Monique Guyot n'aime pas les Résistants, qu'elle appelle les réfractaires ou les dissidents, qu'elle voit comme une horde de débraillés manipulés, inconséquents et fauteurs de troubles. Ils l'effraient. Elle déteste les Allemands : ils occupent son pays. Elle ne supporte pas le général
De Gaulle qui met, selon elle, à mal l'unité nationale. Elle hait les Américains qui sont des envahisseurs et des occupants en puissance. Les Anglais aussi. Et puis, en vrac, les communistes, les « Bolcheviks », les Juifs et les Francs-maçons.
Qui diable peut bien dès lors trouver grâce à ses yeux ? le Maréchal Pétain qui, de son point de vue, est seul légitime, qui n'est inféodé à personne et qui n'agit comme il agit que « pour éviter le pire. »
C'est ce portrait d'elle que nous brosse
Philippe Laborie dans une introduction très complète et très fouillée qui la replace dans le contexte de l'époque, dans son environnement, et qui nous décrit par le menu les difficultés auxquelles elle s'est trouvée confrontée.
Du Journal de
Monique Guyot lui-même, on peut faire, me semble-t-il, deux lectures :
‒ L'une, « savante », qui se nourrit de la multitude des notes de bas de page (912 en tout, dont certaines extrêmement longues) fourmillant de précisions sur les lieux, les personnes, les événements historiques, qui ne fait grâce d'aucun des détails permettant d'éclairer le texte, mais qui présente l'inconvénient de hacher la lecture, d'en casser le rythme.
‒ Et une autre, plus directe, plus spontanée, qui en suit tout simplement le cours. On se trouve alors immergé dans un flux très porteur qui nous fait bien toucher du doigt ce que pouvait être la vie à cette époque troublée pour quelqu'un qui se trouvait, de coeur et de pensée, du côté du pouvoir en place. On accompagne
Monique Guyot dans ses errances. On partage ses appréhensions. On se sent parfois en phase avec ses révoltes. On s'efforce de la comprendre, même s'il est souvent difficile de ne pas éprouver de la répulsion devant les opinions qu'elle professe.
La meilleure solution me semble être de procéder successivement à ces deux sortes de lecture en commençant, bien entendu, par la seconde.
On peut distinguer globalement trois phases dans le témoignage de
Monique Guyot.
Il y a d'abord, dans un premier temps, une vie quotidienne faite de longues marches à pied à la recherche de nourriture ou de produits de première nécessité. D'interminables et inconfortables voyages pour s'efforcer de rendre visite à Yani, le neveu emprisonné. D'escarmouches qu'elle condamne entre la Résistance et l'Occupant.
Et puis, quand le Vercors devient le théâtre de sanglants combats, le récit d'affrontements, d'exécutions sommaires, auxquels elle n'assiste pas elle-même. Elle se trouve pour ainsi dire dans la situation de Fabrice del Dongo à la bataille de Waterloo. Elle n'a de la situation qu'une vision tronquée, parcellaire, d'autant plus angoissante que le vrai se mêle au faux et que les rumeurs vont bon train.
Enfin, une fois les Allemands partis, c'est la découverte de l'étendue des dégâts. Charniers, maisons brûlées. Et récits. Encore récits. Toujours récits de ceux qui ont vécu l'horreur ou qui s'en sont trouvés les témoins.
Quoi qu'il en soit et quoi qu'il arrive,
Monique Guyot reste droite dans ses bottes. Elle ne changera pas d'avis. Et elle lit systématiquement la réalité à travers le filtre de ses idées préconçues. Ce qui devrait nous servir de leçon à tous. Ne sommes-nous pas tentés, à notre niveau, et quelles que soient nos opinions, de faire exactement la même chose ?
Un grand merci en tout cas aux
Presses Universitaires de Grenoble pour m'avoir gracieusement fait parvenir cet ouvrage.