Disons-le tout de suite : une fois le livre refermé, tout lecteur pas encore totalement désespéré du genre humain prendra un sacré coup au moral.
Non que ce qui nous est relaté ici, au travers de témoignages recueillis par
Jean-Pierre Guéno, ne soit inconnu, mais parce que ces témoignages sont axés principalement sur les faits de torture. On a beau lire, on a beau « savoir », entendre ou voir au quotidien en ces temps d'hyper information la relation d'exactions atroces commises par des humains sur d'autres humains, il y a ceci de particulier quand on aborde la guerre d'Algérie, plus de 50 ans après, de se rendre compte que tout n'a pas encore été « digéré » par la mémoire collective française.
La majorité des témoignages émanent de personnes ayant été marquées par la seconde guerre mondiale, la plupart engagés dans la résistance ou déportés, devenus militaires, sous-préfet, journaliste, et qui ne peuvent supporter que le conflit algérien autorise la même barbarie. Chacun d'entre eux va s'insurger, dénoncer ce que d'autres et eux-mêmes ont subi. Sur les douze témoignages, on trouve également le récit d'une infirmière algérienne soupçonnée d'avoir soigné un fellagha, un étudiant de Sciences-Po Strasbourg dénoncé à tort d'attentat, et d'un Harki qui assiste au massacre des siens et de ses camarades harkis par l'OAS. Une histoire est un peu à part, l'extraordinaire vie d'Adolfo le faussaire, doté d'un don génial, qui toute sa vie a défendu ses causes en fabriquant de faux papiers pour les combattants clandestins. On trouve aussi une évocation des lettres du jeune appelé
Jacques Higelin publiées depuis.
Chaque témoignage est édifiant, terrible. le livre nous les présente d'abord dans un texte d'introduction avec extraits des lettres exposant les faits en détails (souvent insoutenables) et un portrait succinct de leurs auteurs, puis, pour chacun des douze témoignages, douze dessinateurs distincts en proposent une illustration.
Au niveau BD, les partis pris diffèrent. En effet, et il me semble que l'on touche là à une limite de l'entreprise. Choisir de mettre le texte de présentation avant la BD fait que l'on visualise déjà mentalement ce qui nous est relaté. La version dessinée est donc parfois redondante, et n'apporte pas grand-chose. Je dois dire que pour moi les mots seront toujours plus évocateurs qu'un dessin. Aussi, certaines illustrations ne m'ont rien apporté, d'autant que quelques-unes d'entre elles ne m'ont pas séduite esthétiquement. Celles que je trouve les plus réussies sont celles qui se présentent comme un contrepoint au témoignage, dans lesquelles le dessin montre autre chose que ce qui est raconté. La plupart des illustrateurs ont choisi de ne pas montrer crûment la torture. le texte des témoignages donne assez de détails atroces de la fameuse gégène employée par les soldats français sur les membres supposés du FLN. A cet égard, si l'ouvrage peut servir de support pédagogique, il me semble qu'on ne peut en envisager la lecture que pour des enfants déjà adolescents, et accompagnés d'un point de vue distancié.
Au final, objectivement, je n'ai pas vraiment apprécié cette lecture. D'une part, je ne pensais pas que la torture en serait le sujet principal. Si je reconnais l'utilité d'en parler encore aujourd'hui, cela m'a rendu la lecture très pénible. D'autre part, plus techniquement et puisqu'il s'agit d'une BD, je n'ai pas trouvé que les illustrations aient apporté une dimension vraiment intéressante au récit, mais peut-être parce que je ne suis pas une fervente lectrice de BD.
Ceci posé, je ne peux que louer le travail de
Jean-Pierre Guéno et son utilité.