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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 14 °°°

Ce roman est un tour de force : en 400 pages, il décrypte trente années d'histoire politique et sociale française, trente années de transformations radicales à partir d'une ferme du Lot, parvenant à relier le local et le global, mêlant grands événements et destins individuels scrutés jusqu'à l'intime de façon magistrale.

1976 – 1999, de la grande sécheresse de l'été 1976 comme une annonce du dérèglement climatique à venir, à la tempête dévastatrice du dernier jour de 1999 comme une fin des temps, celle d'Alexandre, éleveur bovin quadragénaire, qui semble attendre l'arrivée des gendarmes. le premier chapitre fait peser une tension et un suspense qui planera durant tout le roman, juste par la force du mot «  détonateur ». A partir de là, c'est toute l'histoire d'Alexandre, de sa famille d'agriculteurs, qui se déroule pour comprendre les mécanismes profonds qui ont conduit Alexandre à cette radicalité annihilatrice.

Le roman dresse un panorama complet à hauteur d'homme d'une agriculture bouleversée par la mondialisation et par trente ans de mutations souvent insensées : de la mort de la polyculture familiale à l'élevage intensif, de l'exode rural à la crise de la vache folle, des paysans activistes d'extrême-gauche à la pression des grandes surfaces qui dérégulent les pratiques, de la désertification des campagnes à la dévitalisation des terres gavées d'ammonitrates. le choix de démarrer ce récit en 1976 est très pertinent car c'est aux alentours de cette période que s'accélère la mondialisation de façon irréversible jusqu'à une folie vertigineuse.

Serge Joncour est un maitre en matière de restitution de toute une époque, multipliant, en plus des thématiques évoquées précédemment, les références à l'histoire de France ( élection de François Mitterrand, nuage de Tchernobyl, marée noire d'Erika ) mais aussi à une culture d'époque ( des téléphones en bakélite en passant par les supermarchés Mammouth ). C'est extrêmement précis, ça bouillonne de vie de partout … peut-trop d'ailleurs par moment, j'aurai aimé voir certains thèmes plus approfondis, mais le projet de l'auteur est d'en faire un cadre dense à son intrigue romanesque.

Car du romanesque, il y en a. On n'est absolument pas dans le récit froid et désincarné d'une époque. Les personnages sont magnifiquement campés, à commencer par l'attachant Alexandre, un superbe personnage que l'on voit grandir, réfléchir, se remettre en question puis s'insurger, lui qui traverse les transformations d'un monde paysan qu'il croyait immuable et qu'il voit menacer de toutes parts. Et puis il y a son histoire d'amour avec Constanze, d'un romantisme fou, atypique et puissante.

En fait, cette épopée rurale est un hymne célébrant la poésie de la vie et de la nature, superbement décrite, enveloppant les personnages de sa bienveillance. Comme le titre l'indique, l'homme n'est pas un élément dissociée du décor, il est un élément du décor, il est un parmi les végétaux et les animaux. Serge Joncour donne une dimension quasi animiste à la terre, animée de forces qu'on ressent pour peu qu'on vive à son contact. Pour autant, ce roman terrien et sensible à la fibre écolo n'est jamais naïvement passéiste ou réactionnaire. Il est juste d'une grande acuité pour nous faire réfléchir sur le monde dans lequel nous souhaitons vivre, sonnant avec subtilité le réveil des consciences et de l'indignation légitime face aux travers de notre époque. Je regrette juste une écriture un peu terne qui ne m'a pas emportée autant que le sujet.
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Cet été 1976 la sécheresse n'en finissait plus sur le causse. Comme partout on y souffrait d'une chaleur de feu. Une chaleur qui n'entravait nullement l'action des antinucléaires de la centrale de Golfech et des activistes du Larzac contre l'extension d'un camp militaire. Tant politiques que contre le modernisme qui défigurait la planète, des luttes très éloignées des préoccupations des parents Fabrier qui, exploitant une ferme dans le Lot, étaient plus inquiets pour leurs enfants aimantés par une ville d'où ils risquaient de ne pas revenir — suivant en cela une tendance forte des campagnes.

Serge Joncour nous replonge dans cette période agitée mais porteuse d'espoir qui a précédé la mondialisation et l'accroissement des inégalités, la mort programmée des paysans et les catastrophes écologiques et climatiques (et sanitaires !). C'est un bilan un peu nostalgique du monde d'avant que j'ai beaucoup aimé. Peut-être parce que Serge Joncour en donnant chair à ses personnages et à une campagne vivante et attirante, nous souffle que le salut de l'homme passe par un respect indéfectible de la nature.
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J'aime bien Joncour.
Bien que connaissant excessivement peu et l'homme et son oeuvre, j'apprécie tout particulièrement son écriture empreinte d'une humanité et d'une simplicité qui me siéent particulièrement.

Fernand Raynaud serinait "J'suis qu'un pauv paysan, ça paye pu."
Aux Bertranges, ferme du lot exploitée par une famille ancestrale, faut pas se plaindre.
Malgré cette année 76 qui assèche l'air et le moral des plus optimistes, faut pas se plaindre.
Enfants, parents et grands-parents y sont nés.
Certains y mourront, question d'ancrage local.
La toute dernière génération de frondeuses se verrait bien tenter l'aventure de l'ailleurs, laissant à Alexandre, le frangin, un avenir aussi immuable que cette ferme familiale.

Joncour allie petite et grande histoire avec une force et une dextérité peu communes.
Balayant d'une plume grisante moult décennies, il évoque des changements sociétaux inéluctables portés par des individus eux-mêmes en pleine mutation.

Pour le quinqua que je suis, revisiter ces trois décennies initiées par la montée d'un Mitterrandisme alors bien timide, tout en évoquant les divers us et coutumes d'une époque révolue, m'ont procuré un bien fou.

Bien loin de susciter une quelconque nostalgie larmoyante, cette nature humaine nous rappelle que rien n'est gravé dans le marbre mais bel et bien appelé à évoluer (voire dévoluer) à une vitesse surprenante, agissant sur les êtres comme une machine à laver, fonction essorage.
Bien peu se révéleront fidèles à leurs idéaux passés, qu'ils fussent sociétaux, voire amoureux, rattrapés par un présent qui dissout les volontés les plus enracinées.

Une envie de bol d'air révolutionnaire ?
Cette nature humaine y pourvoira très facilement.

Délicieux moment.
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De la sécheresse à la tempête

De 1976 à l'aube de l'an 2000, Serge Joncour raconte l'évolution de la France à travers le regard d'un jeune agriculteur du Lot. Ce faisant, il dévoile beaucoup de la Nature humaine.

Après Chien-Loup, revoilà Serge Joncour au meilleur de sa forme. Nature humaine est un roman riche, épique, tranchant. Il s'ouvre en juillet 1976, à une époque que les moins de vingt ans ne peuvent certes pas connaître, mais qui a marqué tous ceux qui comme moi l'ont vécue. En juillet, la première grande canicule provoque de nombreuses interrogations et une remise en cause du système productiviste: «Cet été de feu avait déréglé tout le monde, avait tout chamboulé.» Pour les agriculteurs, le choc est rude. Et ce n'est pas «l'impôt canicule» décrété par le gouvernement de Giscard d'Estaing qui est susceptible de les rassurer. À commencer par les Fabrier, la famille mise ici en scène. Les trois générations qui s'activent dans les champs brûlés par le soleil entonnent leur chant du cygne. Ils plantent pour la dernière fois du safran, une culture qui exige beaucoup de main d'oeuvre et ne peut plus rivaliser au niveau du prix avec les importations d'Iran, d'Inde ou du Maroc.
Les grands-parents sont usés, les parents pensent à la retraite. Mais pour cela, il faudrait que leur fils Alexandre se décide à reprendre l'exploitation. Car ses trois soeurs ont déjà choisi une autre voie. Caroline, qui s'apprête à passer son bac, partira étudier à l'université de Toulouse. Vanessa, 11 ans, rêve d'être photographe et parcourt déjà la région avec son instamatic en bandoulière. Quant à Agathe, 6 ans, elle suivra sans doute ses soeurs.
Mais Alexandre n'a pas encore décidé de son avenir. Et ce n'est pas le Père Crayssac qui va l'encourager. Vieux contestataire, il a été de tous les combats, se rend régulièrement au Larzac où l'armée envisage d'installer un camp d'entraînement, refuse même que les PTT installent une ligne téléphonique sur ses propriétés. D'un autre côté, Alexandre voit bien les camions-citernes des militaires venir abreuver les bêtes et doit bien constater que «sans les Berliet de l'infanterie, les vaches auraient été aussi desséchées que le fond des mares.»
Si ce roman est si réussi, c'est qu'il met en lumière les contradictions, les espoirs et les illusions des uns avec l'expérience et les peurs des autres. En choisissant de se concentrer sur quelques dates-clé de notre histoire récente comme l'élection de François Mitterrand en 1981, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 ou encore la tempête Lothar en 1999, quelques jours avant le basculement redouté vers l'an 2000, Serge Joncour souligne avec vigueur les changements dans la société, le divorce croissant entre l'homme et la nature.
Alexandre, qui a rencontré Constanze – étudiante venue d'Allemagne de l'est – dans la colocation de sa soeur à Toulouse, devenant alors le gardien des valeurs et des traditions dans un monde qui ne jure que par le progrès, la technologie, les «grandes infrastructures». le but ultime étant alors de désenclaver le pays, y compris ce coin du Lot. Pour se rapprocher de sa belle, il va se rapprocher des étudiants qu'elle côtoie, antinucléaires prônant des actions radicales, et se brûler à son tour les ailes.
Si une lecture un peu superficielle du roman peut laisser croire à un manuel conservateur soucieux de conserver la France d'antan avec ses paysans et une agriculture raisonnable, pour ne pas dire raisonnée, Serge Joncour est bien trop subtil pour en rester là. À l'image de son épilogue, il préfère poser les questions qu'apporter les réponses, donner à son lecteur matière à réflexion et, sous couvert du roman, rapprocher deux mots qui ont trop eu tendance à s'éloigner, nature et humain. N'est ce pas ce que l'on appelle l'écologie?


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Le dernier quart du 20e siècle, l'humanité a connu une accélération subite, pas forcément positive.
Serge Joncour nous en fait prendre conscience, tel un sociologue, à travers une famille d'agriculteurs de l'Ouest de la France.

Cette famille composée des parents, de trois filles et d'un garçon connaitra les aléas de la mondialisation (vache folle, autoroutes biffant la paix de la nature, normes asphyxiantes pour l'élevage etc.), l'avancée du nucléaire avec la construction de centrales mais aussi ses limites cristallisées dans la catastrophe de Tchernobyl, les contraintes du profit à tout prix, et j'en passe.
Eh oui, la vie devient difficile pour ces gens attachés à leur terre, à leurs bêtes dont ils veulent le bien-être. La nature, ils en font partie intégralement, même si les filles de la famille préfèrent les attraits de la ville, Toulouse. A travers une histoire d'amour impossible, Alexandre, le fils au lourd héritage, tentera tant bien que mal de s'adapter à la modernisation… Pour le meilleur ou pour le pire ?

J'ai vraiment aimé suivre le destin de cette famille, en particulier d'Alexandre, avec en toile de fond tout ce qui concerne la vie de la France . Révoltes des écologistes et des anarchistes de tout poil face au nucléaire, montée du socialisme et élection de Mitterrand, canicules et tempêtes, arrivée du téléphone dans les campagnes : même si je ne suis pas française, pour moi tout est familier. Je suis née dans les années 60, et le dernier quart du 20e siècle, je l'ai traversé de façon assez peu « concernée », tout entière occupée par mes études et la fondation de ma petite famille.
C'est lors de cette lecture que j'ai pris conscience de tout ce qui a constitué le cadre de la première partie de ma vie.

J'ai vraiment eu l'impression de regarder un tableau, un tableau aux couleurs champêtres de la belle nature, mais aussi un tableau de la nature humaine, pas très reluisant.
Une lecture facile mais instructive, éclairante.

« Dans la vie, il y a des choses qu'on ne veut pas voir, et bien souvent ce sont les plus évidentes ».
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une histoire complexe ou plutôt plusieurs histoires en une. Il y a celle d'Alexandre, fils de fermiers dans le lot, qui va devoir reprendre la ferme de ses parents, ses trois soeurs préfèrant l'appel de la ville, de la modernité. Il y a celle de l'époque, la sécheresse en 1976, fin des années Giscard, des premières grandes surfaces et des activistes qui oeuvrent contre les centrales nucléaires. Il y a celle de Constanze, grand amour d'Alexandre, qui veut réparer la planète. Et surtout l'avancée de notre monde sur deux décennies, les campagnes sacrifiées par notre désir de nous déplacer vite, toujours plus vite et de manger sans dépenser trop et de posséder tout le confort moderne avec la fée électricité. Ce versant de l'histoire est vertigineux. J'ai trouvé le côté politique et activiste moins intéressant, quand je lis du Joncour j'aime surtout découvrir les gens et leur façon de vivre dans leur monde. J'ai adoré cette famille paysanne qui essaie de composer avec le progrès et leur mode de vie et la question de l'héritage car si les soeurs d'Alexandre préfèrent une vie confortable à la ville, elles demanderont très vite leur part d'héritage forçant Alexandre à faire des choix ne lui convenant pas. L'histoire d'amour magnifique entre Constanze et Alexandre mais à distance car Constanze, libre comme l'air, parcourt le monde et choisit de vivre en Inde et Alexandre lié à sa terre ne peut la suivre.

J'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire, déroutée par ce changement de style de l'auteur qui nous emporte dans l'évolution de la société et du monde rural sur une vingtaine d'années, sur ce combat de jeunes adultes clairvoyants, certes, mais obligés de combattre dans la violence des explosifs.

Mais l'épilogue est mon passage préféré avec ces tempêtes de 1999, qui ravagent tout sur leurs passages, privant les habitants de l'électricité et du coup de ce monde moderne. Et qui s'en sort mieux ? Ceux qui ont encore des cheminées ou des poêles, des maisons solides, des postes à piles, des bougies, bref les gens de la campagne.

Je ne me rendais pas compte de la vitesse de l'évolution de cette modernité, peut-être parce que j'ai toujours un pied à la campagne, un pied en ville et que mon cheminement est plus lent. Je garde en tête depuis la fin de cette lecture, l'évolution du téléphone. Je me souviens parfaitement de celui de mon enfance, à cadran, sonnerie stridente, toujours installé dans une pièce de passage. Maintenant j'ai un portable que j'oublie dans un coin d'une pièce ou au fond d'un sac, systématiquement, privant mes proches d'une discussion, d'une info, d'un service, parce que je ne veux pas être esclave de cet objet que je ne pourrais pas recharger sans l'électricité. Objet réduisant les travailleurs, surtout en ce moment, en esclaves virtuels.

Une histoire perturbante mais salutaire à qui veut bien arrêter sa course folle de la vie moderne.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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un bien beau roman de génération mais qui peut être lu par tous. L'auteur, Serge Joncour a quasiment mon âge (à quelques années près) et presque tout ses souvenirs me parlent. Un livre où l'on prend plaisir à se souvenir des belles choses comme des moins belles.
Alexandre, vit avec ses parents et ses trois soeurs dans une ferme dans le Lot. le récit démarre en 1976, date de la première grosse canicule où la pluie est bénit par beaucoup de monde. Alexandre et ses soeurs, sont de jeunes adolescents ou encore des enfants. Puis nous passons en 1980, où la soeur aînée, Caroline, part vivre en ville à Toulouse pour finir ses études. Les deux petites soeurs, Agathe et Vanessa, rêvent de la ville également. Alexandre est pressenti par les parents et ses soeurs pour faire vivre la ferme familiale. Et les années passent encore...jusqu'en 1999.
A travers cette famille, Alexandre et les siens nous font revivre la vie paysanne et plus tard la fin d'un autre monde. Leurs histoires fait toujours référence à la grande, comme l'élection de Mitterrand, les anti-nucléaires, la catastrophe de Tchernobyl, la grande tempête de 1999. Elle fait nous souvenir également de l'essor technologique, la télé, le téléphone avec fil puis sans fil etc...bref plein de souvenirs qui font plaisir à lire.
Ce roman a eu le prix Fémina 2020, il le mérite amplement.
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Serge Joncour dont c'est mon quatrième opus m'avait habitué à plus de pression, plus de tension et plus de férocité dans ses romans précédents.
Celui-ci est une rétrospective musclée des années 70-90 depuis les plateaux de la Corrèze dans une famille d'éleveurs qui constatent avec abattement une pleine mutation de leur avenir vers la mondialisation sur fond de centrales nucléaires en pleine expansion.
Serge Joncour a-t-il voulu réveiller la nostalgie de ces années d'espoir à grand renfort de Mammouth qui écrasait les prix, nous interpeler avec le sourire de Danielle Gilbert à la coiffure de Playmobil nous présentant Plastic Bertrand à Midi- Première.
Ça planait alors pour tout le monde quand on allait chercher du lait chaud dans la ferme du haut.
La mélancolie, ce « Roundup » de la vie aurait-il fait son oeuvre, tout désherbé même le champ des possibles ?

Il nous rappelle aussi qu'à cette époque on faisait le plein chez Antar pour alimenter la GS dans laquelle la radio-K7 Pionner crachait le « One step beyond » de Madness alors que beaucoup ne voulait pas faire un pas plus loin pour ne pas découvrir l'autoroute promise par Chirac sabrer comme une balafre la campagne de leurs racines.
Le soir, à la Telefunken, après Albator et les pubs Dim, Calor et Whiskass, voir la mine éternellement déconfite de Roger Gicquel, me donnait toujours l'impression que toutes les catastrophes avaient échouées sur ses pompes, ce qui n'était pas complétement faux concernant Tchernobyl en 86.
Je me souviens que pendant que je suçais mon Kim-pouss à la vanille mon père fulminait à grands coups de poings sur la toile cirée de la table de la cuisine contre les prises de positions de l'Europe sur la politique agricole commune. « On nous ment, on nous spolie » scandait alors Arlette toujours polie...

Cette débauche de réclames m'a embarrassé, comme une marque indélébile et indécente d'une appartenance à un passé révolu qui, je le sais maintenant, a accouché d'un présent bien pire, sans aucun remord.
Les années de 76 à 99 sont parmi les plus belles de ma vie. Les voir ainsi offertes en pâtures comme de vieux « Jours de France » abandonnés sur la table basse du dentiste m'a déprimé.

It's a joke...Il faut vivre avec son temps ! comme disait ma grand-mère qui n'avait jamais vu la mer et qui trouvait absolument tout incroyablement exotique passé les 20 kms de sa ferme.

Cependant, grâce à la magie Joncour, je n'ai pas pu rester insensible au combat d'Alexandre fils et petit-fils d'éleveurs de bovins englué dans de lourdes obligations, déchiré entre ses choix d'émancipation auprès de Constanze, une jeune allemande écolo et ses devoirs d'héritier alors que ses frangines ont déserté le creuset familial depuis belle lurette pour faire des études à Toulouse ou à Paris.

Au fil des pages, la rétrospective devient lutte. Alexandre ne comprend pas ce monde qu'il n'aime plus. Il n'aime que sa terre à l'odeur de menthe sauvage, que ses belles Salers à la robe rousse, véritables points d'attache chatoyants dans ses verts pâturages.
Contestataires, antinucléaires, révolutionnaires seront ses choix dans cet avenir qu'il ne peut envisager terres à taire.
C'est, par un final magistral qu'une fois encore Serge Joncour m'a séduit de sa vision au champ aussi large qu'incroyable, gorgé de révolte, inondé d'espoir et surtout envahi d'amour.
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Le monde rural une nouvelle fois mis en exergue dans le dernier roman de Serge Joncour. Et même s'il est davantage question de son exode, ici, et de l'impact de la mondialisation sur ce monde rural, les mots de l'auteur ont été, pour moi, une délicate et douce reconnexion à la terre, à la nature.
Avec Nature humaine, Serge Joncour balaie le paysage politique et social de la France du milieu des années 70 aux portes de l'an 2000. Une rétrospective dense, haletante, visionnaire sur une période jalonnée d'événements marquants plus ou moins joyeux (, la chute du mur de Berlin, Tchernobyl, la vache folle, la tempête de 1999...). Un regard époustouflant de justesse sur la relation de l'homme à la nature.
« Au journal de treize heures ils montrèrent les images des candidats en train de voter. le président Giscard d'Estaing à Chanonat, petit village dans un repli du Puy-de-Dôme, Chirac au fin fond de la Corrèze, Debré avait rempli son devoir à Amboise, Crépeau à La Rochelle [...] Mitterrand était toujours attendu dans son coin perdu de la Nièvre, chacun puisait sa force au sein d'une terre d'origine, signe que la terre, c'était bien de là qu'un Président tirai sa force et sa légitimité, pour être élu il devait d'abord valider sa parcelle d'humanité faite de la même argile que le peuple, de la même terre. Plus les hommes politiques devenaient citadins, et plus ils prétendaient être de la campagne. »
« Autour de moi je vois de plus en plus de gens qui ne rêvent plus, je ne retrouve rien de la folie des années 1970 ... Maintenant ceux qui rêvent, eh bien ils rêvent d'avoir une vie comme tout le monde… »
Le monde rural : un havre de paix et de liberté, pourtant, c'est un monde en déclin depuis des décennies. La mondialisation est passée par là, rendant les petits villages de moins en moins accessibles, les dépouillant de leurs habitants, de leurs commerces...
Chacun des personnages apporte un témoignage sur les aspirations de l'époque : les vieux de la vieille, à l'instar de Crayssac, qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée des téléphones en bakélite, réfractaires à toute avancée technologique, réacs et activistes, prêts à tout pour se défendre, défendre leur bout de terre, leur paradis ..., les plus jeunes aspirant à vivre à la ville, aimant la modernité, les voyages, désirant à une vie plus enivrante, plus en mouvement... et ceux dont les nouvelles technologies permettent de faire plus, encore plus, toujours plus. Plus de rendement notamment pour alimenter le Mammouth qui vient juste d'ouvrir à Cahors, celui qui simplifie la vie des ménages, écrase les prix ! À quel prix ... justement. Au détriment des "petits", au détriment de la qualité, au détriment de la nature elle-même.
« Depuis que Crayssac luttait sur le Larzac, il était devenu une figure. [...] Plus proche du parti communiste que des hippies, Crayssac était sur le Larzac comme chez lui, il faisait corps avec les enflammés des syndicats et de la Lutte occitane, aussi bien qu'avec ceux de la Jeunesse agricole catholique et de ces artistes venus de Paris. Il avait jeûné avec les évêques de Rodez et de Montpellier, même François Mitterrand les avait rejoints, faisant lui aussi une grève de la faim, une grève de la faim de trois quarts d'heure seulement, mais qui avait quand même marqué les esprits. le socialiste avait juré que s'il accédait un jour au pouvoir son premier acte serait de rendre le causse aux paysans… le Larzac, donc, ce n'était pas rien, et dans un monde hypnotisé par la modernité, c'était bien la preuve que la nature était au centre de tout. »
L'arrivée des hypermarchés, du TGV, des pesticides, du nucléaire...et avec ce moderne package, forcément une première prise de conscience : l'humain impacte son environnement. Les premières grandes luttes sociales, qui font échos à celles menées aujourd'hui, s'organisent, militent, sonnent l'alerte. Une alerte restée lettre morte ou presque. On peut légitimement se poser la question, non ?

Serge Joncour n'est pas un donneur de leçon, il nous offre une rétrospective riche et clairvoyante sur notre monde, passe au scalpel la complexité de la nature humaine, et l'on se délecte de cette belle parenthèse.
Au coeur de la folie et des contradictions de notre humanité.
Un roman rural et social, un roman de la nature qui instruit, passionne, questionne, amène à la réflexion.
Une belle moisson de mots !
« Les grands moments de l'Histoire sont la consigne de nos souvenirs personnels. »
Un ouvrage plus profond que "Repose-toi sur moi", à mon humble avis. "L'écrivain National" m'avait quant à lui beaucoup touchée. Je lirai, à l'occasion, "Chien-Loup", Landerneau 2018.
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Les Bertranges, une ferme paumée au milieu des coteaux, les Fabrier y ont vécu pendant quatre générations, aujourd'hui Alexandre est le seul à y vivre au sommet des prairies. Alexandre est le fils sacrificiel qui doit endosser le fardeau de la pérennisation de la ferme, est-ce qu'un jour il trouvera une fille qui acceptera de vivre ici ? Alexandre va faire la connaissance d'un groupe d'activistes, des étudiants, des militants antinucléaires, d'autres très à jour sur l'utilisation des explosifs. Il va mettre la main dans un foutu engrenage. C'est là qu'il croise Constanze, elle vient d'un pays coupé en deux, elle a la manie de voyager, de courir le monde, elle parle de s'installer en Inde. Alexandre, il ne quittera jamais cette terre qui a besoin de lui. Ils sont originaires de deux planètes inconciliables.

Serge Joncour nous délivre un grand roman social, de 1976 jusqu'aux derniers jours de 1999. A travers le portrait d'Alexandre il nous entraîne à la croisée de deux époques, de deux mondes. Avec sa plume toujours aussi belle et précise, il nous décrit les conséquences sociales, politiques, culturelles, écologiques et humaines de cette fuite en avant, de cette course à la consommation et au profit qui détruit tout sur son passage : la nature et les hommes.

Le père Crayssac, un vieil agriculteur, un rouge, un précurseur, est le symbole de ces luttes perdues d'avance : le camp militaire du Larzac, l'installation des poteaux du téléphone, les centrales nucléaires et l'accident de Tchernobyl ; les autoroutes qui défigurent les paysages, les meilleures terres agricoles qu'on bétonne pour y faire pousser des centres commerciaux.

Un roman ancré dans son époque : les veaux aux hormones, la mode des hippies paysans, les maïs transgéniques ; la campagne présidentielle de 1981 et l'élection de Mitterrand porteur de tant d'espoir, la montée des nationalismes, le sida, la marée noire provoquée par un pétrolier échoué au large de la Bretagne, le bug de l'an 2000 et la fin du monde annoncé.

Un roman d'une grande richesse par toutes les questions que Serge Joncour aborde, toutes ces questions qui nous interrogent sur le vrai sens de la vie.

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Les événements du roman se déroulent entre 1976 et 1999

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