C'est le deuxième livre que je lis de
Clémentine Haenel, que j'ai découvert depuis deux petits mois et que j'apprécie.
C'est une histoire encore sombre et crue, comme son premier roman «
Mauvaise passe ».
J'aime l'univers de Clémentine car ses nuits sont toujours plus longues et froides que ses jours gorgés de soleil. Des nuits mouvantes et émouvantes, sans lune et sans étoile.
Où on sent le vent souffler en rafale, où on voit la pluie qui ruisselle dans tout Paris, où on aperçoit des ombres inquiétantes qui se glissent, qui titubent et qui parfois sommeillent. Où on devine des fantômes perdus dans leurs pensées lugubres, ou dans leur folie.
*
Les histoires de Clémentine m'interrogent souvent, elles me dérangent autant qu'elles me fascinent. Parce qu'il y a aussi ses mots, des mots qui ne peuvent être écrits seulement après les avoir vraiment vécus et qu'ils ont une grande résonance en moi.
D'une écriture moderne, vibrante, nerveuse et sans fard, l'auteure brosse de superbes portraits de jeunes gens déjà éprouvés, déjà cabossés, déjà pour certains, presque éteints par les affres de leur vie.
Mauve, Yaya, Mahdi et Sékouba sont quatre êtres liés, sur lesquels un destin parfois cruel s'est acharné.
Certains s'en sortiront, un peu plus fracassés, d'autres s'écrouleront pour ne jamais se relever.
*
Ce que j'aime aussi chez
Clémentine Haenel c'est son sens de l'observation, non sur les choses mais sur les gens, sur leur manière d'être, sur leurs attitudes, sur leurs tics, sur leurs tocs.
Tous ses personnages sont creusés, disséqués. Ils apparaissent avec parfois des rides de trop de fatigue, avec une peau trop blanche, des yeux trop verts, des bleus trop foncés au coeur, avec leurs forces mais aussi leur vulnérabilité.
Excellents aussi tous ces petits clins d'oeil sur ces émissions de télévision, une comparaison avec la vie de Loana, en exemple. Ces références à des chansons, qui apportent une bouffée d'air frais, un éclat de lumière pendant la lecture du roman.
*
Tous les personnages de cette fiction m'ont été réels, car ils appartenaient à la vraie vie, avec tous leur côté un peu « borderline. »
Et pour moi ils m'ont été attachants, surtout Mauve, cette jeune femme qui conduit un taxi à Paris.
Mauve l'écorchée vive, Mauve l'impétueuse, Mauve la révoltée. Mauve celle qui aime et embrasse la nuit. Parce que la nuit c'est la paix, la sécurité, la tranquillité, comme l'écrit si bien
Clémentine Haenel.
Mauve celle qui vit mal sa solitude comme les trois autres personnages. Qui ressasse souvent son passé, dont certains événements reviennent la hanter, la tourmenter.
Mauve qui cherche parfois à enfouir la brûlure trop vive de ses souvenirs, qui essaye aussi d'effacer de ses pensées pour son ami Yaya.
Mauve qui observe l'horizon de sa vie grisaillée de désillusions, d'attentes. Mais peut-être qu'après les nuages mouillés de ses chagrins, apparaitra un pâle rayon d'espoir.
*
Yaya était un jeune homme qui avait tout pour réussir. Mais aujourd'hui Yaya découvre un monde parallèle où il a été placé. Un monde où les murs suintent le désespoir, la tristesse et l'ennui. Des murs mornes qui emprisonnent une foule de gens malades, de schizophrènes. Yaya est enfermé dans un hôpital psychiatrique, « pour son bien » lui a-t-on dit, par prévention…
Parce qu'aussi le jeune homme à des pensées morbides, a des crises d'angoisse et de démence.
Yaya qui se sent tellement coupable, tellement démuni de n'avoir pas su protéger son frère Mahdi contre lui-même.
*
Il y a aussi Sékouba, ce psychiatre idéaliste qui a rejoint l'unité psychiatrique où dépérit Yaya. Un jeune médecin qui est persuadé qu'il peut exercer son métier autrement.
Sékouba qui apercevra très vite de son impuissance à changer les choses.
Sékouba qui constatera que cette institution comme tant d'autres, bourre de médicaments jusqu'aux amygdales, les sujets les plus angoissés. Qui enferme dans des chambres sécurisées, les patients pour éviter qu'ils se fassent mal et fassent mal aux autres.
Il y a à peine cinquante ans, il y avait encore de longues « cures de sommeil », parfois des camisoles, des lits où on sanglait le corps et les sanglots des plus agités.
*
«
Pleins Phares » est un roman à découvrir. A lire un soir d'orage pour ressentir encore plus de frissons, d'émotions et une certaine douceur.