une consommation de produits de qualité et de proximité. C'est la dimension rousseauiste du grand tumulte mondial d'Amina, la paix de Dieu, qui ne parvient pas à exclure toutes espèces de rêveries du promeneur solitaire. L'une d'elle nous ramène logiquement des montagnes savoyardes vers Genève d'où notre héros salue les vertus démocratiques de la ville-canton qui a su préserver son identité politique envers et contre tout nivellement mondialiste5.

Et là encore, cet incomparable roman géopolitique tranche avec l'habituelle ignorance et condescendance de l'intelligentsia française à l'égard des petits voisins dont la Confédération helvétique, généralement reléguée dans la catégorie des Mongolie extérieure et autres lointaines Papouasie. Comme le faisait consciencieusement Hergé dès qu'il transportait Tintin dans n'importe quel coin du monde, Alain Gradiski s'est rigoureusement informé sur les subtilités du Conseil d'Etat, du Grand conseil et des accords franco-genevois. Quel bonheur de voir ainsi une fiction, souvent aux limites du baroque extrême, respecter néanmoins les lois granitiques de la géographie et de l'histoire.

LE SALUT PAR LA MER

Le récit débute par un embarquement sur un SNLE et s'achève à bord de l'Astrolabe6, bouclant ainsi la boucle d'une allégorie fondamentale : l'espoir par la mer. Page 479 : « face à la menace de la grippe, le continent antarctique est déclaré zone protégée. Seules les personnes ne présentant aucun risque de contamination pourront désormais y accéder, ce qui limite le nombre d'individus concernés à deux catégories. Les personnes actuellement sur site, et celles qui sont en mer depuis suffisamment longtemps pour n'avoir pas pu être contaminées. Vous faites, nous faisons partie de cette deuxième catégorie. L'Astrolabe va donc se diriger comme prévu vers la base Dumont-d'Urville ».

Quelques pages plus loin : « de quoi aurais-je eu l'air si le destin avait choisi la Papouasie-Nouvelle-Guinée. J'ai préféré la mer à la terre, le soleil couchant au soleil levant… ». En bout de course, cette grande épopée géopolitique picaresque voit Etats-Unis, Russie, Chine, France et d'autres – finalement – coopérer – sur mer – dans la plus grande improvisation d'un improbable « sauve qui peut la vie… ». de bout en bout, Amina – La Paix de Dieu est un bel hymne à la mer qui répond à l'appel de Michelet7, à la solidarité du vivant, proclamant que « toute vie innocente a droit au bonheur… ».

De bout en bout, ce livre est un véritable enchantement pour l'intelligence, le ventre et les sens. Il donne à penser, ce qui ne peut pas faire de mal… A lire et faire lire absolument…

Bonne lecture donc, et à la semaine prochaine.

Richard Labévière
3 juin 2019
Lien : https://prochetmoyen-orient...
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
À mes pieds, je contemple mes prises avec un mélange de fascination et de dégoût. Indiscutablement il s’agit de deux silures de très grosse taille. Leurs formes plates, leurs gueules énormes et leurs barbillons ne laissent pas de place au doute. Pour le reste, ils ne ressemblent à rien de ce que je connais. Des excroissances sortent de leurs corps. Les nageoires sont atrophiées ou inexistantes. La peau du premier est couverte de taches claires vaguement rosées. Le deuxième est un albinos dont le blanc tire sur le jaunâtre. Je n’essaie même pas de retirer les hameçons pris dans les gueules béantes. Je coupe les fils, laisse les monstres agoniser sur le sol et quitte en courant le bord du bassin de refroidissement de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
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L’embouteillage monstre a été une zone de conflits dont témoignent les impacts des projectiles sur les carrosseries et les douilles de cuivre vert de gris sur le sol. De loin en loin, un blindé de l’armée ou ce qu’il en reste. Pas de squelette. Le feu affamé a tout avalé, plastiques comme matières organiques, ne laissant que des cendres, que le vent et la pluie ont emportées il y a bien longtemps.

De vastes îlots ont échappé aux flammes pour de mystérieuses raisons. Les véhicules affaissés sur leurs pneus dégonflés sont restés quasiment intacts, vides de leurs occupants, portières et coffres ouverts pour la plupart, signes de l’urgence, de la précipitation, de la fuite à pied, mais dans quelle direction, vers quelles destinations ?
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En pêchant hier, sur la jetée du port, j’ai tenu une longue conversation avec un goéland posé sur un rocher, à quelques mètres de moi. Je me rappelle bien les termes de nos échanges. D’abord la pêche et les poissons. Vu le cadre, c’est une entrée en matière naturelle et qui s’imposait. Puis, nous avons dérivé, vers la pollution, la météo, le golf. Lui et moi étions faits pour nous entendre, car nous étions d’accord sur tout. Je ne sais plus comment nous en sommes arrivés à parler de politique, ni lequel de nous deux a lancé le sujet, mais on a fini par se disputer, moi criant, lui piaillant. Espèce de facho. Il a fini par s’envoler, à bout d’arguments, en lâchant une longue traînée de fiente verdâtre
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Le silence revient peu à peu dans la cabane. J’entends Irina qui marche de long en large à l’étage. Sa fenêtre qui s’ouvre, qui se ferme. Des meubles qu’on déplace. Je me sens malade de honte, de douleur. Je revois les yeux de Sergueï débarrassés de leur folie qui me supplient. Emmitouflé dans mes fourrures je reste assis dehors devant la porte, le soleil dans les yeux. Au loin, le trou noir à la surface du lac se referme lentement. Le soleil tourne, les ombres changent. L’une d’elles s’allonge démesurément et bouge au gré du vent qui se lève. Au-dessus de ma tête, le corps d’Irina se balance au bout d’une rallonge électrique.
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La perche tendue est trop tentante, le sentiment de victoire trop intense, l’idée de clouer le bec de ses homologues masculins trop forte. Elle n’a pas pu s’empêcher de répondre elle-même. Par cette simple phrase, elle se place dans la situation de l’inventeur de la bonne idée qui, immanquablement, ne pourra être que mauvaise. Par cette simple phrase aussi, elle en assume par avance la portabilité. La Reine Noire se retrouve emportée par son mouvement en plein centre de l’échiquier. Elle est désormais trop avancée pour pouvoir reculer. Elle ne le sait pas encore, mais les deux fous blancs viennent de la mettre en échec.
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