Sensible et introspective, telle est la poésie de
Marie Joqueviel dans son très beau recueil
Devenir nuit. Dans une écriture mesurée et sans profusion de sens, l'auteure s'essaie du bout des doigts, avec attention, à déposer les mots sur la page, leur résonnance avec.
Ne pas parler, se taire, conserver l'ampleur du silence que portent en eux les mots, préférer parler aux fantômes, aux êtres aimés et disparus que l'on porte en soi, que l'on aimerait de l'extérieur, sans le pouvoir, serrer dans ses bras, dans une « litanie de noms, presque-poème, qui s'étire ».
Les pages, les poèmes de
Marie Joqueviel nous murmurent qu'il faut se dissoudre dans l'évidence que nous sommes là, comme à part de nous-mêmes, inscrits dans un temps qui sans cesse se dérobe à nous, qui nous entraîne dans sa marche, jusqu'à notre disparition. Redécouvrir le pouvoir des mots, c'est se mettre en dehors d'un temps qui nous déborde, qui nous enlève la parole. Il faut redécouvrir
« L'émotion d'exister et le lancinant espoir de devenir
celle
qui vit juste
accordée à son propre coeur »
Ne pas savoir quoi écrire de notre désir, tant il est grand.
Marie Joqueviel écrit pour tenter de s'approcher de lui, de ce désir, de cette sensation qui nous déborde. Dans un bruissement d'images et d'impressions, quelque chose la pousse à dire, à écrire, quelque chose de préexistant à la parole, qui telle une rumeur, touche au plus intime de soi.
« tu hésites entre une parole
et l'autre qui l'ignore
tu parles de ta voix du dedans à ce monde en toi sans visage
au peuple des morts aimés qui hante ta langue
litanie de noms presque-poème que la vie étire
(tu ne les diras pas tu les gardes au secret)
tu te sens
dépositaire de quelque chose comme la vie
_________ responsable du vivant __________
et tu écris probablement tu écris
pour rendre justice à l'intensité d'être »
La nuit, le secret, le murmure, les êtres aimés, le silence, tous chez
Marie Joqueviel trouvent abris dans son écriture. Discrète et pudique, l'auteure se met en retrait, en tant que sujet qui écrit, mais qui révèle d'elle un pressentiment, un devenir, un je ne sais quoi qui se situe tout au bord des mots.
« Quand la ligne claire du vivre
Se tend sûre de ses attachements
Nous entrons dans les bras du monde
et la mort alors
en nous
s'apaise »
.