AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782021018707
127 pages
Seuil (19/08/2010)
2.62/5   29 notes
Résumé :
Cela se passe entre 1941 et 1943, dans les Abruzzes. Non loin du Gran Sasso, cette écrasante montagne qui impose sa force tellurique comme une ombre portée sur le temps. Par une de ces décisions absurdes et nocives dont le fascisme est friand, les Chinois de la péninsule ont tous été internés ici et constituent une étrange communauté, dont le mutisme est peut-être la meilleure protection. Ils sont à un moment cent seize, parfois moins, parfois plus. La vie s’écoule,... >Voir plus
Que lire après Cent seize Chinois et quelquesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
2,62

sur 29 notes
5
3 avis
4
3 avis
3
0 avis
2
1 avis
1
5 avis
Cela commence par une remarquable introduction.
Un travelling superbe qui part de très loin :

Il faudrait imaginer une bille de plomb, noire à en capter toute la lumière du jour, dense de son poids et de sa chaleur mêlés, confondus. Il faudrait l'imaginer immobile. Son socle serait une montagne.

Nous sommes en Italie dans les Abruzzes, au pied du Mont Sasso. La bille roule.

Cette bille de plomb serait le petit supplément d'altitude infime et provisoire, de cette montagne. Elle serait là, il ferait jour. Et puis tout changerait.

La bille dévale la pente, le cadrage se ressert et va bientôt s'arrêter :

"Il serait dix-huit heures passées, dans ce monde aux marges du monde. On serait le 16 mai 1942 dans les Abruzzes, le village s'appellerait Isola del Gran Sasso, quelques kilomètres au sud de Teramo, il ferait vingt degrés."

Nous venons d'entrer de plain pied dans l'histoire de cent seize chinois, ou quelques.

À l'origine de cette histoire, une idée du gouvernement fasciste italien de "rassembler en un lieu tous les Chinois d'Italie". Parce qu'ils sont chinois, donc rivaux des Japonais, alliés de Mussolini, une centaine de Chinois installés pacifiquement en Italie vont donc être parqués près du sanctuaire de San Gabriele. Ici, on les parque "comme dans un poing qui se referme", sans logique ni raison.

Dans ce roman captivant, Thomas Heams-Ogus ne fait pas de psychologie.
Il décrit comme les Chinois s'intègrent bon gré mal gré à la population locale.
En témoigne ce passage où l'un d'entre eux, à cause d'un malaise, échange des regards appuyés avec une Italienne venue lui servir un verre d'eau.
En témoigne aussi ce passage d'un baptême collectif d'une quarantaine d'entre eux, qui déplace un nonce apostolique de Rome, et où les notables locaux s'achètent facilement une bonne conscience sur le dos des nouveaux convertis.

À la manière d'un tableau de Breughel, Thomas Heams-Ogus, enseignant chercheur en biologie de son état, nous les décrit tous sans presque s'arrêter sur aucun. C'est tout son talent, dans une langue très écrite, de nous faire partager un chapitre de l'histoire italienne très peu connu en nous suggérant la vie de ces chinois parqués comme celle d'un grand corps organique vivant.
Témoin la rencontre improbable entre l'Italienne et le Chinois.

La suite de l'histoire ? Ces Chinois italiens oubliés de tous rejoignirent la grande histoire, au moment où, tout proche d'eux, un Mussolini s'échappait honteusement, et au moment où la guerre véritable avec les Allemands les rattrapait. Fuyards rejoignant d'autres fuyards, ils se retrouvèrent malgré eux pris entre les tirs ennemis. Mais la proximité du réel de la guerre leur redonne une identité : "Tossica était à quelques centaines de mètres derrière eux. Il faisait frais, l'air était clair et l'après-midi avançait. On était fin septembre 43. Ils étaient de hommes. C'était un sentiment simple".

Comme un générique de fin, l'auteur récite pour finir la litanie des noms de ces cent seize chinois dont il a retrouvé la trace, réussissant par là à les faire sortir de l'anonymat, en un nécessaire devoir de mémoire.

Dans ce remarquable premier roman, Thomas Heams-Ogus parvient donc à un niveau de maîtrise incontestable de l'écriture, chose rare pour un premier ouvrage. Un rythme très travaillé et un formidable sens du détail qui lui permettent de dépasser la simple maîtrise stylistique pour en faire l'un des ouvrages les plus intéressants de l'année 2010..
Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
Commenter  J’apprécie          242
Le seul mérite est de dévoiler au lecteur un pan méconnu de l'histoire. Cent seize chinois ont été internés dans un camp des Abruzzes sur ordre des autorités musoliniennes.

Pour reprendre une de mes formules favorites, la forme nuit au fond. Hélas ! le style de l'auteur n'est qu'une suite de formules creuses et alambiquées, qui dilue les faits, déshumanise les êtres et noie le propos.Tout ce qui, à mon sens, ressort de ce livre c'est cette écriture qui prend le pas sur l'histoire.

Y-a-t-il une histoire des chinois d'Isola? Non et je le déplore car j'aurais vraiment aimé la connaître
Commenter  J’apprécie          100
J' ai eu pour ce livre un véritable coup de coeur !
Ce magnifique roman sur un épisode oublié de l'histoire (la captivité d'une centaine de Chinois dans des camps mussoliniens) scintille de mots qui sont comme autant de petits cristaux de glace sous un soleil d'hiver. Il y a, comme dans toute poésie, une dimension d'éternité qui rend ce texte infiniment poignant : on vit la détresse de ces prisonniers comme si on était avec eux dans un présent qui semble ne jamais devoir finir. Les métaphores par lesquelles sont exprimées les réalités psychologiques saisissent l'esprit de leurs vérités concrètes, renforçant le témoignage historique de la volonté de faire mémoire de la souffrance et du mépris qu'ont endurés ces victimes chinoises du fascisme mussolinien. Ils furent aussi les acteurs d'une guerre qui n'était pas la leur contre l'occupant allemand. Quand un Chinois se révolte...
Ce texte se lit lentement et nécessite une attention de tous les instants et je comprends tout à fait qu'on puisse ne pas aimer ce type d'écriture ;mais personnellement j' ai été subjuguée et profondément interpellée par cette oeuvre, qui nous ramène d'un bout à l'autre à notre humanité en ce qu'elle a de plus fragile et de plus vraie. Coup de coeur donc en attendant avec impatience le prochain roman de cet auteur.
Commenter  J’apprécie          50
Avec ce livre, une parenthèse oubliée s'ouvre, et on découvre un pan méconnu de l'histoire des hommes, celle de quelques Chinois émigrés en Italie , parqués brusquement dans des camps improvisés.Pourquoi?
Les maîtres du fascisme sont aux commandes: l'Autre est donc naturellement désigné comme l'Ennemi, l'aberration de l'enfermement est mise en oeuvre.

La sobre région des Abruzzes, aride mais besogneuse,devient le théâtre du saccage du temps, et l'on doit rendre vital le sentiment de défiance envers l'Autre.On est pris dans la contrainte d'avoir quelqu'un à détester: des vies jusque là continues, se brisent, sans faire de bruit.

Thomas Heams Ogus offre au lecteur une partition , comme tirée de cordes pincées délicatement.Cette écriture musicale, ciselée, au pouvoir hautement évocateur,peut-être poétique parfois, va subjuguer longtemps.

La dentelle des regards échangés et des regards perdus, cette singulière densité dans si peu de lignes,marquent durablement les esprits, comme la pépite d'une rencontre entre une femme et un de ces " cent seize Chinois et quelques". Lequel d'entre eux?
L'auteur ne le révèle pas, il reste dans le fugitif,l'effleuré,nous abandonnant
avec douceur, entre un sentiment d'absurdité et d'innocence bafouée.
Commenter  J’apprécie          30
L'histoire vraie de la déportation en 1942 en Italie de 116 chinois jugés dangereux parce que venant d'une nation ennemie. Arrivés dans les Abruzzes, leur installation se fait sans heurts mais leur séjour va laisser des traces. Ces 116 chinois ont aussi participé à la résistance contre Mussolini. Malgré toutes les bonnes critiques que j'ai pu lire à propos de ce roman, je n'ai pas réussi à m'y intéresser.
Commenter  J’apprécie          70


critiques presse (1)
Telerama
23 novembre 2011
De ce pan d'histoire ignorée, Thomas Heames-Ogus imagine une fable, décrit un engrenage absurde en mesurant chaque mot, évitant la psychologie pour mettre en lumière le délire politique et l'intolérance.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Être Chinois dans les Abruzzes, en ces temps, c’était avant tout être avec des Chinois, puis, semaine après semaine, avec tous les Chinois d’Italie. C’était être un parmi, acculé au rassemblement. Quand chacun d’entre eux voyait le soleil se coucher sur le Sasso, voyait partir une journée de plus, fermait ses yeux et laissait venir à lui quelques timides souvenirs, qui une rue de Sienne, qui le sourire d’une femme, il voyait en les rouvrant une grosse centaine d’hommes dont on avait décrété qu’ils étaient ses semblables. Chaque regard chinois qui se fixait sur un Chinois était une petite humiliation. Elle n’était pas toujours perçue comme telle, mais elle était comme un sable mouvant, un enfouissement. S’éviter du regard devenait comme un début de révolte intime. Mais la guerre était plus forte. Elle était ce moment où la liberté prenait la forme d’un saccage, ce moment où le saccage s’emparait du temps. Ce qui s’écoulait était des secondes de ruine et donnait le rythme dans chaque poitrine au cœur battant de l’oubli. Peut-être qu’une puissance chaotique viendrait un jour les exhumes, ces battements, et ces chairs et ces vies qui les entouraient. Peut-être qu’elle aurait la forme d’une mémoire. Cela viendrait en son temps, justement quand le tonnerre des saccages se serait évanoui dans les bruissements d’herbe de l’été.
Commenter  J’apprécie          70
Il serait dix-huit heures passées dans ce monde aux marges du monde. On serait le 16 mai 1942 dans les Abruzzes, le village s’appellerait Isola del Gran Sasso, quelques kilomètres au sud de Terramo, il ferait vingt degrés. Cette bille serait venue effleurer une tentative de monde, et sa furie serait contenue, car dans cette campagne isolée la fureur prend souvent les habits du silence. Autour d’elle le flou de sa vitesse aurait laissé place à un univers de précisions : les feuilles frissonnantes, les rides d’un homme au regard vide, la peinture qui s’écaille sur un banc public, des odeurs de terre séchée, et tant d’autres qui contribueraient à cette quiétude apparente, et donc à cette furie qui ne disait pas son nom. Elle serait à présent immobile.
Sa fin serait un commencement, face à San Gabriele, et sur son seuil trois prêtres attendant que quelque chose s’arrête, mâchoire tendue, tenus debout par l’angoisse. Ce qui se serait arrêté ne serait pas tant l’imaginaire bille de plomb qu’un convoi de camions bâchés précédés d’une imposante voiture. On l’aurait entendu arriver par la route qui provenait de Tossicia. Du seul crissement des pneus sur la route, il aurait été possible de déduire qu’un fait inhabituel était sur le point de survenir. Des voitures arrivaient de temps en temps par cette route, mais une oreille faite à ce petit pays, à ses équilibres sonores, aurait vite senti que l’inédit approchait, et très vite cela se serait vérifié. Le convoi, sa lenteur et sa nervosité auraient décrit une boucle ample devant le sanctuaire. Des carabiniers seraient descendus les premiers, indifférents aux trois prêtres, auraient mécaniquement rabattu les volets arrière des camions, auraient nerveusement fait signe à ce qui vivait à l’intérieur de s’en extraire et l’on aurait alors pu voir descendre cent seize Chinois. Oubliée, désormais, la petite sphère de métal.
Commenter  J’apprécie          10
Dans un simulacre macabre, ils firent mine de lui laisser le choix en lui proposant de rejoindre les rangs du nouveau pouvoir. Il refusa évidemment et une balle rentra dans sa nuque. Son dernier éclair de conscience fut le mot qu'il prononça. Il eût pu répondre "non". Il répondit : "jamais". Alors même qu'il était mis en joue, alors que la profondeur du temps qui lui restait à vivre était dérisoire, il eut cette superbe nuance qui lui permettait d'écarter les murs de l'univers.Ce "jamais" englobait les secondes d'avant la mort certaine et l'éternité après, bravait ce que la mort avait de frontière. Ce "jamais" que tout le bataillon allemand entendit , c'était la promesse d'une suite, une projection libre. Dans ce simple mot, il avait réussi à parler de lui, mais aussi de tous les insurgés, qui prolongeraient et donneraient vie à ce "jamais".
Commenter  J’apprécie          30
Il faudrait imaginer une bille de plomb, noire à en capter toute la lumière du jour, dense de son poids et de sa chaleur mêlés, confondus. Il faudrait l’imaginer immobile. Son socle serait une montagne. Une montagne au centre de l’Italie, presque la plus haute, pas la plus impressionnante, mais surgissant néanmoins comme une barrière naturelle face à qui viendrait de la côte peu distante. On s’en approcherait comme d’un tabou, par des vallons clairs. La courbe des collines en cacherait longtemps la raideur. Et puis elle se dévoilerait, on serait face à elle, frontière évidente, signe d’une halte indispensable à qui voudrait obstinément continuer en ligne droite vers l’ouest. Mais dire cela, c’est déjà être au pied, c’est trop tôt, pour l’instant la bille de plomb est au sommet, personne ne pourrait l’y voir. Il y aurait du vent, des oiseaux tournoyants. Cette bille de plomb serait le petit supplément d’altitude, infime et provisoire, de cette montagne. Elle serait là, il ferait jour. Et puis tout changerait. Un souffle, un basculement, un choc. Peut-être même quelque chose de tellurique et sourd. Une rupture d’équilibre, une violence. Et la bille tomberait, d’abord de son monticule, modestement, en prenant un élan fragile, déplaçant sans cesse dans l’espace sa matière et sa chaleur, prête à s’arrêter sur un replat mais non, continuant, attirée par le vide, appelée par le rien, gagnant en vitesse, brûlante et isolée dans la fraîcheur d’altitude. Chutant. Elle gagnerait vite la limite, presque une ligne de niveau, entre le sommet rocailleux à la pente vertigineuse et la large base arborée, comme en soutien. Elle y parviendrait vite, après une quantité dénombrable de chocs sur les pierres, contacts éphémères pour mieux repartir pour d’autres rocs, ceux que leur histoire individuelle aurait placés sur sa trajectoire. Une fois la forêt atteinte, là où la pente s’adoucit, là où l’air est plus humide, peut-être que la bille ralentirait mais alors imperceptiblement, pour l’heure toujours ivre de sa vitesse à travers les sapins blancs. Chaque point de sa surface minuscule serait soumis aux subites et irrégulières alternances d’ombres et de lumière, quoique cette irrégularité eût été parfaitement indécelable à qui aurait prêté attention à cette bille de plomb, mais personne ne le ferait, et puis la bille n’existe pas. À peine freinée par ses chocs, elle passerait peut-être près d’un refuge, peut-être près d’un homme courant vers ce refuge. Épuisé, bouche ouverte, tempes prêtes à éclater, front perlé d’une sueur acide qui attaquerait ses yeux, mais voit-on ces périls, voit-on ces menaces, cet homme existe-t-il ? Alors, son inertie étant son seul maître, elle poursuivrait sa course, elle laisserait cette apparition à son statut de prémices. Ses chocs avec la terre meuble s’étoufferaient bien plus que ceux contre la rocaille du sommet, déjà loin, déjà de l’histoire, et déjà donc de l’oubli. Toujours loin des hommes, elle s’en rapprocherait pourtant et bientôt l’histoire commencerait, un choix arbitraire de début et de fin, un voile sur l’avant, la fuite de l’après. Dans l’ombre, dans ces chocs à peine lus longs, la bille sentirait les battements des cœurs des hommes du lointain, qui se transmettent aux poitrines et parcourent les corps, puis les quittent pour diffuser dans la forêt silencieuse.
Commenter  J’apprécie          00
La brutalité assenée à l'Italie empêcha les amitiés et les alliances. Mais les habitants d'Isola, ce petit peuple de montagnes, qui avait à la vérité édifié plus de refuges d'altitude que d'églises rutilantes, savait aussi, dans sa distance, dans sa réserve, dans son refus de s'étendre sur ces passages imprévus, dans sa réticence à toute démonstration impudique, lancer des indices discrets qui ne se payaient pas de mots, mais disaient aux Chinois qu'au-delà de leur gouffre, au-delà de leur nuit, des portes leur étaient ouvertes et qu'un jour, quand cette inertie se fracasserait enfin, on se retrouverait et on pourrait écrire ensemble une histoire un peu plus digne.
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Thomas Heams-Ogus (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Thomas Heams-Ogus
Portrait(s) d'un premier roman : Thomas Heams-Ogus
autres livres classés : abruzzesVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus

Lecteurs (58) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1721 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}