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EAN : 9782714307125
336 pages
José Corti (17/02/2000)
4/5   2 notes
Résumé :
Esztena, disparue dans Paris, s'est évanouie de son pays natal de Fels, qu'elle a peut-être fui. Son cousin, parti à sa recherche, l'imagine endormie chez un prétendu comte belge qui, espère-t-il avec délices, la garderait prisonnière. Le « comte », ou plutôt son compagnon, le cynique Audin, mène le trop innocent narrateur aux portes d'un autre menteur, qui prétend, lui, faire écouter aux survivants les gémissements des morts dans les caves d'un pavillon de banlieue... >Voir plus
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Le rêve commence toujours ainsi : je vois Esztena traverser une pièce sans lumière dans laquelle se tient le comte. Elle porte une robe qui paraît rouge et c’est bien l’Esztena du monde éveillé, jamais une autre à laquelle j’aurais donné ce nom. Parfois Esztena parle, parfois elle se tait; parfois elle marche vers le milieu de la pièce et sa main se tend; vers moi, me dis-je, vers moi ; c’est vers le comte. Dans certaines versions du rêve il se passe avec lui des choses effroyables. Esztena tire les rideaux sur le cadavre infâme du comte. Esztena soudain livide est dépecée par les griffes du comte. Je pleure, ou plutôt jappe ainsi qu’un chien.
J’ai fait l’un de ces rêves la nuit où nous sommes arrivés en France. Robe parfois rouge, tentures beiges de la chambre du comte vers qui de nouveau Esztena marchait sans inquiétude; je me suis réveillé dans une rue déserte où le car s’était arrêté. La tête de Schullerus pesait sur mon épaule. Je me suis demandé s’il rêvait d’Esztena; si de son côté Esztena rêvait de nous; enfin si le côté d’Esztena avait encore un nom. Je finissais toujours lorsque je pensais à sa fuite par me dire qu’elle était morte et qu’il ne servait donc à rien d’avoir sans cesse son nom à l’esprit : elle ne l’entendait pas.
Schullerus se réveilla à son tour, se frotta les yeux, en fit tomber de ces humeurs blanches qui y avaient séché. Paris, disait-il, quand ? Le car sortit de la ville et nous repartîmes dans la nuit des campagnes. Schullerus se massa l’intérieur des genoux et finit par se rendormir; ailleurs sous le toit vibrant du car on parlait à voix basse, on ronflait; j’avais si peur soudain que je voulus dormir.
À la frontière avec l’Allemagne, nous étions tous descendus du car, que des chiens avaient flairé une demi-heure durant, cependant que dans le soleil des policiers fouillaient nos bagages. Dans ceux de Schullerus ils trouvèrent de la farine de pomme de terre, et la goûtèrent du bout des doigts. Schullerus leur expliqua que nous allions en France pour des motifs sérieux. Il leur montra une photographie d’Esztena Schullerus, sa femme, partie peut-être à Paris.
Ils n’avaient jamais vu Esztena. Nous fûmes pareillement traités à la frontière française. La nuit, le blanc de la lune m’ôtèrent la colère de l’esprit; je compris aussi la crainte que Schullerus avait de ma méchante langue, qui nous eût renvoyés à Fels.
Pour me distraire je mangeai un gâteau — à la gare routière la mère d’Esztena nous en avait donné une boîte — non par faim mais pour sentir avant Paris l’odeur de la farine et du beurre : Schullerus, Schullerus, qu’allons-nous faire si loin du pays ?
Dans Paris, nous sommes dans Paris. Schullerus tremble; il pose la main à plat sur la vitre du car puis sur ses joues et son front; son malheur lui donne la fièvre. Je regrette déjà de l’avoir accompagné à Paris ; cependant Schullerus ne parle pas le français. Je l’enseigne, moi, et suis le cousin d’Esztena, son presque frère. Nous avons grandi dans la même maison des faubourgs de Fels, que mes parents et ceux d’Esztena partageaient avec la famille Svankmajer. C’était un monde où Schullerus heureusement n’existait pas.
En descendant du car Schullerus comme la plupart des passagers tenait à peine sur ses jambes; ses joues étaient grises de barbe; il s’assit accablé sur un banc de pierre, face à la Seine. Nombre de nos compagnons de voyage disparurent dans les minutes qui suivirent : leurs visées inversement aux nôtres étaient touristiques et pressantes.
Schullerus se sentait sale; il renifla ses vêtements et les paumes de ses mains et me supplia de trouver au plus vite le chemin de notre hôtel. Un ami de Schullerus, un ingénieur qui voyageait, nous avait recommandé un établissement des environs de Paris : le café-hôtel Milton, à Châtillon, service familial. Il nous fallut prendre le métro. Schullerus se tenait à moi, intimidé.
– Un voile est tombé sur mes sens, dit-il plus tard.
Pour moi, l’odeur horrible des couloirs et la râpe suave du français m’allaient au cœur, et j’eusse été joyeux, même, si Schullerus m’avait lâché le bras.
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À Châtillon, terminus de ligne, nous descendîmes vers une rue bordée d’usines et d’entrepôts déserts. Schullerus reprit quelque courage, reconnaissant là sans doute des formes familières. Mais voilà l’hôtel Milton, au coin d’un pâté de maisons, et de nouveau Schullerus baisse les yeux, et semble rétrécir. Pour entrer dans l’hôtel il faut traverser une terrasse de ciment; il y a du linge aux fenêtres et le café est au rez-de-chaussée.
Je payai une semaine d’avance ; cela faisait pour nous deux plus de mille cinq cent francs soit, calcula Schullerus dans la douleur, en couronnes presque mon salaire d’un mois.
Pas de cuisine dans les chambres, lus-je au-dessus des règlements d’incendie, derrière la porte de la nôtre. Elle donnait sur une voie de chemin de fer où passaient toutes les dix minutes à peu près des trains blancs et rouges, et parfois de petites motrices jaunes qui ne tiraient qu’un wagon, chargé d’essieux ou de ferrailles. Schullerus était sorti prendre une douche et je vis sur le talus herbeux de la voie deux filles en chemise, les mains sur les genoux. Le train passa; elles furent prises dans le vacarme; l’une posa la tête sur les genoux de l’autre. Elles mangeaient du pain. J’avais pensé un instant à les regarder que j’étais à Jesenik, où j’avais enseigné un an, et que j’attendais, un matin de printemps, le train de Fels.
Sous nos fenêtres, au pied du talus, il y avait une courette encombrée de poubelles et de tonnelets gris. Schullerus revint au moment où le souvenir de mes jours à Fels était devenu si fort que je ne savais plus comment revenir à la vie présente, et quitter la fenêtre, la contemplation imbécile de la cour où les deux filles en blanc étaient maintenant descendues, et où elles roulaient les tonnelets de bière vers une porte invisible.
Schullerus se taisait et fumait. J’étais couché sur l’un des deux lits de notre chambre et me figurais être marin dans un port du Sud. Le plafond tanguait. Esztena avait disparu depuis cinq mois déjà. Elle était partie quelques jours chez son père, qui vivait à Bratislava, et le jour de son retour Schullerus l’attendit en vain jusqu’au soir. Il passe dans l’après-midi à la gare de Fels quatre trains en provenance de Bratislava, à ce dont je me souviens.

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