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EAN : 9782268103587
376 pages
Les Editions du Rocher (19/08/2020)
3.25/5   10 notes
Résumé :
Florian est vendeur dans un magasin de DVD. Seul, il assiste au jeu du monde sans y trouver de place. Tout bascule quand il rencontre Olivier, régisseur atypique embauché sur le tournage d'une série à succès, qui le nomme assistant.
L'équipe de télévision investit une usine désaffectée pour y installer ses décors, mais découvre qu'un groupe de sans-papiers maliens s'y est installé. La cohabitation fortuite est perturbée par une bataille politique et administr... >Voir plus
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Femme noire et mariage blanc

Pour son premier roman, François Hien a imaginé qu'une équipe de cinéma et une communauté de migrants se retrouvaient dans un même lieu. Une confrontation aux conséquences inattendues.

On peut dire que Florian était au bon endroit au bon moment. Quand Olivier, le régisseur d'une série télé entre dans son magasin de DVD, il ne se doute pas que sa vie va basculer. À 28 ans et après une série de petits boulots – d'employé dans un centre d'appels à veilleur de nuit dans un hôtel – il n'hésite pas à demander si la production a besoin d'aide. Et le voilà engagé comme assistant-régisseur.
Dès le premier jour aux côtés d'Olivier, il va se sentir à l'aise et apprendre très vite, même si jusque-là, il n'avait pas vraiment brillé par sa sociabilité. Il habite avec sa mère, n'a quasiment pas d'amis et encore moins de petite amie. le producteur de Jeux dangereux a choisi d'installer toute l'équipe dans une immense usine désaffectée offrant l'espace disponible à la construction des décors, ce qui va permettre de réaliser des économies conséquentes. Et si les coûts de production vont vite devenir un thème récurrent du roman, l'équipe va d'abord devoir régler un autre problème: ils ne sont pas seuls dans l'ancienne usine de jeux de baby-foot.
Des migrants squattent les lieux. Se disant sans-papiers, ils se déclarent maliens et cherchent les moyens de s'installer, soutenus par des associations d'aide. Très vite pourtant les deux parties vont trouver un terrain d'entente et cohabiter.
Pour le producteur, ces migrants sont même du pain bénit, car leur combat contre l'expulsion pourrait détourner les syndicalistes de leurs revendications pour des conditions de travail respectueuses des conventions collectives. le malheur des uns…
Cependant, au fil des jours, la tension va croître de part et d'autre. le groupe de migrants va se scinder et adapter des stratégies différentes, les acteurs et techniciens de la série vont se rendre compte qu'ils pourraient faire les frais de cette politique d'économies à outrance. du coup, de nouvelles solidarités vont émerger, de nouvelles idées vont émerger. Comme celle de marier Bintu, menacée d'être renvoyée dans son pays, à Florian. Un mariage blanc organisé de telle manière que les autorités ne pourront que donner leur aval à cette union. Un pavillon abandonné servira de nid d'amour au couple. Sauf qu'à peine installé, les ennuis commencent, la maison faisant l'objet de convoitises qui vont tourner à l'affrontement et à l'arrestation puis la conduite de deux migrants en centre de rétention.
François Hien a très habilement construit son roman en élargissant l'aspect initiatique du début – Florian va trouver l'amour et grimper les échelons – aux questions de société – la réduction des budgets des productions télévisuelles, la question migratoire – sans oublier l'insécurité. le tout culminant avec la création d'un collectif intitulé «Les soucieux» et destiné à venir en aide aux «Maliens». Même si je reste persuadé que le roman aurait sans doute gagné en dynamisme et en rythme s'il avait été élagué d'une centaine de pages, il n'en reste pas moins une jolie découverte de cette rentrée.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Publication le 19 août 2020 aux Editions du Rocher

François Hien est auteur de théâtre, d'essais, comédien et réalisateur de films. Les Soucieux est son premier roman et il n'a pas choisi un thème facile : des réfugiés sans papiers et des banlieusards petits-bourgeois qui s'engagent pour eux ! J'appelle ça un « sujet casse-gueule » !

Tous les personnages sont présentés en début du livre comme pour une pièce de théâtre et j'ai trouvé ça très bien car il y a une multitude de personnes qui apparaissent, évoluent, viennent au-devant de la scène puis s'effacent pour certains.

Je recopie une partie du résumé, je n'arriverais pas à faire mieux (ni plus court) !

Résumé :
« Florian est vendeur dans un magasin de DVD. Seul, il assiste au jeu du monde sans y trouver sa place. Tout bascule quand il rencontre Olivier, régisseur atypique embauché sur le tournage d'une série à succès, qui le nomme assistant.
L'équipe de télévision investit une usine désaffectée pour y installer ses décors, mais découvre qu'un groupe de sans-papiers maliens s'y est installé. La cohabitation fortuite est perturbée par une bataille politique et administrative. Comédiens et techniciens décident alors de venir en aide aux réfugiés, et de former un groupe militant : les Soucieux. »

Malgré l'investissement en groupe, François Hien a pris le temps de faire évoluer ses personnages individuellement, avec leurs désirs, leurs craintes, leurs idéaux et leur image préconçue de ce qu'ils doivent faire. Poussés par leur besoin de se sentir vivants, concernés et par leur goût du conflit, ces petits-bourgeois de banlieue vont oublier la seule chose primordiale : être à l'écoute de ces réfugiés ! Les grandes idées et la bonne volonté apparente ne suffisent pas et leurs illusions tournent au cauchemar !

Comme le disent certains, l'écriture est « fluide » mais par moment arrive une phrase alambiquée qui fait perdre le fil de l'histoire ! Heureusement c'est assez rare dans le texte mais là je ne parle pas des communiqués des divers groupes d'aide aux migrants (tout aussi à côté de la plaque) !

Ce roman est plutôt une réussite !

#LesSoucieux #NetGalleyFrance

CHALLENGE MULTI-DEFIS 2020
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Dans une ville de l'est de l banlieue parisienne( pas nommée), une équipe de tournage investit une usine désafectée ; elle découvre sur place un groupe de sans-papiers maliens, déjà installés. Les deux groupes décident de cohabiter dans l'usine.

Olivier, régisseur du tournage, tente de créer des liens entre les deux univers, pour établir une utopie dont il n'imagine pas qu'elle puisse franchir les frontières de l'usine. Mais des événements surviennent, qui obligent l'équipe du tournage à se transformer en un groupe militant : « Les Soucieux ». Voilà ces utopistes ramenés à un « réel » qu'ils avaient imprudemment congédié.

François Hien, est un jeune dramaturge bien connu dans la région : sa pièce "la Crèche" a connu un beau succès à Saint Etienne et il est également artiste associé aux Célestins, et travaille actuelleent à la réalisation d'un projet en partenariat avec l'Opéra de Lyon sur la révolte des Canuts

Il a délaissé pour un temps le monde du spectacle vivant pour ce premier roman Les Soucieux, au sujet casse gueule et très contemporain : la cohabitation entre les bobos bien pensants et des migrants.

Nourri d'enquête et de rencontres, ce roman, très documenté, réaliste (longues scènes de procédures administratives) mais parfois plus lyriques , dresse le portrait d'une société ivre de parole et d'opposition factice, où les bons sentiments se confrontent souvent à la réalité et où les idées reçues vont voler en éclat.

Il y a bien ici et là quelques maladresses dans l'écriture mais dans l'ensemble, la narration de plus 400 pages tient bien son approche psychologique et humaine d'un sujet pas évident à traiter...
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Les soucieux nous plonge dans la confrontation de deux mondes assez lointain qui se rencontrent sans véritablement se comprendre.
Une équipe de tournage s'installe dans une usine désaffectée pour y tourner une nouvelle série mais un groupe de sans-papier y a déjà élu domicile. Au lieu de les faire partir, un petit groupe des membres de la série vont tenter de les aider à les intégrer.

Nous suivons plusieurs personnages qui auront d'ailleurs leur partie dans le livre, alors qu'Olivier et Florian m'ont beaucoup plu, la partie des Soucieux a été pour moi plus laborieuse à lire. Au fur et à mesure de ma lecture je me suis un peu lassé. Peut-être parce qu'il y a beaucoup (trop?) de personnages, on a du mal à les suivre et cela complexifie l'intrigue sans l'aider.

Pourtant le style de l'écrivain est plaisant et se lit très bien. On sent que l'auteur a d'abord écrit du théâtre car tout dans ce roman fait penser à une pièce.

En bref, c'est un bon roman mais qui m'a perdu au fil de la lecture. Dommage...
Je remercie Les éditions du Rocher et Babélio pour m'avoir fait découvrir ce livre et cet auteur.
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Je savais en commençant ce livre qu'il avait toutes les chances de ne pas me plaire. Je ne suis absolument pas habitué à lire des récits contemporains, et en plus le sujet abordé dans ce roman ne me tentait pas plus que ça.

J'aurais pu recevoir une grosse claque en lisant ce roman, ou simplement être conquis par un récit qui se démarquerai de par son originalité ; malheureusement, mon sentiment de départ vis-à-vis de celui-ci est resté tout au long de ma lecture.
Le roman est très ancré dans notre époque : une équipe de télévision tourne une série dans une usine désaffectée, occupé également par des réfugiés Maliens. Les membres de l'équipe vont former un groupe militant afin de soutenir les Maliens, qu'ils appelleront les Soucieux.

Le problème majeur de cette histoire est pour moi les détails administratifs dont elle est parsemée ; cela la rend indigeste, et je me suis parfois demandé durant ma lecture si je ne lisais pas un passage du Code Civil. Cette histoire n'a pour moi aucun impact, et aucune morale finale. Elle est posée là sans créer de vrais questionnements et n'a pas du tout résonné avec moi. Ajoutez à cela des personnages froids qui ne semble pas maître de leur vie, des scènes de sexe qui ne servent à rien et des présentations de personnage toutes les 30 pages ; le cocktail était mauvais, et j'ai cul sec la fin (pour ne pas me créer de panne de lecture).
C'est dommage, car l'auteur a une plume fluide, et est capable de nous délivrer certaines scènes intéressantes, remplies d'émotions (comme par exemple celle des vieux retraités).

Je ne m'étale pas plus longtemps sur ce roman que je n'ai pas du tout aimé. Il a l'air de tout de même trouver son public ; tant mieux, mais ce public, c'est sûr que je n'en fais pas partie.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
INCIPIT
OLIVIER
Ce printemps-là, des soldats français combattaient dans le nord du Mali. Le pape avait démissionné. De nombreux migrants débarquaient en rafiots sur des îles italiennes.
L’usine se dresse au bord des rails du RER, en deuxième couronne de la périphérie parisienne, à Montigny. La rue le long des rails s’appelle Henri-Barbusse, tandis que les adjacentes portent les noms de Maurice-Thorez, Georges-Marchais ou Colonel-Fabien, témoins d’un demi-siècle d’élections locales remportées par le Parti communiste.
Autrefois, l’usine fabriquait des figurines de baby-foot. Un long cube de béton abritait les chaînes de fabrication ; les bureaux de l’entreprise se trouvaient dans une aile de briques rouges. Un escalier extérieur plonge dans les herbes et les chardons qui ont envahi le parking.
La partie sud de la ville a été industrielle. Plusieurs quartiers ouvriers entouraient de grandes usines chimiques où les patrons logeaient leurs employés ; ne restent que les maisons des contremaîtres, transformées pour certaines en villas bourgeoises, tandis que de rares retraités de l’industrie terminent de mourir dans les autres. Les logements des ouvriers, petits immeubles de brique, ont été remplacés par des blocs à plus grande contenance, composant la tristement célèbre cité des Glaïeuls, « territoire perdu de la République » selon le député local.
L’usine a été rachetée par la ville voici quelques années, mais le changement de majorité municipale a ralenti les projets d’aménagement.
Pour l’heure, elle attend ses personnages, et ne sait pas qu’ils vont être d’un genre nouveau. Nous sommes en 2013.
« Et c’est pour longtemps que ta vie est provisoire ? »
Ce printemps-là, Florian a vingt-huit ans. Vendeur dans un magasin de DVD, il vit avec sa mère, qui travaille comme aide-soignante. Il n’a pas d’amoureuse et plus d’amis. Son réflexe de dérision lui interdit d’entreprendre une chose dont il pourrait lui-même se moquer. Cette ironie constante est devenue censure intérieure. Il s’est retranché du monde, et n’acceptant aucune de ses règles, il a fini par les subir toutes.
Son père est parti quand il avait cinq ans. Sa mère travaille de nuit. Depuis toujours, Florian passe ses soirées seul, devant la télé. Il se méfie des gens de conviction, il y voit une sorte de faiblesse. Il est rondouillard – un physique qui le préserve du marché de la séduction, dont il craint de ne pas maîtriser les codes.
Après avoir abandonné la fac en première année, Florian a enchaîné les petits boulots. Planté au sommet des escaliers d’une station de métro, il classait les usagers par catégorie d’âge et de sexe. Le soir, il regardait la feuille qu’il avait noircie, censée rendre compte de la diversité humaine qui s’était déployée sous ses yeux : 1 300 passagers, dont 724 femmes et 467 jeunes ; qu’est-ce que ce résumé racontait des mondes qui s’étaient entrechoqués sous ses yeux, chacun suffisant pour lui-même ? Florian ne croyait à rien de ce qu’il était. Tout s’était aggloméré à lui comme corps étranger : vêtements, attitude, parole, savoir… Il n’était pas malheureux : le malheur eût été un chez lui, il y aurait pris ses marques. Non, Florian était en exil, hors de lui-même, perdu dans l’objectivité dont son travail statistique lui donnait la posture.
Il avait fait ensuite du marketing par téléphone. Il appelait des inconnus, choisis arbitrairement dans une liste par un ordinateur. Il partit sur un coup de tête, après avoir entendu dans sa propre voix une intonation déplaisante. C’était la voix de celui qui s’investit dans ce qu’il fait.
Il devint veilleur de nuit dans un hôtel. Ce travail lui plaisait bien. L’hôtel silencieux teintait d’étrangeté son retranchement du monde. Les longs couloirs vides donnaient à sa solitude un aspect onirique, comme s’il était aux portes du monde. Il se masturbait pour passer le temps, déployant dans sa tête de savants mélanges de fantasmes et de réminiscences.
Ces histoires devaient être plausibles ; l’hôtel en était le décor principal : une cliente réclamait du champagne, et le recevait vêtue d’un peignoir bâillant ; une collègue se changeait devant lui, au vestiaire des employés ; une autre cliente le sollicitait pour l’aider à enfiler sa robe. Florian jouissait en silence dans les toilettes de l’hôtel, puis laissait la scène s’achever en lui, comme s’il eût été malpoli de n’avoir fait vivre ses personnages que le temps d’assouvir son désir.
À cette époque, la solitude lui pesait. Il en attribua la cause à ses horaires et quitta l’hôtel.
Devenu vendeur dans une boutique de DVD, il n’a cependant rien entrepris pour retrouver une vie sociale. Au matin, il reste de longs moments les yeux ouverts, dans son lit, sans savoir pourquoi se lever. Il soigne sa détresse par ce qui l’a accablé la veille : l’oubli par la télé.
La première fois qu’il voit Olivier, dans sa boutique, Florian lui trouve l’air d’un clochard, avec son grand manteau de feutre usé dont les pans battent autour de lui. Mine burinée, corps vif, quoique un peu bedonnant, front large et plissé. Un pantalon de toile sombre, plein de poches, un tee-shirt dont il a découpé le col au cutter pour l’élargir. Des poils de torse en jaillissent, gris pour la plupart. Une cinquantaine d’années peut-être, mais le regard est plus jeune.
— Excuse-moi, il y a un téléphone fixe dans cette boutique ? demande Olivier.
— Oui, répond Florian, pris de court.
— Merci, c’est bien aimable de ta part.
Olivier fait le tour du comptoir sans y avoir été invité.
— Tu peux pas savoir, tu demandes à des vendeurs si tu peux passer un coup de fil, t’as l’impression de leur voler la caisse. Il est où, ce téléphone ?
Florian désigne l’arrière-boutique. Olivier feuillette un petit carnet sorti de sa poche, plein de papiers raturés.
— Il y a même une vendeuse qui m’a fait la leçon, genre tu crois que c’est gratuit, le téléphone ? Tu te rends compte, défendre à ce point l’argent de son patron…
Il tapote le numéro sur le cadran du téléphone et laisse sonner.
— Allô, Michel ? Oui, c’est moi…
Olivier claque ses doigts sous le nez de Florian et lui fait signe de lui donner de quoi écrire. Décontenancé, Florian lui tend son stylo de caisse.
— Écoute mon vieux, continue Olivier au téléphone, j’aurai un portable le jour où tu m’en paieras un. J’ai de quoi noter, je t’écoute.
Olivier griffonne un numéro, raccroche, puis le compose.
— Tu t’organises bien, tu as pris rendez-vous, râle-t-il, sans que Florian sache si son monologue lui est destiné, les types sont pas là, et c’est encore de ta faute. De toute façon, c’est toujours de ta faute quand t’as pas de portable. On a essayé de vous appeler, qu’ils disent, comme si c’était une excuse. Oui, allô ? Olivier Decatini, chef-régisseur sur Jeux dangereux. On avait rendez-vous il y a une heure, je dois récupérer le matériel de régie pour notre tournage. O.K., rappelez-moi à ce numéro, mais vite.
Après avoir raccroché, Olivier reste assis devant le téléphone.
— Le type parle avec ses gus, me rappelle, et je m’en vais. Je vais te dire, deux minutes de répit, c’est suffisamment rare pour que j’en profite. Quand les panneaux dans le métro annoncent cinq minutes d’attente, je le prends comme un cadeau. Cinq minutes où le métro bosse pour moi, je n’ai qu’à le laisser venir. Ils croient tous que tu seras plus efficace si on peut te harceler au téléphone. Ils naviguent à vue ces gens, ils ont besoin qu’on les actualise tous les quarts d’heure.
— Vous savez, dit Florian timidement, je vais fermer. J’ai une heure de pause à midi.
— Tu la prends où, ta pause ? Tu déjeunes dans le quartier ? Je vais te proposer un truc : on attend mon coup de fil, et je t’invite à manger dans le coin pour te remercier.
— En général je mange ici, j’achète des surgelés, on a un frigo et un micro-ondes.
— Aujourd’hui tu vas éviter la bouffe de cosmonaute. Je ramène deux plats du jour du bistrot d’à côté. Pendant que je suis sorti, dit-il en se levant, si mon type rappelle, tu veux bien noter la commission ?
Tout le temps qu’Olivier a occupé la petite pièce, Florian s’est demandé comment s’en débarrasser. À présent qu’il est sorti, il se rend compte que la rencontre lui plaît.
Quand le régisseur revient, les deux plats du jour à la main, Florian est tout content de lui montrer le papier où il a noté les appels reçus en son absence.
— Attends mon vieux, on va installer notre gueuleton tant que c’est chaud. Je leur ai pris un quart de rouge dans une bouteille en plastique. Moi je ne bois pas, c’est pour toi.
Le corps puissant d’Olivier semble tenir difficilement dans la petite pièce. Il met la table au centre, deux chaises de part et d’autre, lave deux tasses à café qui serviront de verres.
— Votre correspondant a rappelé, dit Florian une fois assis.
— Est-ce que les informations que tu détiens sont urgentes ? le coupe Olivier.
— Je ne crois pas.
— Alors si tu veux bien, on remet ça au café.
Ils mangent en silence. Florian aurait préféré raconter les coups de téléphone. Il se sent rattrapé par son insignifiance.
– C’est quoi ta situation ici ? Tu es gérant ? — Non. Je ne suis même pas en CDI. C’est provisoire.
— Et c’est pour longtemps que ta vie est provisoire ? Florian est agacé. Il a toléré le gars dans son arrière-boutique, mais il ne faudrait pas qu’il lui fasse la leçon.
— Cette expression est bizarre, tu ne trouves pas ? reprend Olivier. Tout est provisoire, on va tous crever, alors pourquoi le dire ? En disant que c’est provisoire, tu rends ta situation tolérable et tu oublies de la changer. Les situations pénibles, il faut s’imaginer que c’est pour toujours.
— C’est facile de dire ça, répond Florian d’un ton sourd. C’est bon pour ceux qui ont les moyens de changer de vie. Vous croyez qu’on vous a attendu pour avoir envie d’en changer ?
— Excuse-moi. Je ne pensais pas te vexer. Je dis ça comme ça.
Un silence. Florian se reproche d’avoir été trop vif, c’est lui qui reprend.
— C’est vrai qu’on pourrait s’y prendre autrement. P
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— Ça te dirait de continuer à prendre mes messages ? Je n’aime pas que les gens puissent me joindre et ça me donne du prestige d’avoir un secrétaire. Quinze euros par jour pour la permanence téléphonique ?
— Ça ne m’intéresse pas, dit Florian d’un ton sûr. Ce que je veux, c’est changer de branche. Je vous sers de secrétaire depuis ma boutique de DVD, mais vous m’apprenez votre métier. J’ai compris pas mal de trucs en relevant vos coups de fil. Par exemple, je sais que vous cherchez un assistant.
C’est là que tout commence. »
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«Et c’est pour longtemps que ta vie est provisoire ?»

Ce printemps-là, Florian a vingt-huit ans. Vendeur dans un magasin de DVD, il vit avec sa mère, qui travaille comme aide-soignante. Il n’a pas d’amoureuse et plus d’amis. Son réflexe de dérision lui interdit d’entreprendre une chose dont il pourrait lui-même se moquer. Cette ironie constante est devenue censure intérieure. Il s’est retranché du monde, et n’acceptant aucune de ses règles, il a fini par les subir toutes.

Son père est parti quand il avait cinq ans. Sa mère travaille de nuit. Depuis toujours, Florian passe ses soirées seul, devant la télé. Il se méfie des gens de conviction, il y voit une sorte de faiblesse. Il est rondouillard – un physique qui le préserve du marché de la séduction, dont il ne craint de ne pas maîtriser les codes.

Page 13
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"Florian sent qu'il appartient à leur monde. Il s'offre le luxe de l'oublier un temps auprès de ses prestigieux amis du tournage ; il ne songe pas à contester cette société d'ordres dont il a indûment franchi une frontière symbolique, mais d'où il ne doute pas qu'on le chassera bientôt; profitons en tant que ça dure."
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Vidéo de François Hien
François Hien présente son premier roman, "Les Soucieux", à paraître aux éditions du Rocher, le 19 aout 2020.
Présentation de l'éditeur : Florian est vendeur dans un magasin de DVD. Seul, il assiste au jeu du monde sans y trouver de place. Tout bascule quand il rencontre Olivier, régisseur atypique embauché sur le tournage d'une série à succès, qui le nomme assistant. L'équipe de télévision investit une usine désaffectée pour y installer ses décors, mais découvre qu'un groupe de sans-papiers maliens s'y est installé. La cohabitation fortuite est perturbée par une bataille politique et administrative. Comédiens et techniciens décident alors de venir en aide aux réfugiés, et de former un groupe militant : les Soucieux. Florian se retrouve vite pris dans l'engrenage d'un scénario où se mêlent invariablement lutte et idéal, jusqu'à ce que la réalité implacable vienne le sortir de la fiction. Quand le rideau tombe et l'illusion cesse, chacun doit choisir son rôle.
François Hien : François Hien est dramaturge et réalisateur. Ses films ont été diffusés dans des festivals internationaux. Il a écrit, en 2016, La Crèche, son premier texte de théâtre, et un essai sur le même sujet : Retour à Baby-Loup (Éditions Petra). Il a également créé, avec Nicolas Ligeon, la compagnie L'Harmonie Communale, destinée à porter sur scène ses pièces : La Crèche, L'Affaire Correra, Olivier Masson doit-il mourir ?, La Honte. En collaboration avec l'Opéra de Lyon, il mène actuellement un projet autour de la révolte des Canuts, Échos de la Fabrique. Les Soucieux est son premier roman.
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