Il est très rare que je lise des bouquins sortis récemment. En général, les auteurs que je lis sont morts depuis au moins au moins dix ans – sauf Cavanna, c'est vrai, qui est mort il y a sept ans mais le ressenti est au moins deux fois plus supérieur, donc ne faites pas chier.
Mais là, me promenant dans les rayons d'une librairie en compagnie de ma grand'mère, je suis tombée sur ce livre. En fait, j'ai surtout été attirée par le bandeau publicitaire, qui est un dessin de
Flaubert avec tout plein de couleurs, c'est très joli. du genre quelque chose que je ne rechignerais pas à mettre chez moi.
Comme sur moi, la pub, ça marche, j'ai acheté le livre – 21 €, aïe, ça pique, quand même – et je l'ai lu.
(Je veux que vous notiez avant de lire cette critique que j'ai écrit mes idées au fur et à mesure de ma lecture. Pour une fois j'ai fait du travail sérieux. Sachez-le.)
Bon. L'histoire, c'est quoi ?
L'histoire, c'est un écrivaillon moustachu qui prend son bain – le dernier, mais il ne le sait pas encore vraiment – et qui repense à sa vie. Ses amis, ses amours, ses emmerdes, comme dirait
Aznavour.
Alors, bien ou pas ?
Déjà, le positif :
L'écriture – au début, en tout cas – est fluide. On se sent emporté dans l'histoire. L'idée du sujet est intéressante. Régis nous sert une biographie sans l'aspect soporifique des biographies habituelles. le récit est vivant, notamment parce qu'il est traité avec originalité. C'est donc là un très bon point.
Maintenant, le négatif. le moment que vous attendez, car on va botter des culs :
Alors. Par où commencer ?
Déjà, parlons de la manière dont c'est écrit. En fait, la première partie du livre est censée être rédigée par Gustave himself, mais qui se sert de ce cher Régis pour écrire. Régis n'est donc que la petite main d'une secrétaire, puisque c'est Gustave qui fait tout, qui imagine les phrases, qui semble les dicter, tout ça. Bon, admettons.
Le problème, quand tu as la prétention d'avoir un talent comme
Flaubert dans ton esprit, tu dois au moins écrire aussi bien que lui. Or là, ce n'est pas le cas. On a une écriture lourde, mais différente de l'écriture lourde de
Flaubert, puisque Gustave manie les mots pour nous donner un style agréable à lire. Là, c'est plus compliqué. le style flaubertien est lourd de par sa richesse. Ici, c'est lourd tout court.
De plus, je doute que ce génie de la prose qu'est
Flaubert ait oublié la concordance des temps. Parce que dans le roman, l'imparfait du subjonctif est comme
Xavier Dupont de Ligonnès : il a disparu. Impossible de trouver la moindre trace. Parfois on trouve un peu, puis plus rien pendant une bonne cinquantaine de pages.
Ensuite, je renchérirais sur l'usage de la virgule. Un usage que l'auteur semble oublier. Pour vous donner une idée, comparons. Voici donc un paragraphe extrait au hasard de
Madame Bovary, de
Flaubert :
« [Le prêtre] commença les onctions : d'abord sur les yeux, qui avaient tant convoité les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la luxure ; puis sur ses mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus. » (III.8)
On compte ici 8 virgules pour 5 lignes (sur mon fichier Word, calmez-vous)
Voici maintenant un passage extrait également au hasard du Dernier Bain de
Gustave Flaubert par
Régis Jauffret. Pour vous mettre dans le contexte,
Flaubert nous parle de ses moments de déprime où il lit des lettres d'amour enflammées envoyées par son ami et amant
Maxime du Camp, dans lesquelles il décrit longuement leurs ébats passionnés. Ne vous inquiétez pas, c'est soft :
« Les jours de spleen j'en tirais une au petit bonheur dans la boîte d'acajou où je les conservais afin de m'accorder en la relisant le plaisir de tremper un mouchoir de pleurs et à l'occasion un autre de plus voluptueux sanglots en me remémorant son corps brûlant dont les doigts agiles avaient recouvert la page de serpentins de langage tracés à l'encre noire comme du sperme de charbonnier et posant mon autre main sur le papier je caressais la peau de ses phrases tendrement. »
Ici, pour le même nombre de lignes, on a... 0 virgules.
Pour vous rendre compte à quel point c'est agaçant, lisez le passage à haute voix, en respectant bien la ponctuation, comme à l'école.
C'est dur, hein ?
Note : On croirait lire Exercices de style de
Queneau, quand il parle de « l'aurore à l'haleine de dentifrice » (quelque chose comme ça), tant c'est lourd. Sauf que Raymond, à l'inverse de Régis, exagère volontairement.
Voilà. Je ne tergiverserai pas davantage sur l'évocation des relations homosexuelles de l'ami Gustave. Cela étant, loin de moi l'idée de crier au blasphème à la moindre évocation des moeurs sexuelles d'un auteur que j'apprécie. Mais j'aimerais savoir par exemple s'il a vraiment eu relation charnelle entre
Baudelaire et
Flaubert. Pas par voyeurisme, calmez vos ardeurs, Camarade, mais pour savoir si ce roman qui se veut un tant soit peu biographique vaut le coup d'être lu comme une biographie. Sinon, c'est qu'il est inutile, donc passez votre chemin.
En somme, le Dernier Bain de
Gustave Flaubert est un livre qui eût été crédible si l'écriture avait été à la hauteur de celle de Tonton Gustave.