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sur 796 notes
Je n'avais jamais entendu parler de Pauline Dubuisson avant de lire le pavé de Jaenada (715 pages quand même). Celle qui lors de son retentissant procès en 1953 fut taxée à l'envie de cruelle, froide et calculatrice, apparaît surtout comme une jeune femme contradictoire (humaine, quoi), à la fois fragile et courageuse, réservée et sexuellement libre. Et très malmenée par la vie.

Sur la photo de couverture elle a 24 ans, et elle se remet tout juste d'une tentative de suicide au gaz, qu'elle a commise après avoir tué son ex-petit ami de trois balles de revolver. Nous sommes en 1951, les femmes n'ont le droit ni d'avorter, ni de travailler sans l'accord de leur mari, bref, le patron, c'est l'homme. La France se remet à peine de la guerre, Pauline Dubuisson est séduisante et intelligente (elle poursuivait des études de médecine), elle a eu des amants, a été tondue à la Libération, et son passé (enfin, ce qui en est colporté) alimentera l'accusation et fera les choux gras de la presse. Très médiatisé, son procès est quasiment celui d'une sorcière ; la foule réclame sa tête, elle écopera de la perpétuité. Que Pauline Dubuisson soit coupable d'homicide ne fait pas de doute évidemment. Mais Philippe Jaenada conteste les circonstances du drame (meurtre de sang-froid prémédité), et montre dans son livre comment cette femme fut victime de la misogynie d'une époque : les pièces du procès ont été tronquées voire falsifiées, les témoignages coupés ou sélectionnés, l'accusation s'est littéralement acharnée sur celle qui représentait la femme « qui ne sait pas se tenir », la femme mauvaise, la manipulatrice. La parole de Pauline Dubuisson ne sera jamais entendue. L'accusation tiendra des rumeurs pour des vérités, et davantage qu'un acte, elle jugera une femme (de manière partiale et sexiste).
Dans son livre, Philippe Jaenada remonte jusqu'à la naissance de Pauline, se coule dans les pas de cette femme qui le bouleverse, essayant d'imaginer ce que c'est, par exemple, d'être une jolie jeune fille de 13 ans sous l'Occupation, que papa envoie seule chez les officiers Allemands signer des papiers (en lui recommandant bien d'arriver à conclure les contrats). Il arpente les rues dans lesquelles elle a marché, lit les livres qu'elle a lus. de cette enfance (qui n'en fut pas une) dressée par un père obnubilé par le pouvoir et la réussite, aux violences subies à la libération (elle a tout juste dix-sept ans) en passant par sa volonté farouche d'indépendance (elle refuse de se marier avec Félix car il veut qu'elle arrête ses études de médecine) c'est tout un contexte pétri de patriarcat et de préjugés que scrute Philippe Jaenada, portant un regard plein de bienveillance et d'empathie sur cette jeune femme, qui fera tout au long de sa vie plusieurs tentatives de suicides avant de réussir à se tuer. Bienveillance et empathie que personne, ni sa mère, ni son père, ni ses amants, ne lui auront jamais prodigués. Fouillant les archives, les lettres, les procès-verbaux, reprenant l'instruction du procès (dont il prouve les incroyables déviances), scrutant son enfance, allant à la rencontre des derniers témoins, Jaenada éclaire les faits d'une lumière nouvelle, restitue (enfin) les paroles prononcées dans leur intégralité et leur contexte ; il rend justice, dignité et vérité humaine à cette femme, dans un hommage sincère et bouleversant. Jaenada est parfois, évidemment, dans le doute, dans le flou, en proie à des scrupules qu'il partage avec son lecteur. Mais ce qu'il avance est méticuleusement vérifié, réfléchi et pesé. le sérieux et la minutie de cette enquête sont contrebalancés (de manière aussi radicale que bienvenue) par l'humour, au ton si savoureux, et le sens inné de l'auto-dérision de l'auteur.

Un livre impressionnant, qui se lit avec une facilité déconcertante, que dis-je, qui se dévore, où l'on rencontre deux personnages étonnement vivants et touchants : Pauline Dubuisson rendue à sa vérité, et l'auteur, littéralement habité par son enquête
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Merci monsieur Jaenada d'avoir secoué ma vie. merci Pauline, bien malgré toi, de m'avoir fait monter des larmes à mes yeux. Merci !
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Une contre-enquête, fouillée, détaillée et qui n'omet rien. Alors, forcément, ça prend de la place! Un peu beaucoup, peut-être. Mais tant de distorsions de la réalité valaient bien ça.

J'avais bien aimé la version romanesque de Jean-Luc Seigle. Ici, Jeanada s'attache aux faits, seulement ! Et c'est encore plus beau. Il lui rend ce qui aurait pu lui suffire lors de toutes les accusations : l'honnêteté.

Et quelle écriture ! Merci
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Et bien... Il m'en a fallu un peu de temps pour venir à bout de ce pavé !

Je me demande encore comment les chroniqueurs de Ruquier (chez qui j'ai eu connaissance de ce roman) ont pu se l'enfiler en une semaine. Ils n'ont fait que cela pendant 4 jours, ils n'ont pas de vie à côté (ce dont je doute un peu) pas possible autrement.
Cela reste un mystère pour moi.

Donc bien deux semaines pour venir à bout de ce roman. Non pas parce qu'il me tombait des mains tous les soirs mais parce qu'il est extrêmement dense. de l'information à toutes les lignes, presque. Une lecture qui demande une attention soutenue, un effort de concentration.

Je suis complètement admirative du travail d'enquêteur mené par l'auteur pour s'immerger dans la vie de cette Pauline Dubuisson. Quel investissement de sa part !
Le rendu est titanesque. Et il faut le suivre ! (le rendu et l'auteur...)
On adhère ou on n'adhère pas du tout au style. Des phrases à rallonge, des digressions, des parenthèses dans tous les paragraphes, ça peut énerver/lasser le lecteur, et je comprends tout à fait ceux pour qui c'est le cas. Surtout qu'il faut s'accrocher dès le début, quand l'auteur nous embarque dans l'histoire familiale des "ancêtres" de Pauline... Tout l'enjeu est d'arriver à monter dans le train et de se laisser porter pour le voyage.
Il ne faut pas se laisser décourager et noyer par les noms, les dates, les anecdotes qui pullulent. Ne surtout pas chercher à tout retenir, ou à prendre des notes à tout bout de champ (comment j'aurais pu le faire il y a quelques années). C'est le meilleur moyen de se gâcher la lecture.

À noter : j'ai été passionnée par le début de l'histoire de Pauline, qui se situe autour de Dunkerque, sous l'occupation allemande. Historiquement enrichissant.

J'aime les romans qui demandent un effort de lecture, ceux qui ne se laissent pas aborder facilement, ceux qu'on referme avec un sentiment de lecteur entièrement satisfait et comblé.
Je l'ai dompté et qu'est-ce que c'était bien !!!
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J'ai parlé le mois dernier du très bon roman que Jean-Luc Seigle a écrit sur Pauline Dubuisson, "Je vous écris dans le noir". Pauline fascine décidément les écrivains, car voici "La Petite Femelle" de Philippe Jaenada, et c'est là un tout autre livre. L'auteur est tombé raide dingue de son sujet, et s'acharne avec passion et détails à lui rendre justice au long de ces 700 pages.
Pauline eut trois vies : celle d'une jeune fille en quête d'amour et d'insouciance, qui se laissera aller (poussée par son père...) à batifoler avec quelques allemands - avec les conséquences brutales qu'on devine à la Libération - mais sur lesquelles Jaenada, contrairement à Seigle, choisit de ne pas s'apesantir, partant du principe qu'on ne sait rien - ou pas grand chose. Deuxième vie : étudiante en médecine à Paris, où elle tue (par amour ?) un jeune homme de bonne famille avant de subir un procès grotesque. La troisième, une fois expiée la faute, vivre, enfin ? le passé rattrape, toujours, fatalement.

Le procès tient une place centrale dans le livre, l'auteur a fait un boulot de titan, décortiquant tout, des pièces du procès aux témoignages et surtout des contradictions et des lacunes par milliers, cette véritable curée envers une jeune femme qui s'est définitivement murée derrière un masque d'orgueil (merci papa, surtout ne jamais montrer ses émotions), c'est probablement ce qui la perdra (ça me fait penser à L'Etranger de Camus, dès le moment où l'on remarque que Meursault n'a pas pleuré à l'enterrement de sa mère, il est déjà jugé, foutu, bon pour l'échafaud).
Pauline est une femme fière, moderne avant l'heure, affrontant une société encore très patriarcale - il faut la faire plier, cette "petite femelle", cette "ravageuse" dont la parole ne vaut rien - et la rumeur assassine qui ne laisse jamais trouver le repos.

L'histoire est absolument passionnante, mais aussi talentueux que soit un auteur, il faut quand même arriver à tenir la distance - et le lecteur - sur des centaines de pages ; et Philippe Jaenada y parvient sans peine, grâce à sa passion et à son écriture, drôle, pince-sans-rire avec des parenthèses dans les parenthèses qui pourraient en irriter certains - mais moi, je suis fan des digressions, et j'ai même eu un fou rire lorsqu'il consacre deux pages au mot "saucisse" - oui, on est bien dans le même livre. Ca détend et ça aide à revenir dans le sérieux de l'affaire.

J'ai terminé le livre hier mais j'ai du mal à dire au revoir à Pauline, je me suis attachée à cette fille qui paraissait être tout et son contraire mais qui, finalement, n'a juste jamais eu de chance. Philippe Jaenada souhaitait réhabiliter sa mémoire, c'est un pari plus que réussi.
Lien : http://anyuka.canalblog.com/..
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Mlle Alice, pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec La Petite Femelle?
"L'année dernière, j'avais été très marquée par ma lecture de Sulak, la biographie du célèbre cambrioleur, par le même Philippe Jaenada. A ce jour, cela reste l'une de mes meilleures découvertes depuis l'ouverture de ce blog, impossible donc que je rate cette nouvelle sortie."

Dites-nous en un peu plus sur son histoire...
"L'auteur décide cette fois-ci de retracer l'histoire de Pauline Dubuisson, accusée de meurtre, et sur laquelle à peu près tout a déjà été dit... sauf la vérité peut-être..."

Mais que s'est-il exactement passé entre vous?
"Pour que les choses soient claires une bonne fois pour toutes, et malgré les quelques bémols que je vais évoquer par la suite, ce livre me paraît une fois encore indispensable, vous ne pouvez pas vous en dispenser, vous ne pouvez pas passer à côté de cette lecture, de cette découverte indispensable de la nature humaine, de ce qu'elle a de pire, de ce qu'elle a de meilleur et de toutes les nuances de gris que vous trouverez en chemin entre l'un et l'autre. Une fois encore, Philippe Jaenada, sans en avoir l'air, nous fait aimer son criminel, malgré ses actes, à cause de ses actes. On souffre avec Pauline, on tremble avec elle, on tient l'arme avec elle. On voudrait la protéger, la consoler, on s'énerve contre ces abrutis de journalistes, ces fausses féministes en herbe, ces menteurs, ces jaloux, on crie, on s'insurge avec plus de soixante ans de retard mais c'est comme si c'était aujourd'hui. Au milieu de tout cela, l'auteur nous fait parfois rire aussi, digresse souvent, un peu trop même à mon goût et sur des sujets parfois qu'il pourrait tout autant garder pour lui, merci bien. Mais bon, comme à "ses criminels", on a du mal à ne pas tout lui pardonner."

Et comment cela s'est-il fini?
"Comme avec Sulak, je quitte Pauline avec regret mais entre Philippe et moi, en tous cas, c'est loin d'être fini. A chaque fois que je lis un article sur un destin intéressant je me dis que cela ferait un bon livre sous sa plume et je guetterai les prochaines parutions avec impatience. Et par-dessus tout, j'adorerais qu'il nous raconte un vrai méchant et tester sa capacité à nous le faire aussi bien aimer."
Lien : http://booksaremywonderland...
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Un personnage qui a déjà fait couler beaucoup d'encre (P. Jaenada revient d'ailleurs sur les ouvrages de ces prédécesseurs) , parfois à charge, parfois dans une tonalité totalement romanesque, l'idée ici est de se rapprocher de la vérité, de croiser les témoignages et de réhabiliter un peu la mémoire de la jeune femme. Une phrase modifiée par ci, un événement tronqué, un témoin oublié... il en faut peu pour que le procès tourne au lynchage.

On en vient à éprouver beaucoup de sympathie (trop?) pour la meurtrière, à expliquer, à comprendre son geste par les tragédies qu'elle a déjà vécu, son milieu familial, son éducation, la façon dont elle a traversé la guerre... et l'acharnement de certains contre elles renforcent la sympathie que l'on éprouve pour elle. On la plaint, on regrette qu'elle ne soit pas née plus tard, dans une société où la place des femmes serait différente.

Les rouages de la justice, les journalistes, le procès, la détention, l'impossible vie après la prison, les réactions de l'entourage... un monde qui fait assez froid dans le dos et dans lequel il y a bien peu de place pour une deuxième chance une fois la peine purgée.
Lien : http://lecture-spectacle.blo..
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Je n'avais jamais lu de Jaenada avant ce livre. C'est le titre qui m'a poussé à le prendre dans les mains dans ma librairie et ensuite j'ai vu une photo de Pauline Dubuisson à Malo-les-Bains. Il se trouve que je suis né dans cette ville aujourd'hui absorbée par Dunkerque. Je ne pouvais qu'acheter ce bouquin. J'ai beaucoup aimé cette histoire pour plusieurs raisons. Premièrement j'ai appris pas mal de choses sur ma ville de naissance et les lieus ne me sont pas inconnus. J'ai d'ailleurs retrouvé parfois les histoires que mes parents me racontaient dans ma jeunesse. Ils sont de la même génération que Pauline et ont vécu la guerre et les bombardements tout comme elle. Deuxièmement, le destin de cette jeune femme est vraiment bouleversant. J'ai été vraiment touché par cette histoire triste que je ne connaissais absolument pas. Et enfin, Philippe jaenada est un conteur hors pair qui donne beaucoup de vie à son récit et il se permet souvent des digressions et des pointes d'humour qui allègent un peu cette biographie parfois dramatique. En résumé, j'ai vraiment adoré et dévoré ce livre assez rapidement et j'ai bien l'intention de continuer à suivre cet écrivain.
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Je lis l'oeuvre de Philippe Jaenada dans le désordre : j'ai commencé par La Serpe et je suis tombée sous le charme de ses parenthèses désarmantes et drôles qui côtoient un sérieux documentaire sans concession. J'ai enchaîné avec Au printemps des monstres, à la construction similaire, et que j'ai savouré avec autant de plaisir. Ces deux ouvrages faisaient référence à l'affaire Pauline Dubuisson qui est le sujet de la petite femelle. de construction plus classique, chronologique, et moins ponctué de digressions, ce livre m'a moins plu, m'a moins touché, bien que la thématique résonnait dans notre époque de défense des droits des femmes (encore !…).
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Lire un roman de Jaenada, c'est comme retrouver un copain, quand on en a déjà lu plusieurs. On attend les éclats de rire (et ils ne sont pas si nombreux les auteurs qui nous font rire), les exagérations, les partis-pris, mais aussi les apartés, bref toutes les circonvolutions qui vont avec l'oeuvre de Jaenada. Et je n'ai pas été déçue. Mais peut-être qu'il est un poil trop long ce roman, j'ai éprouvé une lassitude au moment du procès.
Je me suis aussi dit qu'il était tout de même dur avec Felix, que Pauline a bien mené par le bout du nez. J'ai par contre été touchée par la vie de Pauline après sa libération de prison.
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