La doctrine de l'évolution repose sur un principe vrai en soi, et que Leibniz a illustré, le principe de continuité: c'est que rien ne se produit qui ne naisse d'un état antérieur, rien qui n'ait sa liaison avec le passé, et ses conséquences dans l'avenir. Le principe est incontestable; mais comme tout principe abstrait, il faut savoir comment on doit l'entendre.
S'il y a dans l'univers un grand, nombre de phénomènes qui ne suggèrent en aucune manière l'idée d'un but, en revanche il en est d'autres, qui, à tort ou à raison, provoquent cette idée impérieusement et infailliblement: tels sont les organes des êtres vivants, et surtout des animaux supérieurs. Pourquoi cette différence? Qu'y a-t-il de plus dans ce cas que dans le cas précédent? Si le principe de finalité était universel et nécessaire comme le principe de causalité, ne l'appliquerait on pas partout comme celui-ci, et avec la même certitude? Il n'y a point de ces différences pour les causes efficientes. Partout on affirme qu'elles existent, et on l'affirme également. Il n'y a pas de phénomènes qui soient plus évidemment des effets que d'autres.
On sait que toutes les écoles sont d'accord pour admettre certaines maximes ou vérités, appelées vérités premières, principes premiers ou fondamentaux, qui, pour les uns sont déposées a priori dans l'intelligence humaine, et pour les autres sont le fruit d'une expérience tellement universelle qu'elle équivaut dans la pratique à l'innéité; mais qui de part et d'autre sont reconnues comme tellement évidentes et tellement impérieuses que la pensée est absolument impossible sans elles.
Que la doctrine de l'évolution n'exclue pas la doctrine des causes finales, c'est ce qui résulte manifestement des faits mêmes que nous présente l'esprit humain. Dans l'humanité, en effet, on ne peut nier l'existence de la cause finale et cependant elle s'y concilie parfaitement avec la loi d'évolution. Toute espèce de projet, de plan, de combinaison pour l'avenir suppose la cause finale, et cependant ne peut s'exécuter que par degrés.
Sans doute, l'esprit humain peut appliquer l'idée de finalité même aux cas précédents, et par exemple, croire que c'est pour un but inconnu qu'il y a des montagnes, qu'il y a des volcans, qu'il y a des monstres, etc. Je ne nie pas qu'il ne le puisse, je dis qu'il n'y est pas forcé, comme il l'est pour la causalité proprement dite.