Une heure sonna. - C'est assez pour aujourd'hui, dit le baron. Va, mon fils, et reviens bientôt. - Tiens, prends ceci.
Le baron me remit une papillote, dans laquelle je trouvai un beau ducat hollandais cordonné. Dans l'excès de ma surprise, je courus trouver mon maître, et je lui racontai tout ce qui s'était passé. Il se mit à rire aux éclats. - Tu vois maintenant comment les choses se passent avec notre baron et ses leçons, me dit-il. Il te traite en commençant, et ne te donne qu'un ducat par leçon. Quand tu auras fait des progrès, selon lui, il augmentera tes honoraires. Moi, je reçois maintenant un louis, et Durand a, je crois, deux ducats. Je ne pus m'empêcher de lui remontrer qu'il n'était pas bien de mystifier ainsi ce bon vieux gentilhomme, et de lui tirer ses ducats de la sorte. - Sache donc, lui dit le maître, que tout le bonheur du baron consiste à donner ses leçons; que si moi et d'autres maîtres nous repoussions ses conseils, il nous décrierait dans le monde musical, où il passe pour un juge infaillible; que d'ailleurs, exécution à part, c'est un homme qui entend parfaitement la théorie de l'art, et dont les réflexions sont extrêmement judicieuses. Visite-le donc assidûment, et, sans t'arrêter aux folies qu'il débite, tâche de profiter des éclairs de sens et de raison qu'il montre chaque fois qu'il parle de la philosophie de l'art: tu t'en trouveras bien.
J'étais à Berlin, très jeune, j'avais seize ans, et je me livrais à l'étude de mon art, du fond de l'âme, avec tout l'enthousiasme que la nature m'a départi. Le maître de chapelle Haak, mon digne et très rigoureux maître, se montrait de plus en plus satisfait de moi. Il vantait la netteté de mon coup d'archet, la pureté de mes intonations; et bientôt il m'admit à jouer du violon à l'orchestre de l'Opéra et dans les concerts de la chambre du roi. Là j'entendais souvent Haak s'entretenir avec Duport, Ritter et d'autres grands maîtres, des soirées musicales que donnait le baron de B***, et qu'il arrangeait avec tant d'aptitude et de goût que le roi ne dédaignait pas de venir quelquefois y prendre part. Ils citaient sans cesse les magnifiques compositions de vieux maîtres presque oubliés qu'on n'entendait que chez le baron, - qui possédait la plus rare collection de morceaux de musique anciens et nouveaux; - et s'étendaient avec complaisance sur l'hospitalité splendide qui régnait dans la maison du baron, sur la libéralité presque incroyable avec laquelle il traitait les artistes. Ils finissaient toujours par convenir d'un commun accord qu'on pouvait le nommer avec raison l'astre qui éclairait le monde musical du Nord.
Tous ces discours éveillaient ma curiosité; elle s'augmentait encore bien davantage lorsqu'au milieu de leur entretien les maîtres se rapprochaient l'un de l'autre, et que, dans le bourdonnement mystérieux qui s'élevait entre eux, je distinguais le nom du baron, et que, par quelques mots qui m'arrivaient à la dérobée, je devinais qu'il était question d'études et de leçons musicales. Dans ces moments-là, je croyais surtout apercevoir un sourire caustique errer sur les lèvres de Duport; et mon Maître était surtout l'objet de toutes les plaisanteries dont il se défendait faiblement jusqu'au moment où, appuyant son violon sur son genou pour le mettre d'accord, il s'écriait en souriant: - Après tout, c'est un charmant homme!
Ils citaient sans cesse les magnifiques compositions de vieux maîtres presque oubliés qu’on n’entendait que chez le baron, – qui possédait la plus rare collection de morceaux de musique anciens et nouveaux ; – et s’étendaient avec complaisance sur l’hospitalité splendide qui régnait dans la maison du baron, sur la libéralité presque incroyable avec laquelle il traitait les artistes. Ils finissaient toujours par convenir d’un commun accord qu’on pouvait le nommer avec raison l’astre qui éclairait le monde musical du Nord.
Tous ces discours éveillaient ma curiosité ; elle s’augmentait encore bien davantage lorsqu’au milieu de leur entretien les maîtres se rapprochaient l’un de l’autre, et que, dans le bourdonnement mystérieux qui s’élevait entre eux, je distinguais le nom du baron, et que, par quelques mots qui m’arrivaient à la dérobée, je devinais qu’il était question d’études et de leçons musicales. Dans ces moments-là, je croyais surtout apercevoir un sourire caustique errer sur les lèvres de Duport ; et mon maître était surtout l’objet de toutes les plaisanteries dont il se défendait faiblement jusqu’au moment où, appuyant son violon sur son genou pour le mettre d’accord, il s’écriait en souriant : – Après tout, c’est un charmant homme !
Ainsi, dit le baron en se tournant vers moi, c'est le violon que tu as choisi pour ton instrument, mon garçon? Mais as-tu bien pensé que le violon est le plus difficile de tous les instruments qui aient jamais été inventés? Sais-tu que cet instrument cache, sous sa simplicité presque misérable, les plus voluptueux trésors de tons que la nature ait produits; que ces cordes et ce bois sont un tout merveilleux qui ne se révèle qu'à un petit nombre d'hommes élus du ciel? Sais-tu certainement, ton esprit te dit-il avec fermeté, que tu pénétreras au fond de ce mystère? D'autres que toi, et en grand nombre, ont cru à leur vocation, et sont restés toute leur vie de pitoyables racleurs. Je ne voudrais pas te voir augmenter le nombre de ces malheureux, mon fils. - Bon! tu vas me jouer quelque chose; et je te dirai où tu en es, et tu suivras mon conseil.
- Allons! dit le baron, nous allons commencer la leçon. File un son, mon garçon, et soutiens-le le plus longtemps que tu pourras. Ménage l'archet, ménage l'archet: l'archet est pour le violon ce qu'est l'haleine pour le chanteur.
VLEEL 215 Rencontre littéraire autour d'E.T.A Hoffmann, Éditions du Typhon, Lecture Laurent Stocker