Guez Olivier – "La disparition de Joseph Mengele" – grasset, 2017 (ISBN 978-2-246-8587-3)
– vient de se voir décerner le Prix Renaudot.
D'un point de vue littéraire, c'est un roman réussi, puisqu'il se lit quasiment d'une traite dès que l'on aborde la première page. le suspens est entretenu par une écriture efficace.
D'un point de vue documentaire, ce livre n'apportera pas grand chose à celles et ceux qui suivent régulièrement les actualités allemandes, et tout spécialement les avatars du nazisme et des nazis après 1945.
Certes, Joseph Mengele ajouta une couche supplémentaire à l'horreur : en effet, si la déportation et les camps de concentration représentaient déjà un crime impardonnable (ils ressurgirent en Yougoslavie il y a à peine trente ans), si l'élimination des juifs – la Shoah – représentait un ethnocide inadmissible, Mengele rajouta à toutes ces horreurs l'incroyable barbarie consistant à procéder à de pseudo expériences médicales sur des êtres humains disséqués vivants.
Il ne fut pas seul, ses compères du "Ahnerbe" sévissaient aussi à Buchenwald, Dachau, Ravensbrück et en Alsace, au camp du Struthof, près de Natzwiller.
Malheureusement, obnubilé par le seul Mengele et le récit de sa traque, l'auteur oublie de mentionner qu'après guerre, les alliés firent disparaître et détruisirent une grande partie des rapports produits par les nazis (bureaucrates pointilleux) sur ces expérimentations, pire encore, certains scientifiques états-unisiens tentèrent d'exploiter ces expériences ignobles (rapport Alexander) et il fallut attendre les années 1990 pour que soit définitivement reconnue l'absence complète de validité scientifique de ces "expériences" ne reflétant que le sadisme abyssal de ces criminels.
Autre déception : ce n'est qu'au chapitre 55 (pp. 153-156) que l'auteur évoque – bien trop brièvement – l'incroyable reprise de leur carrière universitaire ou médicale par les ex-homologue de Mengele : Otmar von Verschuer (1896-1969) par exemple termina sa carrière en tant que professeur de génétique humaine de l'université de Münster, membre éminent de la société "américaine" (en fait états-unisienne) ASHG !!! Il y a là un phénomène beaucoup plus inquiétant que le soutien sans faille du clan familial sur lequel se focalise toute l'attention de l'auteur...
Personnellement, je reste fort dubitatif sur l'intérêt réel de ce roman à suspens : reste à espérer qu'il ne s'agit pas uniquement d'un "coup" éditorial...
Sur un thème similaire, le roman de
Stuart Neville intitulé "
Ratlines" (Payot-Rivages/Noir, 2016 - ISBN 978-2-7436-3165-9) s'avère beaucoup plus instructif.
Sur le statut et le destin des scientifiques allemands ayant soutenu le nazisme, il faut également lire Jérôme
Ferrari Jérôme, "
Le principe" (Actes Sud-Babel, 2015 - ISBN 978-2-330-06556-0)
Sur les générations de jeunes allemands se posant des questions sur leurs parents, voir le remarquable récit de
Fabrice Humbert "
L'origine de la violence", (Ed. "le passage", 2009 - ISBN 978-2-253-12946-2).
Sur la traque des criminels nazis après guerre :
Paul Colize "
Un long moment de silence" (Gallimard/Folio policier, 2014 - ISBN 978-2070455072)
Même s'il n'est pas bien réussi, j'ajoute à cette liste le récit de
Boualem Sansal "
Le village de l'Allemand, ou le Journal des frères Schiller” (Gallimard, 2008).
du côté allemand, le roman de
Nele Neuhaus "Tiefe Wunden" (List Taschenbuch / Ullstein Verlag, 2009 - ISBN 978-3548287430), publié en français sous le titre
Flétrissure (
Actes Sud, 2011 – ISBN 978-2-7427-9908-4) n'est guère convaincant, même s'il a connu un grand succès Outre-Rhin, de même que le roman de Ferdinand von Schirach "Der Fall Collini" (Piper Verlag, 2011 - ISBN 978-3492301466), traduction française sous le titre "L'Affaire Collini" publié chez Gallimard en 2014 (ISBN 978-2070137725)
Il convient enfin de saluer le remarquable roman de
Shane Stevens «
L'Heure des loups» (Sonatine, 2011 - titre original « the anvil chorus », cop. 1985).