Donc «
Une rue étrange » narre l'histoire du sergent britannique Jeremy
Hitchens, envoyé à Belfast. le roman date de 1984. A Belfast, c'est l'année où
Gerry Adams, le député britannique, membre du Sinn Fein, est blessé par balle. L'IRA provisoire fait également exploser une bombe à Brighton, en Angleterre, pendant le Congrès du parti conservateur anglais. Mais en fait ce ne sera pas la situation à Belfast qui est importante, c'est le souvenir de Alan Mulvanney, que Eileen, la mère de Jeremy a aimé il y a une trentaine d'années de cela. A partir de là, on passe à une certaine nostalgie. Trois grandes parties, Enfance, Adolescence et Lendemains rythment la vie. « Alan était obsédé par des histoires d'amour, évoquant sans cesse de grands exemples historiques ». Il faut dire que Alan était écrivain. Mais une fois le roman terminé, « il prit son manuscrit sous le bras, le rapporta chez lui, l'enferma dans un tiroir. Peut-être avait-il peur de sa dimension sexuelle, de ces accouplements entre homme et homme, entre homme et femme, entre cygne et cygne». Son roman reste ainsi consigné dans un tiroir. Pourquoi ces cygnes qui reviennent souvent dans le texte. « Il devait y avoir des cygnes sur la Shannon et de vieilles matrones en train de boire un verre de vin rouge à l'hôtel ». Tout commence par une histoire dans un roman que lui lit la logeuse. Un jeune couple « trouve refuge dans le château que la jeune femme possède au Connemara, où ils survivent en se nourrissant de bigorneaux et de cygnes. Or une vieille malédiction irlandaise pèse sur ceux qui mangent les cygnes, et les amants finissent séparés; elle se marie à Anvers tandis qu'il voyage jusqu'en Andalousie, où il épouse une jeune fille marocaine et vit très vieux parmi les orangers et la pourpre des arbres de Judée ». Il y a donc sous jacent sous ce thème la séparation et le malheur, qui reviennent tout au long du livre. « La jeunesse s'enfuit avant qu'on ait pu voir un cygne perdre la moindre plume » était déjà dans «
le Garçon aux Icones »
Irlandais de nature, ou plutôt de coeur, il vivait à Dublin. Sa logeuse avait peur des bombes, on est pendant la seconde guerre. « Certains soirs, il prenait le bus pour aller en ville, passait devant les affiches annonçant les dernières nouvelles du front, les femmes en noir qui attendaient, la Liffey menaçante, vêtu d'un long manteau, écharpe autour du cou ». « Alan allait parfois explorer la campagne, arpenter les collines, surplomber Dublin, manger l'herbe en chemise blanche. C'était l'occasion d'être seul ».Tout jeune il écrit également un poème sur « M. Bonhomme-de-neige ». Ce sera prétexte pour sa tante de lui montrer des scènes de nativité. « Alan fut impressionné en particulier par les mages, la myrrhe, l'or et l'encens pieusement rehaussés de couleurs choisies ». C'est une autre obsession de
Desmond Hogan, que ce gout des couleurs. La nature avec « tant de vert au bout de la rue […] et le brasier des boutons d'or ». Cela m'avait déjà interpellé dans ses premiers romans traduits.
Dans toute cette première partie, on lit des allusions à la guerre, via les bombardements qui ont eu lieu en Irlande. Il y a les camps de concentration en filigranes, dont on a écho par personnes interposées. Sans plus, et sans violence. C'est en fait l'histoire d'Allan Mulvanney, et incidemment celle de Eileen Carmody, puis de Thomas
Hitchens, son mari, le père de Jeremy.
Il y aura ensuite les années d'école avec Mrs Hearne, et l'amitié qui va se nouer avec tout d'abord, Martin et Lily, puis Eugene et Cherine. Mais dès le début du chapitre, cette dernière « commence à travailler deux jours par semaine chez les bonnes soeurs, deux jours par semaine chez le fleuriste et vendeur de glaces au bout de la rue ». Amoureuse d'un garçon qui est « parti combattre en Espagne […] Franco qui est un fasciste », le garçon ne reviendra pas. Puis l'auteur retourne à l'histoire d'Alan, qui découvre son homosexualité, sans toutefois encore en être pleinement conscient.
Avec la troisième partie, l'auteur nous emmène aux Saintes Maries de la Mer. « C'étaient les monstres et les rois de mon enfance, les gipsys ». Puis, retour en Irlande. « Jeremy écrivit pour annoncer qu'il avait été promu sergent.[…] Comment il avait réussi à berner à ce point l‘armée ». Et il va se marier avec Marion. Et toujours l'Irlande en toile de fond, avec ses batailles, ses morts, ses chagrins, la douloureuse « conscience d'un chemin à jamais perdu ».