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3,45

sur 94 notes
Il est très rare que je lise des bouquins sortis récemment. En général, les auteurs que je lis sont morts depuis au moins au moins dix ans – sauf Cavanna, c'est vrai, qui est mort il y a sept ans mais le ressenti est au moins deux fois plus supérieur, donc ne faites pas chier.

Mais là, me promenant dans les rayons d'une librairie en compagnie de ma grand'mère, je suis tombée sur ce livre. En fait, j'ai surtout été attirée par le bandeau publicitaire, qui est un dessin de Flaubert avec tout plein de couleurs, c'est très joli. du genre quelque chose que je ne rechignerais pas à mettre chez moi.

Comme sur moi, la pub, ça marche, j'ai acheté le livre – 21 €, aïe, ça pique, quand même – et je l'ai lu.

(Je veux que vous notiez avant de lire cette critique que j'ai écrit mes idées au fur et à mesure de ma lecture. Pour une fois j'ai fait du travail sérieux. Sachez-le.)

Bon. L'histoire, c'est quoi ?

L'histoire, c'est un écrivaillon moustachu qui prend son bain – le dernier, mais il ne le sait pas encore vraiment – et qui repense à sa vie. Ses amis, ses amours, ses emmerdes, comme dirait Aznavour.

Alors, bien ou pas ?

Déjà, le positif :

L'écriture – au début, en tout cas – est fluide. On se sent emporté dans l'histoire. L'idée du sujet est intéressante. Régis nous sert une biographie sans l'aspect soporifique des biographies habituelles. le récit est vivant, notamment parce qu'il est traité avec originalité. C'est donc là un très bon point.

Maintenant, le négatif. le moment que vous attendez, car on va botter des culs :

Alors. Par où commencer ?

Déjà, parlons de la manière dont c'est écrit. En fait, la première partie du livre est censée être rédigée par Gustave himself, mais qui se sert de ce cher Régis pour écrire. Régis n'est donc que la petite main d'une secrétaire, puisque c'est Gustave qui fait tout, qui imagine les phrases, qui semble les dicter, tout ça. Bon, admettons.

Le problème, quand tu as la prétention d'avoir un talent comme Flaubert dans ton esprit, tu dois au moins écrire aussi bien que lui. Or là, ce n'est pas le cas. On a une écriture lourde, mais différente de l'écriture lourde de Flaubert, puisque Gustave manie les mots pour nous donner un style agréable à lire. Là, c'est plus compliqué. le style flaubertien est lourd de par sa richesse. Ici, c'est lourd tout court.

De plus, je doute que ce génie de la prose qu'est Flaubert ait oublié la concordance des temps. Parce que dans le roman, l'imparfait du subjonctif est comme Xavier Dupont de Ligonnès : il a disparu. Impossible de trouver la moindre trace. Parfois on trouve un peu, puis plus rien pendant une bonne cinquantaine de pages.

Ensuite, je renchérirais sur l'usage de la virgule. Un usage que l'auteur semble oublier. Pour vous donner une idée, comparons. Voici donc un paragraphe extrait au hasard de Madame Bovary, de Flaubert :

« [Le prêtre] commença les onctions : d'abord sur les yeux, qui avaient tant convoité les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la luxure ; puis sur ses mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus. » (III.8)

On compte ici 8 virgules pour 5 lignes (sur mon fichier Word, calmez-vous)

Voici maintenant un passage extrait également au hasard du Dernier Bain de Gustave Flaubert par Régis Jauffret. Pour vous mettre dans le contexte, Flaubert nous parle de ses moments de déprime où il lit des lettres d'amour enflammées envoyées par son ami et amant Maxime du Camp, dans lesquelles il décrit longuement leurs ébats passionnés. Ne vous inquiétez pas, c'est soft :

« Les jours de spleen j'en tirais une au petit bonheur dans la boîte d'acajou où je les conservais afin de m'accorder en la relisant le plaisir de tremper un mouchoir de pleurs et à l'occasion un autre de plus voluptueux sanglots en me remémorant son corps brûlant dont les doigts agiles avaient recouvert la page de serpentins de langage tracés à l'encre noire comme du sperme de charbonnier et posant mon autre main sur le papier je caressais la peau de ses phrases tendrement. »

Ici, pour le même nombre de lignes, on a... 0 virgules.

Pour vous rendre compte à quel point c'est agaçant, lisez le passage à haute voix, en respectant bien la ponctuation, comme à l'école.

C'est dur, hein ?

Note : On croirait lire Exercices de style de Queneau, quand il parle de « l'aurore à l'haleine de dentifrice » (quelque chose comme ça), tant c'est lourd. Sauf que Raymond, à l'inverse de Régis, exagère volontairement.

Voilà. Je ne tergiverserai pas davantage sur l'évocation des relations homosexuelles de l'ami Gustave. Cela étant, loin de moi l'idée de crier au blasphème à la moindre évocation des moeurs sexuelles d'un auteur que j'apprécie. Mais j'aimerais savoir par exemple s'il a vraiment eu relation charnelle entre Baudelaire et Flaubert. Pas par voyeurisme, calmez vos ardeurs, Camarade, mais pour savoir si ce roman qui se veut un tant soit peu biographique vaut le coup d'être lu comme une biographie. Sinon, c'est qu'il est inutile, donc passez votre chemin.

En somme, le Dernier Bain de Gustave Flaubert est un livre qui eût été crédible si l'écriture avait été à la hauteur de celle de Tonton Gustave.
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Où l'on se remémore avec profit les détails pittoresques du martyre de saint Polycarpe.
Mais surtout où l'on rencontre Gustave. Pas Flaubert. Gustave.

Merci aux éditions du Seuil et à Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération Masse critique.

Ce livre est fort plaisant et on sent qu'il a demandé du travail. Je ne suis certes pas un spécialiste de Flaubert (et sur Régis Jauffret néant), mais on constate ici que le travail de documentation et celui de l'écriture ont été solides.
Nul besoin d'être un parfait érudit pour goûter le charme de ce roman. Ceci dit je crois bien net qu'il s'adresse à un lecteur qui pour prendre totalement plaisir à jouer sera un minimum averti sur Madame Bovary, La Tentation de saint Antoine, L'Education sentimentale, salammbô ou Bouvard et Pécuchet. On croisera d'ailleurs les personnages.
Mais d'autres lecteurs moins sensibilisés à l'oeuvre et à la légende de Flaubert verrons peut-être dans ce roman une invitation bien tentante à rejoindre le bal.
Par ailleurs il y a aussi - en léger filigrane- toute une réflexion sur l'artisanat du romancier. Rien de pompeux, de poseur, Jauffret décrasse le fameux gueuloir et les références du maître sont explicitement et sans affectation les histoires que la domestique Julie et le père Mignot lui ont raconté dans son enfance.
Alors Régis Jauffret affabule.

Cela plaira ou pas. L'auteur est joueur, facétieux, voire farceur. Il joue du temps, de la mise en abîme, de l'anachronisme, des ruptures, de la fiction. On navigue avant tout dans l'hallucination, quand Flaubert, dans son bain, au seuil de la mort, se retourne sur sa vie et prend son dernier galop d'imagination.

Je serais facilement agacé par un auteur qui fait le malin. Ici Régis Jauffret doit ériger aussi un tant soit peu sa statue. Mais on sent ici l'amour de son sujet (Flaubert?) et une vraie jubilation. J'ai parfois eu quelques doutes, mais je me suis laisser entraîner dans la complicité.
Post scriptum: J'ajoute après lecture d'une ou deux critiques mitigées que certains n'ont pas vu beaucoup d'humour après le début du roman. Affaire de goût et de sensibilité sans doute. Cela ne se discute pas. Mais un certain humour est toujours à l'esprit de Régis Jauffret dans ce livre. C'est certain.

L'ensemble se lit facilement. de courts chapitres arrangés en deux parties:

Une première intitulée "Je", à la première personne. On rencontre alors Flaubert, son enfance en particulier, ses amours tortueux aussi. Régis Jauffret donne les clefs (des clefs? ses clefs?) de Flaubert. "Il me semble aujourd'hui que je pourrais passer trois jours délicieux dans ce souvenir d'enfance qui m'attend quelque part immaculé. À croire que le temps est imputrescible."
Rassurez-vous nous ne sommes pas là ni dans le mièvre, ni dans la statue du génial écrivain, ni dans le simple déboulonnage ricaneur. Comme nous sommes ici dans l'envers du décor du XIXème siècle littéraire, il y a nécessairement une certaine ration de graveleux, mais rien de forcé, rien de véritablement obscène. On regarde derrière le rideau, le spectacle est très humain mais / et il y a de la tendresse. de la tendresse pour Flaubert, pour les personnages féminins, pour les personnages masculins. de la tendresse et de la vacherie.
Régis Jauffret sème aussi dans cette partie des cailloux sur son projet:" Un défunt ne prend pas la peine de se manifester pour reproduire wikipédia. Je vous donne ici des phrases de mon cru dont le plus souvent vous ne trouverez trace ni dans mes oeuvres ni dans ma correspondance ni d'une façon générale dans aucune archive. Deux siècles après sa naissance un auteur doit se renouveler."

Une seconde partie intitulée "Il". On s'éloigne à la troisième personne, progressivement, jusqu'à ce qu'il ne reste que la dignité De Maupassant, la fidélité du chien, l'effacement discret des domestiques, et puis les autres gens.
L'agonie se prolonge. On trouvera que c'est long, ou que, dans un tel cerveau en particulier, en pleine crise, l'esprit enfiévré ne peut que se débattre, tourner, retourner et produire encore et encore des images. L'esprit enfiévré de Flaubert se répète un peu. Tel la cantatrice frappée à mort dans un opéra de Wagner, Flaubert ne veut pas sortir. On est un peu gêné, mais a-t-on vraiment envie de se quitter.

Pour résumer il y a de la documentation, une certaine minutie, de l'amour, de l'enthousiasme, et beaucoup d'humour et de mise à distance.
Régis Jauffret joue avec le mythe. Il le moque, le bouscule. Il l'aime.
Régis Jauffret semble tellement aimer Flaubert qu'il ressuscite Emma Bovary. Dans le délire elle en prend pour son grade. Mais quelle joie de la voir se redéployer.

Un peu de crasse, beaucoup de sensibilité. du tragique, beaucoup d'humour.

Dernière pirouette en fin de volume, un chutier.

Cela donne comme l'envie de se bourrer une pipe et de regarder couler la Seine.

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« Je vous donne ici des phrases de mon cru dont le plus souvent vous ne trouverez trace ni dans mes oeuvres ni dans ma correspondance ni d'une façon générale dans aucune archive. Deux siècles après sa naissance, un auteur doit se renouveler. » (p. 26 & 27) Gustave Flaubert est dans sa baignoire et, alors que la mort s'approche, il convoque ses souvenirs, ses amis, ses amants, ses maîtresses et ses personnages. Alfred le Poittevin et Maxime du Camp, Élisa Schlésinger, Louise Colet et Guy de Maupassant, tous revendiquent une dernière fois l'attention de l'auteur. « Quand je suis remonté à la surface, elle avait disparu. Les personnages n'existent pas davantage que les dieux. » (p. 12) le gueulard Flaubert entame une âpre discussion avec la Bovary qui lui reproche l'histoire qu'il lui a donnée. Dans un délire pré-mortem, il réécrit ses oeuvres et sa vie.

J'avais beaucoup apprécié le roman Claustria de l'auteur. Je n'ai rien lu d'autre de lui, mais un texte sur Flaubert avait tout pour me plaire. La première partie a répondu à mes attentes : c'est avec tendresse que j'ai suivi le jeune Gustave dans son ivresse de mots et de lectures. « À la puberté la logorrhée me poussa plus dure encore que la barbe au pubis. » (p. 49) Avec compassion, j'ai assisté à ses crises d'épilepsie. Mais la deuxième partie m'a laissée sur le côté. Passant de la première à la troisième personne, la narration se veut résolument plus fantasmagorique. Mais ce que le texte gagne en imagination, il le perd en humanité. Bien loin de donner une dimension nouvelle et originale à un auteur sur lequel on a déjà tant écrit, Régis Jauffret en fait une silhouette encore plus floue, un ectoplasme. Dommage. Mais ce livre m'a donné envie de relire Madame Bovary, pour la énième fois.
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Serait-ce devenu une mode, chez certains de nos auteurs contemporains, de dézinguer les grands piliers de la littérature du XIXème siècle ?
Je pense naturellement à la récente biographie vacharde de Charles Baudelaire par Jean Teulé et à présent je découvre cette autobiographie apocryphe et fantasmée de Gustave Flaubert par Régis Jauffret

Moi qui avais jusqu'ici une admiration sans borne pour ce sublime écrivain de cette génération si prolifique, de cet amoureux de la langue, ce prosateur acharné à trouver le mot juste, la notation psychologique pertinente (Madame Bovary, c'est moi !), ce travailleur compulsif sur ses manuscrits mille fois raturés … j'en ai appris de belles sur l'homme et sa vie privée.

Un malade, déjà : crises d'épilepsie – comme César – puis la syphilis vraisemblablement attrapée dans les bordels – c'était le mal du siècle qu'on ne savait soigner qu'au mercure … un géant aux paupières tombantes qui copulait aussi bien avec des hommes qu'avec des femmes et aussi à l'occasion de son voyage en Orient, avec de jeunes garçons.

Il eut ainsi des liaisons avec Alfred le Poittevin, l'amour de sa vie, Louis Brouilhet et Maxime du Camp, et des relations intermittentes et souvent à sens unique avec Elisa Schlesinger, aperçue sortant de l'eau en 1836, qu'il immortalisa dans « L'éducation sentimentale » publiée en 1869, la poétesse Louise Colet, la jeune anglaise Juliet …

J'aurais donc appris bien des choses à travers ce roman baroque où l'auteur – comme dans un long – trop long - exercice de style – s'applique à former des phrases d'une longueur extrême (18 lignes page 183, 22 lignes P. 190 …) et à exhumer des mots rares (gamahucher, uraniste, se pitancher …). Comble de l'autocentrisme ou de l'autodérision, l'auteur se cite lui-même dans la bouche de son sujet … Enfin, ne se résolvant pas à se séparer de passages de son oeuvre, il les publie en police de caractère minuscule, dans une dernière partie intitulée « chutier », que je n'ai pas eu – je l'avoue – le courage de lire.

Bref, j'ai eu bien du mal à terminer cet étrange roman pourtant « travaillé » à l'extrême, avec en mémoire ma récente relecture de Madame Bovary, dont j'aurais appris incidemment que l'idée en vînt à Flaubert de la tragique fin de Delphine Delamarre, épouse d'un élève de son père.

N.B. Opération "masse critique".
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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Ça commence plutôt bien. L'écriture est fort agréable, le sujet intéressant, la plume gracieuse et élégante et puis... et puis, on commence à s'ennuyer, sérieusement. L'auteur tourne en rond, inlassablement. Il ne sait plus quoi dire sur Gustave Flaubert alors il se repète. le texte devient ronflant, terriblement lassant. La plume perd alors de sa qualité. D'agréable, elle devient lourde, pâteuse et collante. L'auteur nous noie dans un flot de mots qui perdent leurs sens et leurs intérêts. le plaisir n'est plus. J'abandonne à 40 pages de la fin. Dommage car l'exercice littéraire est très intéressant
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C'est avec un regard froid et une moue perplexe que j'ai ouvert ce roman de Régis Jauffret, que je découvrais par la même occasion. Cette réticence n'était pas réservée à l'auteur, bien au contraire je souhaitais rencontrer son oeuvre. Elle s'accordait plutôt à son sujet, la vie et la mort de Gustave Flaubert. Cela sentait un peu le livre de commande... célébrer le bicentenaire de la naissance de l'auteur d'Emma Bovary...
Et cette ingrate réserve, malgré les charmes de l'écriture et une convaincante tonalité ironique, persistait obstinément dans les premières pages. Raconter la vie privée d'un auteur n'avait que peu d'intérêt.
Puis, à mi-parcours, le talent de Jauffret a emporté la partie. Car sa façon insolente de bousculer l'icône littéraire et de jouer avec ses lecteurs qui, forcément, le lisent nourris de leurs propres cultures flaubertiennes, fait que l'on oublie vite le côté chronique pour s'amuser et goûter délicieusement les passages parodiques et les subtils "pastiches". Enfin, la dernière partie du roman monte crescendo dans des délires dignes de Saint Antoine ou de Félicité, on est alors heureux d'être porté par cette déferlante jusqu'à un finale faulknérien grandiose. Jauffret rend, avec ce roman, un bel hommage à Flaubert et à la littérature.
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1er livre de Jauffret que je lis. Il sait bien écrire, il n'y a pas de doute (exemple en haut de la page 147) Projet original - mais il n'est pas le 1er à le faire (au hasard, trouvé sur le net, Reassurance d'Allan Gurganus, Sophomore, 19, is School Year's First Fatality de Dan Chaon..) - : faire parler un mort (en étant son "scribe"), en l'occurrence Flaubert, jusqu'à aujourd'hui, imaginant ses actes, paroles, pensées.. à partir de faits +/- avérés.. (surtout - que + (p 26) : "je vous donne ici des phrases de mon cru dont le plus souvent vous ne retrouverez trace ni dans mes oeuvres ni dans ma correspondance ..", le "je" étant bien sûr exclusivement, malgré l'apparence, Jauffret) .. ses fantasmes, rêves, cauchemars, hallucinations.. Jauffret assume son imagination et énonce même (p 82) le contrat, ambigu, qu'il nous propose : " je [Flaubert, via Jauffret] fais cependant le serment de m'en tenir à mon passé officiel [..] Si d'aventure je m'en éloignais, si j'allais même jusqu'à en prendre le contrepied, je le signalerai au fur et à mesure [..]"
J'ai tenté d'être attentif au long de ces plus de 300 pages foisonnantes et je n'ai repéré qu'un seul de ces signaux promis ( p 72) : " où [la propriété De Croisset] 12 années avant notre déménagement l'abbé Prévost écrivit Manon Lescot publié (..) en 1731". Il y a manifestement là une incohérence de date puisque le père de Flaubert est né en 1784.. mais c'est peut-être un de ces signaux. Peu importe : comme je l'ai déjà dit, c'est bien écrit - souvent très bien écrit (des phrases assez longues sans ponctuation - ce qui crée de la musicalité - et dont le sens parfois à la fin est, par glissements successifs et presque imperceptibles, quasi le contraire de celui au début..).
Les "monologues intérieurs" - dont on dit qu'ils ont été inventés un siècle après Flaubert ou du moins portés à un sommet par Joyce dans Ulysses - y sont assez forts. le sexe, la sexualité de Flaubert, réelle ou fantasmée par Jauffret, sont plutôt assez présents dans le livre, donnant une image du "bonhomme" Flaubert bien éloignée de (jusqu'à)Lagarde & (gode)Michard.. J'ai ainsi appris (mais je ne m'y étais jamais intéressé) que Flaubert était bi-sexuel et plutôt même plus homo qu'hétéro, qu'il a une relation amoureuse "complète" avec, entre autres, Maxime Ducamp, qu'il aurait couché avec Baudelaire..
Avec ce livre nous avons un nouvel exemple de l'ambiguïté du statut de narrateur et d'auteur, ce dernier pouvant même se pasticher dans probablement la plus longue (et belle) phrase de son roman (p.314).
J'ai trouvé la deuxième partie du livre (en gros à partir de la page 260), comme les derniers instants de Flaubert dans son bain, bien longue quand même.. et le "chutier" (jolie trouv(a)ille en clin d'oeil au "gueuloir"), malgré quelques intéressantes réflexions et phrases (très) bien écrites, n'apportent pas, à part vous fatiguer les yeux, grand-chose de plus. La plupart des passages ne sont que des variantes de ce qui était déjà écrit et certains sont même déjà présents dans le "corps" du roman.
A la fin (je ne divulgue rien car ça n'est pas une histoire, encore moins à suspens : on connait l'issue dès le titre ) Jauffret s'exprime sur la censure et la condamnation - manifestement pas digérées - dont il a été l'objet au profit de DSK à la suite de la Ballade de Rickers Island et pousse une gueulante contre l'appauvrissement généralisé de la langue, donc de la pensée et donc de l'humanité, en laissant sans doute au lecteur l'idée de faire les liens avec Flaubert lui aussi jugé et censuré pour Emma Bovary (livre de lycée dont j'ai un souvenir très très flou mais pas agréable).
C'est étrangement d'ailleurs cet ultime propos qu'il a repris, quasi mot pour mot, lors de la promotion de ce livre à 28 Minutes (Arte) le 4 mars récent.. comme s'il l'avait écrit juste avant l'édition du livre (à moins que ce ne soit vraiment une opinion qui le taraude. Je ne connais pas assez R Jauffret pour le savoir).
Au final : un livre au projet original (de nouveau explicité p 314 : " raconter l'histoire de quelqu'un ne peut être qu'inventer sa vie". (la vie de qui ? Celle de "Flau", comme il finit par l'écrire, ou celle de "Jau" ?) , (très) bien écrit mais dont la nécessité (à part pour son auteur) ne me paraît pas évidente, d'où ma "note" mitigée. Si je n'avais "noté" (quelle prétention !) que le style, l'écriture, j'aurais coloré une étoile de plus..
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Je n'avais jamais entendu parler de l'auteur, ça a été jouissif de découvrir sa verve, et ses anachronismes, sa grande connaissance du sujet Flaubert et du contexte socio historique. Je me suis vraiment délectée en le lisant même si la ficelle de faire se souvenir un mourant de sa vie passée est un peu grosse, c'est fait avec tendresse,avec humour et mené tambour battant.
Il faut croire que je ne connaissais pas Flaubert non plus car je l'imaginais bon bourgeois cossu installé avec sa bourgeoise bien plan-plan,et bien j'avais tout faux.
Les pages où sont décrits les derniers instants de l'écrivain sont un petit chef d'oeuvre et ma foi drôles malgré le sujet.
MAIS bon sang de bon soir,les éditions du Seuil,vous êtes de connivence avec un groupement d'opticiens ou bien??? Les dernières pages intitulées chutier,peut être des notes de Flaubert ou des notes de Jauffret imprimées en si petits caractères, c'est du foutage de gueule,ou du foutage de vieux!!!! Voilà donc une trentaine de pages que je n'aurai pu déchiffrer, malgré la grande curiosité qui me tenaille.
Les éditions du Seuil, c'est vraiment NUL,ce choix!
Désolé pour Régis Jauffret,mais comme j'écris une critique sur le livre,je ne mettrai pas 5 étoiles malgré la qualité de cette biographie très originale à cause d'un choix invraisemblable de la maison d'éditions. Par contre, maintenant que j'ai fait connaissance avec cet auteur, j'espère pouvoir lire encore d'autres livres de lui.
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Aux premières pages le lecteur non prévenu croit relever des erreurs — Flaubert évoque sa mort au passé, se compare à un zeppelin, voit Emma vêtue d'un rideau et la Seine remonter De Croisset à Rouen. Suspension de l'incrédulité : c'est une autobiographie posthume qui nous plonge avec Gustave dans sa baignoire, dans l'intimité amniotique où le mort raconte sa vie charnelle. C'est le Flaubert des souvenirs, des lettres et des confidences. Passé et présent se brouillent depuis sa conception, les scènes se déplacent de jour et de nuit dans la maison paternelle, à Rouen, dans la campagne normande ou en Orient, exhibant la voracité de Gustave, ses excès, ses amours : mère, soeur, nièce, égérie, amant et maîtresses, gitons et putains. Surgit la première crise comitiale. L'hypermnésie panoramique, qui appartient à l'aura épileptique et aux derniers souffles, est le foyer, le noyau du livre : « Soudain tout devient jaune, mon existence fond comme l'or dans un creuset. Je meurs, je meurs et je remeurs tandis que les convulsions me soulèvent, que mes lèvres se couvrent d'écume, que je sens dans mon crâne bondir ma cervelle. Des images de supplices arrivent par secousses, se détachant de la nuit comme des peintures écarlates sur de l'ébène. Malgré le vacarme qui règne dans ma tête je perçois un silence énorme qui me sépare du monde. Je pousse une plainte dont j'entends l'écho courir dans la campagne. Mon passé incandescent, mes souvenirs ruisselants de flammèches » (p 75).

Le premier chapitre était JE, le second est IL où Jauffret prend la parole. Pourtant le passage du « je » au « il » n'introduit aucune distance, nous scrutons Flaubert assailli par Emma dans sa baignoire et poursuivi par la mort dans son cabinet de travail. C'est le Flaubert de la culpabilité, de l'inachèvement, insatisfait de ses romans, obsédé de repentirs, de corrections, de variantes et d'appendices, traqué par ses personnages, Emma « beaucoup plus célèbre que lui », Matho, Bouvard et Pécuchet : « Depuis sa première crise sur la route de Trouville ses personnages avaient pris l'habitude de surgir à l'improviste pleins d'aigreur à l'encontre du sort qu'il leur avait réservé. Pareils à une bande de syndiqués ils le haïssaient comme un patron » (p 181).

Comme la Tentation de Saint Antoine le récit est pressé, tout scintillant d'images et de digressions, au risque de l'excès et de l'égarement. L'inspiration est longue, délirante, laisse étourdi comme l'ermite tenté par le diable, le style est tendu, avec des accélérations non ponctuées qui requièrent la relecture : « Le langage lui avait fait croire toute sa vie à des mirages. le langage pouvait à peine décrire le passé, le présent, le sucré, l'amer, la joie, le sel, le ciel, le vacarme et encore, si maladroitement qu'il faut les avoir déjà rencontrés pour les reconnaître à l'état de mots, comment le croire à même d'inventer l'avenir, de montrer le chemin vers des choses et des notions qui bien que convenablement nommées ne s'étaient encore jamais matérialisées et ne correspondraient peut-être jamais aucune réalité » (p 231).
Des trouvailles, bonnes à décrypter « Il était resté assez longtemps chez elle pour succomber et même derechef en se pressant » (p 44), de l'humour « Il se prosterne pour supplier Dieu d'exister afin de pouvoir auprès de lui refaire valoir ses droits à la vie éternelle » (p 241). de la coquetterie aussi : « Vivement que la mort oblige Régis Jauffret à porter ce solide niqab de bois vernis qu'on appelle un cercueil » (page 151). Coquetterie, ou procédé, ou provocation que le chutier où Jauffret verse en vrac son matériau littéraire dans un format illisible.

Je dois un grand merci à Babelio qui m'a offert ce livre et fait connaître son auteur.
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J'aime trop Gustave Flaubert pour apprécier ce roman. 

Il faut dire que l'idée est audacieuse. Les premières pages sont charmantes, le récit est riche, très documenté, on a l'impression par moment de retrouver le vrai Flaubert, son ironie, son auto dérision, sa malice. Les détails de son enfance sont très intéressants, sa relation au style est passionnante.

Puis le charme se rompt peu à peu. Très Flaubert au début, plus on avance dans le roman et plus il devient trop Jauffret. 
J'ai trouvé certains passages trop crus, trop violents. Les malheurs d'Elisa Schlésinger ont un intérêt historique, ils mettent en lumière sa personnalité et la fin de sa vie.
Mais je pense que les détails atroces du viol quel a subit n'ont aucun intérêt à part le voyeurisme.
Et ce n'est pas le seul passage sordide du genre.

Il y a trop d'inventions dans les intentions et dans les actes de Flaubert pour que cela ne vienne pas entacher sa mémoire. Ce qui semblait être au départ un roman à la gloire de l'auteur devient un calvaire pour ceux qui l'aiment véritablement.

Au bout d'un moment, je n'avais qu'une envie, quitter Jauffret pour Flaubert et me vautrer dans le plaisir coupable qu'est la lecture des correspondances dont il avait interdit la publication.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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