C'est un premier roman…qui est une prouesse d'écrivain : il s'agit de raconter la vie du personnage central atteint d'Alzeimer. Il sait qu'il est malade, qu'il ne peut plus se fier à son cerveau. Jake a été architecte, a eu deux enfants, une mère juive qui a survécu à l'holocauste…
Le tour de force de l'auteur est de nous embarquer dans la vie de Jake, dans ses souvenirs tout en nous montrant les troubles dus à la maladie qui progresse. Plus le livre avance, plus les pensées sont confuses, plus la limite entre souvenirs réels et élucubrations d'un cerveau malade est floue.
Jake lui-même, au début du moins, ne sait plus s'il doit faire confiance à ses souvenirs. On suit la progression de la maladie jusqu'au moment où il se perd, ne reconnaît plus ses amis, confond les générations et tous les repères sociaux, spatiaux et temporels.
C'est une écriture très maîtrisée d'un roman à la construction complexe. Cette lecture appelle une réflexion sur la notion de souvenir, sur le fonctionnement du cerveau et sur la maladie d'Alzeimer sans tomber dans une description médicale ou trop larmoyante.
J'ai bien apprécié cette histoire.
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Magnifique ...mais on espère y échapper
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Les rues se transforment en prison. Il est perdu. Elles se ressemblent toutes. Il se retrouve en train de monter une côte plus raide, l’obligeant à s’arrêter à mi-chemin et à s’assoir pour reprendre son souffle, caressant la tête de la pauvre chienne, se demandant quand il est devenu un vieillard.
Les heures doivent passer. En haut de la côte, il achète une glace juste avant que l’homme ne remballe et redémarre. La cathédrale à ses pieds, la place vide à l’exception d’un couple qui traverse l’endroit, un paquet de chips à la main : la nuit tombe vite. Il n’y a rien qu’il puisse faire pour rentrer à la maison, ou aller à Rome, rien qu’il puisse faire pour améliorer sa situation ou celle de sa chienne. Autrefois, il aurait été capable de résoudre n’importe quelle ville ; aujourd’hui, il ne sait plus quel est le chemin de sa maison, ne sait même plus si c’est loin - seulement qu’il est épuisé
Dans ce souvenir de la première rencontre avec Joy, en revanche, il est plain de vie, empreint de cette énergie électrique qui semblait ne jamais quitter Rook, un petit air frondeur, plus grand et plus leste que dans la réalité : il est de taille à lui faire face.
Aujourd’hui, il ne sait pas si cette vision de sa personne est enjolivée ou bien si c’est l’autre qui est diabolisée. Il a beau regarder les quelques photos qu’il a de lui, cela ne règle en rien la question dans son esprit - d’ailleurs, il se reconnaît à peine dessus. Elles ne correspondent ni à l’une ni à l’autre de ces images mentales. Il en a le vertige de penser que rien, absolument rien, même pas lui, n’est une certitude. Et finalement, il se demande si ce n’est pas une chance, l’occasion de se protéger en remplissant les trous avec ce que lui préfèrerait au lieu de ce qui fut.
Il s’était appliqué ; malgré cela, le résultat était bizarre. Il sentait bien que ce qu’il avait dessiné n’était pas le cadran habituel d’une horloge et que quelque chose clochait, mais il ne voyait pas quoi, ni pourquoi. Un jour, se dit-il, il ne se souviendrait même plus qu’il ne savait pas ou ne se souvenait pas, et le visage sans âge de la femme prenant son dessin en disant « Bien. Merci Mr Jameson », ne représenterait plus pour lui ni espoir ni crainte. Ce serait juste un visage inconnu.