Le bout du fleuve

Et il comprenait qu'il rentrait en ennemi dans cette ville tant aimée. Quatre ans durant, sa conscience l'avait soutenu. Il avait tué le juge Kirkstone et il avait bien fait. Il eût mieux fait encore, pour l'éternelle justice, en expédiant le fils sur les traces du père. Voilà et qu‘il se disait.
Mais la justice de la loi était autre. Le code de la civilisation exigeait œil pour œil, dent pour dent. S'il tentait d'expliquer qu'il avait délivré d'un monstre l'humanité, on lui rirait au nez et on l'enverrait à la potence !

Il oublia qu'il était John Keith, l’assassin, et un mystificateur effronté. Dans la solitude ambiante, un océan de souvenirs heureux l'envahissait. Il contemplait, avec extase, tout cet univers qui jadis avait été le sien.
Puis son regard se voila. Il songea à la réalité tragique et à son père, qui n'était plus. Un crêpe de deuil s'étendit devant ses yeux et le bout de la cheminée étincelant ne lui sembla plus qu'une stèle funéraire, dressée sur un monde mort.

Le fleuve était la piste qui séparait deux mondes. D’un des côtés, s’étendaient les immenses prairies vertes, les champs de blé, les villes et les maisons des hommes. De l'autre, était une terre solitaire et désolée.

D'autres, après moi, reprendront implacablement ta poursuite. Tu leur donneras, comme à moi, du fil à retordre. Mais ils s’acharneront et te prendront, même tout là-haut, vers le Pôle.

La vie, en somme, était bonne. Elle valait la peine qu'on luttât pour la conquérir, et il devait lutter.