La prison fait grandir l'individu ?
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Ce tome fait suite à Daredevil by Chip Zdarsky Vol. 5 (épisodes 21 à 25, et annuel 1) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 26 à 30, initialement parus en 2021, écrits par
Chip Zdarsky, dessinés et encrés par
Marco Checchetto pour les séquences de Daredevil pour les épisodes 26 à 30, dessinés par
Mike Hawthorne et encrés par Adriano di Benedetto pour les épisodes 26, 27 et 30, avec une mise en couleurs réalisée par Marcio Menyz. Les couvertures ont été réalisées par Checchetto. Il contient également les couvertures variantes de
Ryan Stegman, Ema Lupacchino,
Ray-Anthony Height,
Carlos Pacheco.
La vie est longue et la vie est histoires. Si vous ne vivez pas une histoire, vous en dévorez. Sous la forme de livres, de chansons, de séries télé, de films. Ici en prison, les histoires sont sur pause. Daredevil est en prison, mais il a pu conserver son masque et donc son anonymat. Il se tient assis sans bouger dans la grande salle commune en écoutant les conversations : des histoires de bravoure, des histoires de regrets. Marcus, un grand afro-américain musculeux, s'approche de lui, pour lui dire que son attitude met tout le monde mal à l'aise. En réponse à la question du superhéros, il lui répond qu'il devrait se livrer à une activité normale, comme lire un livre, ou chercher la castagne. Daredevil indique qu'il va rejoindre sa cellule pour ne pas indisposer les autres détenus. Il ajoute qu'il a la ferme intention de faire ses deux ans. Marcus sourit amèrement : lui fera ses trois ans pour détention de cocaïne, et quand il sortira il ne pourra pas retirer son masque. Alors que Daredevil pourra retourner à sa vie normale de médecin, de policier ou d'avocat. Il n'accomplira jamais sa sentence complète. La discussion s'interrompt là car le directeur de prison convoque Daredevil.
Emmené par un gardien, Daredevil entre dans le bureau du directeur Hollis et se place debout, les mains dans le dos devant son bureau. le directeur indique lui demande s'il connaissait son fils car le superhéros l'a envoyé en prison pour crimes. Il ajoute qu'il ne lui en tient pas rigueur. Avec ses super-sens, Murdock a bien compris que Hollis espère que ce prisonnier de sortira pas vivant de son établissement. Dans Hell's Kitchen, Daredevil est en train d'interroger un petit trafiquant d'armes, tout en se disant que si Elekrra l'assassinerait sans arrière-pensée, Daredevil ne ferait pas ça. Elle estime que la méthode du superhéros ne fait que perpétuer un cycle de corruption sans jamais rien résoudre. Elle finit par le lâcher en entendant un cri bestial. Dans un gala, un individu vient remercier Wilson Fisk de sa présence, et le félicite d'avoir fait procéder à l'arrestation de Daredevil, ce qui lui vaut un regard chargé d'inimité de Mary Walker. Wesley Welch s'approche du maire pour lui dire qu'il est venu pour l'emmener dans une pièce haute sécurité car la ville est attaquée. Alors qu'ils sortent et descendent les marches pour rejoindre la limousine, ils sont attaqués par des symbiotes. Typhoid Mary est prompte à bondir avec ses katanas.
Chip Zardsky est soumis comme les autres à l'obligation de participer à l'événement King In Black de
Donny Cates &
Ryan Stegman, avec l'invasion des symbiotes sous le commandement du roi Knull. Mais voilà, il a dû recevoir la note de service en avance, et il met à profit cette obligation pour faire avancer son intrigue. Après tout, ces symbiotes conquérants s'apparentent à un ennemi presque générique, de la chair à canon prête à l'emploi pour remplir le quota d'action requis par épisode. Donc pendant 2 numéros, Daredevil (Matt) lutte contre les symbiotes déchaînés dans la prison, pendant que l'autre Daredevil lutte contre ce même ennemi dans les rues du quartier Hell's Kitchen. Sauf que Zdarsky a bien préparé son coup : en prison, Matt Murdock essaye d'endiguer le chaos généré par les prisonniers possédés par des symbiotes, et comme il n'y a pas de raison qu'il n'y succombe pas, il se retrouve lui aussi possédé par un symbiote. Mais Murdock n'est pas n'importe qui et le scénariste est là pour raconter son histoire. Il montre donc ce qui se passe dans l'esprit du héros qui résiste comme il peut à l'invasion de son esprit. Les artistes montrent un Daredevil plus diable que jamais dans un dessin en pleine page, avec un costume noir et une araignée rouge sur le torse, c'est le costume de rigueur pendant cette invasion. Ils ajoutent de belles cornes sur le masque, d'une taille supérieure à celle de Daredevil. le héros continue de résister comme il peut, en particulier à se rattacher à sa foi pour contrecarrer l'influence du dieu Knull. le scénariste se tient à saine distance de tout dogme religieux spécifique, tout en mettant à profit une des caractéristiques du personnage. Ce combat est dessiné de manière très superhéros, efficace, sans beaucoup de personnalité graphique, mais sans être bâclé non plus. le scénariste utilise un dispositif qui demande une petite rallonge de suspension consentie d'incrédulité de la part de son lecteur (pas sûr que la prison dispose de cet équipement si facilement accessible et prêt à servir au débotté), pour un final saisissant qui aurait été plus maquant avec un dessinateur plus énergique.
Le scénariste joint l'utile à l'agréable avec la même habileté pour la Daredevil aidant les civils dans les rues : mettre à profit les symbiotes (plus terrifiants car dessinés par Checchetto), pour également pousser le personnage un peu plus loin. Elle a décidé d'assumer le rôle de Daredevil, en utilisant des méthodes similaires à ce superhéros, et donc éloignées des siennes car elle n'hésite pas à tuer d'habitude. Bien sûr les plans les mieux ourdis ne se déroulent jamais comme prévus, et elle se retrouve à prendre en charge Alice, une jeune adolescente dont la mère a été possédée par un symbiote. Les dessins de Checchetto sont plus tranchants grâce des contours plus acérés, plus dynamiques grâce à des prises de vue avec des inclinaisons exagérées. En y mettant un peu du sien, le lecteur comprend qu'Elektra joue ce rôle, mais que le rôle a un effet sur elle, au point qu'elle prenne en pitié la jeune Alice. de même, Wilson Fisk et Mary Walker se retrouvent à devoir se défendre contre les symbiotes, et eux aussi y laissent des plumes. Finalement, cette participation imposée à King in Black est mise à profit pour faire progresser les personnages.
L'épisode 28 reprend donc après la déroute de l'invasion en développant les conséquences pour les deux Daredevil et Kingpin. le lecteur apprécie que Checchetto ait le temps de réaliser deux épisodes en entier, les 28 & 29. Il a un trait de crayon plus acéré qui apporte une forme de tranchant aux personnages et de froideur aux environnements, augmentant d'un ou deux crans la dramatisation visuelle. de temps à autre, le coloriste peut se déchaîner : lors du combat très physique dans la cour du pénitencier avec de magnifiques effets de brouillard de pluie, ou pour les nuances de rouge du costume de Daredevil pour rehausser le relief, pour l'ambiance lumineuse de la boîte de nuit. Cette façon de dessiner rend plus palpable la douleur émotionnelle de Wilson Fisk au chevet de Mary Walker, le doute dans le regard d'Elektra quand elle contemple Alice en train de dormir, la sollicitude un peu agacée de la psychologue Haynes recevant Daredevil dans l'infirmerie de la prison, la classe de la Daredevil avec les touches ninja de son costume, la brutalité des coups portés lors du combat dans la cour, ou encore l'énergie des danseurs dans la discothèque. La différence se faite sentir avec les planches de
Hawthorne, propre avec un bon niveau descriptif, avec un jeu d'acteur manquant un peu de justesse, ce qui n'est pas masqué par des dessins trop sages, manquant d'une touche d'exagération expressionniste.
Matt Murdock a décidé de purger sa peine de prison de deux ans en se montrant un détenu exemplaire. Dans la salle commune, il se fait aborder par Marcus un autre détenu qui lui dit franchement sa façon de penser : il n'est qu'un bobo venu chercher une bonne conscience dans un univers dont il ressortira sans avoir été vraiment marqué, en pouvant le laisser derrière lui, par opposition à des individus ayant grandi dans un milieu de petite criminalité et qui ne pourront jamais s'affranchir de cette culture. Bien vu : un individu légitime explique à un criminel du dimanche qu'il n'est qu'un imposteur, et que sa démarche traduit une profonde hypocrisie intellectuelle. Surprise, le scénariste ne s'arrête pas en si bon chemin : Marcus et l'avocate de Matt lui demandent s'il pense vraiment que son séjour en prison va le faire grandir, va le rendre un meilleur individu, ou plus simplement un meilleur citoyen. Il se produit un étrange glissement où Matt se retrouve pris dans une double contrainte : d'un côté il compte bien faire son temps en prison comme citoyen soumis aux lois, de l'autre côté tout le monde lui fait remarquer qu'en tant que superhéros il ne respecte pas les lois et que son séjour en prison ne l'améliore en rien, voire pénalise toutes les personnes qu'il ne peut pas sauver pendant ce temps-là. C'est inattendu que l'auteur braque le projecteur sur cette contradiction inhérente à tout superhéros, aggravée par le fait que Matt Murdock soit un avocat.
Les lecteurs allergiques à cette version de Daredevil ne changeront pas d'avis, car le scénariste continue de s'approprier les personnages. Les autres continuent de se délecter des planches dynamiques de
Marco Checchetto, et de la manière dont le scénariste déstabilise Matt Murdock, à a fois en faisant s'écrouler sa certitude que le bon choix est de faire de la prison, à la fois par la montée en puissance de ses ennemis.