Le monde rural une nouvelle fois mis en exergue dans le dernier roman de Serge Joncour. Et même s'il est davantage question de son exode, ici, et de l'impact de la mondialisation sur ce monde rural, les mots de l'auteur ont été, pour moi, une délicate et douce reconnexion à la terre, à la nature.
Avec
Nature humaine, Serge Joncour balaie le paysage politique et social de la France du milieu des années 70 aux portes de l'an 2000. Une rétrospective dense, haletante, visionnaire sur une période jalonnée d'événements marquants plus ou moins joyeux (, la chute du mur de Berlin, Tchernobyl, la vache folle, la tempête de 1999...). Un regard époustouflant de justesse sur la relation de l'homme à la nature.
« Au journal de treize heures ils montrèrent les images des candidats en train de voter. le président Giscard d'Estaing à Chanonat, petit village dans un repli du Puy-de-Dôme, Chirac au fin fond de la Corrèze, Debré avait rempli son devoir à Amboise, Crépeau à La Rochelle [...] Mitterrand était toujours attendu dans son coin perdu de la Nièvre, chacun puisait sa force au sein d'une terre d'origine, signe que la terre, c'était bien de là qu'un Président tirai sa force et sa légitimité, pour être élu il devait d'abord valider sa parcelle d'humanité faite de la même argile que le peuple, de la même terre. Plus les hommes politiques devenaient citadins, et plus ils prétendaient être de la campagne. »
« Autour de moi je vois de plus en plus de gens qui ne rêvent plus, je ne retrouve rien de la folie des années 1970 ... Maintenant ceux qui rêvent, eh bien ils rêvent d'avoir une vie comme tout le monde… »
Le monde rural : un havre de paix et de liberté, pourtant, c'est un monde en déclin depuis des décennies. La mondialisation est passée par là, rendant les petits villages de moins en moins accessibles, les dépouillant de leurs habitants, de leurs commerces...
Chacun des personnages apporte un témoignage sur les aspirations de l'époque : les vieux de la vieille, à l'instar de Crayssac, qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée des téléphones en bakélite, réfractaires à toute avancée technologique, réacs et activistes, prêts à tout pour se défendre, défendre leur bout de terre, leur paradis ..., les plus jeunes aspirant à vivre à la ville, aimant la modernité, les voyages, désirant à une vie plus enivrante, plus en mouvement... et ceux dont les nouvelles technologies permettent de faire plus, encore plus, toujours plus. Plus de rendement notamment pour alimenter le Mammouth qui vient juste d'ouvrir à Cahors, celui qui simplifie la vie des ménages, écrase les prix ! À quel prix ... justement. Au détriment des "petits", au détriment de la qualité, au détriment de la nature elle-même.
« Depuis que Crayssac luttait sur le Larzac, il était devenu une figure. [...] Plus proche du parti communiste que des hippies, Crayssac était sur le Larzac comme chez lui, il faisait corps avec les enflammés des syndicats et de la Lutte occitane, aussi bien qu'avec ceux de la Jeunesse agricole catholique et de ces artistes venus de Paris. Il avait jeûné avec les évêques de Rodez et de Montpellier, même
François Mitterrand les avait rejoints, faisant lui aussi une grève de la faim, une grève de la faim de trois quarts d'heure seulement, mais qui avait quand même marqué les esprits. le socialiste avait juré que s'il accédait un jour au pouvoir son premier acte serait de rendre le causse aux paysans… le Larzac, donc, ce n'était pas rien, et dans un monde hypnotisé par la modernité, c'était bien la preuve que la nature était au centre de tout. »
L'arrivée des hypermarchés, du TGV, des pesticides, du nucléaire...et avec ce moderne package, forcément une première prise de conscience : l'humain impacte son environnement. Les premières grandes luttes sociales, qui font échos à celles menées aujourd'hui, s'organisent, militent, sonnent l'alerte. Une alerte restée lettre morte ou presque. On peut légitimement se poser la question, non ?
Serge Joncour n'est pas un donneur de leçon, il nous offre une rétrospective riche et clairvoyante sur notre monde, passe au scalpel la complexité de la
nature humaine, et l'on se délecte de cette belle parenthèse.
Au coeur de la folie et des contradictions de notre humanité.
Un roman rural et social, un roman de la nature qui instruit, passionne, questionne, amène à la réflexion.
Une belle moisson de mots !
« Les grands moments de l'Histoire sont la consigne de nos souvenirs personnels. »
Un ouvrage plus profond que "
Repose-toi sur moi", à mon humble avis. "L'écrivain National" m'avait quant à lui beaucoup touchée. Je lirai, à l'occasion, "
Chien-Loup", Landerneau 2018.
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