Ce livre a été un véritable coup de coeur, un livre d'une incroyable sensibilité !
Klara et le soleil est mon premier roman de
Kazuo Ishiguro et ma toute première impression a été que ce n'était vraiment pas un hasard si cet auteur avait obtenu le prix Nobel de littérature.
Nous avons pu lire nombre de récits d'anticipation, à l'époque, sur les machines pensantes. Ces livres présentent en général les dérives probables, jamais très réjouissantes, l'instinct de survie indéniable de ces AI, leur façon de nous percevoir leurs ennemis et ennemis de nous-mêmes, et bien sur le plus complexe la possibilité d'émotions intrinsèques réelles ou non.
Mais dans
Klara et le soleil, je crois que c'est tout autre chose. Bien sûr, le fait de nous placer nous les lecteurs dans la tête de l'AI grâce à l'écriture à la première personne biaise un peu le point de vue. Tout le récit ne va être perçu que par le point de vue de Klara avec uniquement les données qu'elle possède, sans aide extérieure autre que ses conversations avec les humains qui l'entourent. Les données non accessibles à Klara, le sont donc aussi à nous les lecteurs, laissant une grande part à des choses non dévoilées.
Mais c'est justement en cela, que j'ai trouvé l'écriture de
Kazuo Ishiguro particulièrement géniale !
Ainsi, tout va être comme inversé, et c'est nous les humains qui allons être comme analysés. Analysés non pas par un expert psychologue mais bien par une machine, cette analyse est donc totalement factuelle et objective. L'analyse de Klara va donc être basée sur son apprentissage préalable dont nous ne savons rien et bien sûr « machinalement » par le résultat calculé le plus probable au regard des données d'entrée disponibles.
Normalement des données reproduites, le b.a.-ba des statistiques et là vous voyez où je veux en venir. Si une fois unique quelque chose donne un résultat, sans contre-exemple accessible, cela devient une règle pour Klara, cause - conséquence.
Et au regard, de tous les petits évènements du quotidien, nous avons bien l'impression que l'apprentissage de Klara n'a pas été très élaboré ou en tout cas pas sur les choses simples du quotidien. Elle est d'ailleurs déjà un modèle obsolète dans sa catégorie de AA, ami artificiel. le parallèle donné entre son apprentissage équivalent entre les gestes simples et les émotions par la simple observation renforce cette vision.
En lieu et place de ses pensées, nous suivons en fait en permanence toutes ses lignes de calculs. Avec la même importance, comme sur un ton totalement monocorde, nous est exposé de manière équivalente comment Klara va apprendre à s'asseoir dans une voiture, marcher sur du gravier ou à reconnaitre les émotions par les visages et les postures et par conséquent en comprendre les implications.
Klara part donc sans a priori et seulement constate. Elle va devenir l'AA d'une jeune fille malade, Josie et va nous faire découvrir son environnement familial et un cercle restreint de personnes liées entre elles par une seule chose bien sur le bien-être de Josie. Klara a par défaut cet objectif commun avec tous, le bien être de Josie, mais tous ont une façon différente de le mettre en pratique, selon leur caractère, et c'est cela que Klara va devoir appréhender et le plus difficile. Car pour elle, cela équivaut à de mêmes données d'entrée avec pas forcément le même résultat dépendant de l'état de l'humain et dépendant du caractère de l'humain. Cependant, par cet objectif commun autour de Josie, Klara va adhérer à leurs projets à tous peu importe leurs différences. Car bien évidemment, en parallèle, comme tous, elle a aussi son projet distinct et bien à elle.
C'est normal, elle a des données supplémentaires qu'ils n'ont pas et qui sont les motifs du soleil, son propre rapport au soleil en tant que source d'énergie et une information essentielle qu'elle seule a pu constater.
De nouveau, la subtilité de l'écriture de
Kazuo Ishiguro, nous donne des indices et nous permet de mettre en perspective les réelles capacités ou niveau d'apprentissage de Klara en nous décrivant ce qu'elle voit ou du moins comment elle voit. La vision pour les humains est une chose simple. L'analyse et l'interprétation de ce que nous voyons, hors cas pathologiques, se font normalement sans réfléchir, ce sont des capacités qui ne s'acquièrent pas vraiment mais de l'ordre de l'innée.
La vision de Klara organise l'espace en boites distinctes, une vision bien représentative du manque de vue d'ensemble et d'un effet partitionné qui demande une analyse supplémentaire pour avoir la donnée complémentaire compilée, et finalement la plus importante. Et cette information globale interprétée, elle l'obtient parfois ou pas ou est faussée. Ces passages nous donnent une sensation de d'incompréhension ou confusion. Cela me rappelle le reflexe de la plupart des petits enfants qui sont incapables de ne pas donner de réponses, peu importe ils inventent, adaptent, piochent dans leur mémoire mais ils répondent, incapables de vraiment exprimer tout simplement qu'ils ne savent pas, n'ont pas encore appris.
Klara est comme cela, quelque soit ce qu'elle reçoit, elle interprète, elle n'a pas de système de mise en erreur ou donnée invalide. le passage de sa vision fortuite d'un taureau en est un exemple. Elle sait que c'est un taureau c'est tout, mais toute l'interprétation qu'elle en fait va bien au-delà jusqu'à en conclure « de terribles conséquences ».
Klara va aussi nous faire découvrir le monde, la société moderne qui l'entoure où désormais les relations humaines sont quasi inexistantes et devenues rareté. Des relations, elles-mêmes à apprendre par les humains. Finalement, Klara et les jeunes humains sont quasiment sur un pied d'égalité de ce point de vue-là, ils ont tout à apprendre.
Et c'est par la vision de Klara sur ce monde que sont posés de nombreuses questions existentielles abordées dans ce livre. La force de la pression sociale qui atteint son paroxysme jusqu'à obliger les parents à faire des choix terribles pour leurs enfants même si toujours au nom de leur bien. La force de la croyance en une modernité toujours bienveillante pour la communauté quel qu'en soient les conséquences sur l'individu.
Et la question ultime, nous en tant qu'individus, sommes-nous irremplaçables ? Pouvons nous être réduits à une suite de données même si en très grand nombre, est-il d'ailleurs possible de tout traduire en données, les émotions étant les données les moins reproductibles qu'il soit ?
Pour résumer mon ressenti après cette lecture, je dirais que ce livre est intense, fort, gardant tout le mystère nécessaire, ne répondant pas forcément aux questions mais ouvrant des portes. Une objectivité relative tout en subtilité et sensibilité.