Commençons par remercier Babelio-Masse Critique et les éditions du Seuil qui m'ont permis de retrouver un
Régis Jauffret dans un exercice littéraire extrêmement périlleux.
Car je connaissais cet auteur à travers, entre autres, des oeuvres comme - Claustria - ou - Sévère -, lesquelles exploitaient, à la manière d'un
Emmanuel Carrère dans - L'adversaire -, un fait divers ayant marqué l'opinion publique.
- Claustria -, c'est l'affaire Josef Fritzl, qui séquestra sa fille pendant vingt-quatre ans dans le sous-sol de sa maison, la viola, la tortura, lui fit sept enfants... en toute impunité jusqu'à ce que... Une affaire qui fit grand bruit, fut connue du monde entier... et un livre qui scandalisa les autorités autrichiennes mises en cause dans le bouquin.
Dans cet exercice, j'ai apprécié le travail de documentation et le "produit fini".
Cette fois, R. Jauffret, pour fêter le bicentenaire de la naissance de l'auteur de - Madame Bovary - se réincarne en
Flaubert qui, dit-il " campe dans sa tête ", et se lance à travers trois approches, le "je", le "il", et un "chutier", dans un récit biographique, historique échevelé, galopant, débridé, halluciné, délirant où le temps se moque de la chronologie, où les époques se croisent et se recroisent, où vérité et fiction se font des clins d'oeil malicieux.
Tout commence par la fin ; rien que de très logique. le 8 mai 1820, dans sa propriété du hameau
De Croisset,
Flaubert prend un bain bouillant, et meurt peu après dans son cabinet de travail, foudroyé par une hémorragie cérébrale.
Retour en arrière le 12 décembre 1821, jour où Anne Justine Caroline Fleuriot, épouse du chirurgien-chef Achille Cléophas Flaubert donne naissance à Gustave.
À partir de là, R. Jauffret est
Flaubert, et nous donne sa vision de la vie familiale, amicale, sentimentale du grand homme.
Ses rapports avec son père, homme très occupé mais ayant autorité sur son fils, l'amour indéfectible pour sa mère, la relation très forte avec sa soeur Caroline, ses liens avec les domestiques Suzanne et Julie.
Son éducation, son entrée au collège, ses études de droit à Paris.
Sa passion pour la lecture, et celle exclusive pour la littérature qui, combinée avec ses crises d'épilepsie très impressionnantes, aura raison de la volonté de Cléophas de faire de son fils un notaire ou un magistrat.
Sa vie amoureuse où les garçons ont très souvent plus de place que les femmes.
Son oeuvre... et l'immixtion de ses personnages dans ce surprenant récit.
Son dernier bain avec Emma Bovary est un trip hallucinatoire qui vaut lecture.
Son crépuscule enfin, marqué par sa ruine causée par l'époux de sa nièce Caroline, sa légataire universelle... qui s'emploiera, pour des raisons vénales, à ne pas respecter certaines des volontés posthumes de son oncle.
On est immergé ( c'est le cas de le dire ) dans un XIXème siècle très réaliste, bien documenté où l'on croise des
Louise Colet, des Elisa Schlesinger ( la scène de ses noces révélée par Jauffret-
Flaubert, et les conséquences qu'elle aura sur la suite et la fin de sa vie sont bouleversantes), des
Maxime du Camp, des Ernest Chevalier, des
Alfred le Poittevin, des Juliet Herbert, des
Louis Bouilhet...mais aussi des "people" comme
George Sand,
Théophile Gautier, Daudet,
Balzac, Hugo,
Zola etc etc mais surtout
Maupassant, son fils spirituel.
Ce livre m'a permis de compléter mes connaissances sur le maître des maîtres de l'écriture.
Ainsi ignorais-je que son père était mort d'une septicémie contractée à la suite d'une autopsie pratiquée devant ses étudiants dans la salle d'amphithéâtre de l'Hôtel-Dieu de Rouen. Un coup de lancette qu'il se porta à la jambe fut le talon d'Achille de cet homme de constitution plus que robuste. " La lancette de mon père avait incisé vingt-cinq mille veines sans avoir été stérilisée depuis sa première utilisation en 1740...).
J'ai appris également que deux neurologues, grâce à la description laissée par un de ses amis d'une de ses crises d'épilepsie, avaient pu déterminer avec certitude que le foyer pathogène était situé dans le lobe occipito-temporal gauche du cerveau de
Flaubert.
Que sa syphilis lui fut offerte par "la putain Kuchiuk-Hanem" qu'il rencontra lors de son périple en Orient.
Que durant ces dix-huit mois exotiques, il fréquenta les bordels et eut ce qu'on qualifie aujourd'hui des rapports pédocriminels.
La plaidoirie de maître Jauffret-
Flaubert vaut là aussi d'être lue... je me demande ce qu'en penseront
Vanessa Springora,
Camille Kouchner,
Matzneff et Duhamel...
On a beaucoup supputé sur les raisons pouvant expliquer l'AVC massif qui emporta l'écrivain.
Son travail acharné et maniaque pour venir à bout de l'énorme entreprise -
Bouvard et Pécuchet - ( il a lu pour préparer le premier tome pas loin de 1500 volumes ), a souvent été mis en avant... associé à ses terribles crises d'épilepsie... le cocktail était déjà détonnant.
Ce qu'on oublie de dire, c'est que
Flaubert mesurait 1,84m (très haute stature pour l'époque )... pour plus de 100 kg !!!
Il fumait dès son réveil... à jeun... et aimait la bonne chère ; le tableau idéal de l'apoplectique.
J'en viens à présent au pari ( un mot d'actualité ) de Jauffret de se mettre dans les bottes de
Flaubert.
Là, l'élève ne pouvait rivaliser avec le maître du style qu'au risque de ne rester qu'un élève.
À vouloir penser et s'exprimer comme
Flaubert, Jauffret ne m'a pas convaincu, au contraire il m'a même souvent agacé.
Une avalanche de participes présents, des phrases commençant par "de" suivi d'un infinitif, une sophistication maniérée, des répétitions à l'épate en veux-tu-en voilà : baguenauder, cadeauter, vitement, valetaille, ad libitum, cataracte, défalquer, renâcler... Bref, une prose à faire pâlir d'effroi de vrais stylistes comme
Franck Bouysse ou
Marie-Hélène Lafon...
À vouloir s'élancer pour franchir comme les vagues de la mer un rocher trop élevé pour son retour... R. Jauffret ne sera sauvé que s'il bénéficie d'un épisode de grande marée sur l'achat de son livre, certes pas banal, mais qui pour moi est de l'ordre du "mitigé", voire du surfait.
Un coup d'essai à saluer même s'il n'est pas un coup de maître.