Depuis le XIe siècle, le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle draine des dizaines de milliers de marcheurs chaque année.
Ce livre est le carnet de route d'un ami de
Françoise Houdart, parti de Vézelay, qui a effectué les 2 000 Km du Camino en cent jours.
Seul.
Malgré des rencontres sympathiques, cocasses parfois, arrosées parfois, il veut voyager seul. C'est son chemin de réflexion, le besoin de faire le bilan de sa vie personnelle et sentimentale, d'être face à lui-même. Pour revenir aux sources, aux souvenirs qui émaillent une vie – agréables ou non -, pour se rendre plus disponible, plus ouvert, plus tolérant aux autres.
L'auteure a fait un roman de ces notes. Elle est un peu la conscience de François de Colfontaine, son Jiminy Cricket, qui l'exhorte, qui l'interroge, qui le houspille aussi, qui râle parfois, comme la petite sauterelle de Pinocchio.
Voyager léger n'est pas toujours aussi facile qu'il le voudrait. La tradition veut que chaque pèlerin emporte avec lui un caillou symbolisant les pensées, les événements, les tracas qui encombrent sa vie, pour le jeter en fin de parcours sur l'amoncellement de la Cruz de Ferro à Foncébadon. Ce caillou peut peser de plus en plus lourd dans le sac à dos au fil des étapes.
François de Colfontaine connaît, comme chacun, le vent qui arrache, le soleil qui tanne, les pas qui harassent, les chaussures qui trépassent. La souffrance, la peur, la solitude, le froid, sont le lot du marcheur qui « réapprend l'abécédaire du senti, du goûté, du cueilli des yeux et des oreilles » au début de son long parcours. Et pourtant, quel luxe de marcher pendant cent jours ! La jouissance de la marche s'acquiert au long des jours, des semaines. La cadence peut même devenir hypnotique, empêcher toute sensation, et la vue peut se réduire à deux bottines qui semblent détachées du corps gagné par l'épuisement.
La beauté de tous ces villages pratiquement inchangés depuis le Moyen Age, la majesté des églises enrichies de la ferveur, des chants ou des pleurs des pèlerins, donnent à ces routes souvent rocailleuses et escarpées une énergie qui pousse à l'introspection et au silence.
Aux aléas des ampoules aux pieds, de l'insuffisance d'eau, s'ajoutent ceux de gîtes, complets ou entièrement réservés, de ronfleurs et de mal lavés. La récompense est le cachet supplémentaire apposé sur le carnet du pèlerin et la joie partagée avec ces « frères de soupe ».
Puis, arrive la portion du Camino Francès qui traverse le long plateau agricole de la Meseta. Véritable épreuve dans l'épreuve. Celle qui met l'âme à nu. Celle où l'on prend véritablement conscience de glisser ses pas dans ceux de l'Histoire du pèlerinage. Des champs de blé à perte de vue, pas âme qui vive, un soleil d'altitude implacable et pas un arbre ou un buisson pour procurer de l'ombre. Enfin l'arrivée à Burgos, étape douloureuse et décisive pour beaucoup, étape qui concentre les lassitudes du corps et de l'esprit, les compagnons qui ne se supportent plus, les légendes qui circulent.
Nous ne saurons jamais ce que François de Colfontaine a ressenti à son arrivée à Santiago mais il y est arrivé, réconcilié avec lui-même, prêt à renaître à la vie.
Belle écriture de
Françoise Houdart, dans sa recherche de sobriété, de synthèse de la pensée, d'élégance du verbe et d'une certaine poésie qui fait que j'ai dégusté ces pages avec délectation.