Zazen
assis avec des amis
assis avec tous ceux
qui un jour se sont assis ou viendront s'asseoir un jour
de la pluie aux fenêtres
ou des rayons de soleil aux fenêtres
ou
un souffle et des pensées
et la conscience parfois
du mal qu'on a pu faire
et la conscience parfois
de n'être plus cette personne-là
et la conscience parfois
qu'on ne sera plus jamais
la personne assise en ce moment même,
la personne qui respire en ce moment même,
consciente
Scumbo est en plein sevrage, il est en train de stopper net, de la jeter comme une vieille chaussette. Tout ce qui passe à la radio lui semble débile, comme toutes les chansons à la con qu'il a pu composer ou entendre. Il n'y a pas de musique pour ça, pas de blues, pas de bruit blanc. Plus d'euphonie, à présent. Rien à faire. C'est là que le disque s'enraye et que la chanson d'amour dégénère, sans fondu, sans note finale percutante. Juste un grésillement, une rumeur qui siffle et qui crépite. Une douleur au crâne. Quelque chose qui fait mal.
West End, Glasgow, l'été
Pour Joan
Soirée d'été, et la pluie a cessé.
Des rayons de soleil chutent sur les trottoirs
et scintillent en ricochant dans les flaques d'eau -
soirée d'été, et rien ne presse.
Un parfum de cuisine indienne erre le long des ruelles,
des jurons s'échappent par la porte des pubs pour
t'indiquer le score. Des étudiants se promènent dans le
parc, d'autres se prélassent dans l'herbe mouillée avec leurs canettes
de bière. Au détour des immeubles, tu croises des gens qui bavardent
dans l'embrasure des portes. Un homme des cavernes
tripote une fille réticente à la sortie d'un resto.
Il y a tant d'années nous nous tenions la main ici -
ce soir, il fait bon s'y promener seul
en sachant que je serai toujours amoureux.
Quand je repense à la période qui a suivi, j'ai l'impression qu'il faudrait accompagner mes souvenirs d'une musique de fond, du genre « Here Comes the Sun » de Nina Simone. La chambre douillette de Deborah. Ses vieux parapluies, les barrettes en corne qu'elle se mettait parfois dans les cheveux. Nos balades, bras dessus, bras dessous. Sa façon de rire. La chaleur qu'elle dégageait. La froideur de ses mains, parfois. Le grain de sa voix, son odeur. Sa langue, si ferme.
Le soir avant de me coucher, je descendais à la plage. Je quittais mes bottes et mes chaussettes, et je barbotais dans l'eau. Deborah m'accompagnait quelquefois, mais elle restait le plus souvent chez elle à dessiner ou lire dans son lit. Seul, je remontais alors sa rue dans le noir avant d'apercevoir sa fenêtre éclairée au dernier étage. Il m'arrivait de me poster là un moment avant d'entrer, les yeux rivés sur la lumière, en songeant à elle tout là-haut, bien au chaud.
J'avais essayé d'apprendre sa langue, sans succès, et elle prenait un malin plaisir à me taquiner. Le matin, en ouvrant l'œil, il m'arrivait de la trouver assise à sa coiffeuse, brossant ses longs cheveux. Lorsqu'elle finissait par voir dans le reflet du miroir que j'étais réveillé, on se mettait à papoter. J'évitais gauchement son regard et tentais de prendre un air décontracté.
On avait envisagé que je m'installe sur place pour de bon. On n'avait jamais parlé d'amour; nommer la chose aurait été réducteur.
Après-midi
Nus, ils regardaient la pluie tomber. Elle aspergeait la fenêtre avec un empressement féroce. Comme au lavage auto, il s'est dit.
La ruelle au-dehors était déserte. La chambre était pratiquement plongée dans le noir. Ils sont retournés au lit, se sont glissés sous la couette et se sont remis à baiser. Au bout d'un moment ils étaient en nage et elle a repoussé les draps d'un coup de pied. Elle imaginait que sa queue se muait en couleuvre, qu'elle devenait de plus en plus longue et serpentait en elle, jusqu'à lui remonter dans la gorge et ressortir par ses lèvres. Elle s'est cramponnée à son cul pour l'entraîner plus profondément en elle et sentir davantage encore sa chair lui jaillir de la bouche. Puis elle l'a caressé jusqu'à ce qu'il jouisse et l'arrose tout entière, le visage et le cou, la poitrine et le ventre. Quand son membre s'est relâché, elle l'a senti se couler à nouveau dans sa gorge avant de s'échapper par sa chatte, et ils sont restés allongés dans les bras l'un de l'autre, à s'embrasser et s'étreindre tandis que séchaient leur sueur et son foutre.
Après un certain temps, ils se sont levés. Ils ont allumé la télé ; elle a regardé les infos pendant qu'il feuilletait le journal de la veille. Ils ont mangé des tartines et des œufs brouillés. L'averse avait cessé.