Après vingt ans d'une absence jamais élucidée, Tara réapparaît subitement devant la porte de ses parents qui désespéraient de la revoir un jour. Curieusement, elle semble avoir conservé ses presque dix-huit ans, et prétend avoir été enlevée par des fées…
J'ai trouvé ce livre très agréable à lire et plutôt prenant. On est à première vue dans du fantastique assez classique, avec un événement surnaturel qui vient chambouler la vie de gens « normaux ». Ce qui est intéressant, d'emblée, c'est la multiplicité des points de vue : au fur et à mesure de la lecture, on va découvrir le récit de Tara, mais on va aussi avoir accès aux réactions des différents proches de la jeune fille : son frère, qui la croit folle et n'a jamais cessé d'être en colère contre elle, son ex, qui ne s'est jamais remis de sa disparition et qui a longtemps été suspecté de l'avoir tuée, ses parents, dépassés par les événements et qui n'osent pas lui poser de question de peur de la faire fuir, et d'autres personnages plus anecdotiques qui contribuent à la richesse du récit.
C'est une très bonne idée de s'attarder sur l'après : on parlera bien sûr de l'enlèvement et de sa vie parmi les fées, mais la majeure partie du livre s'intéresse aux conséquences de sa disparition sur son entourage, et à son retour dans la vie normale, avec la peur de ne pas être crue, les réactions de ses proches, les conclusions qu'on peut en tirer. Lorsque son frère l'emmène voir un psy, on a aussi accès à ses analyses pendant qu'il écoute son histoire, et j'ai beaucoup aimé lire ses interprétations (tirées par les cheveux, mais on ne peut pas le lui reprocher) et aborder le récit fantastique sous un autre angle.
En fait, plusieurs fois, ce livre m'a fait penser à
Morwenna de
Jo Walton. D'une part, parce que là aussi on arrive « après » les événements fantastiques, et on s'intéresse plutôt à la vie quotidienne qui reprend son cours bien qu'elle soit chamboulée à jamais. Et d'autre part, parce qu'on a aussi en quelque sorte cette double lecture de la magie qui nous permet deux interprétations, qui nous autorise autant à croire le récit fantastique qu'à l'expliquer par des faits rationnels. La différence, c'est que dans
Morwenna j'avais tendance à préférer la version rationnelle, tandis qu'ici plusieurs éléments nous poussent plutôt à croire Tara (c'est en tout cas comme ça que je l'ai ressenti).
A d'autres moments, j'ai aussi eu envie de faire un parallèle avec
Faërie de
Raymond E. Feist, plutôt par rapport aux fées elles-mêmes. Dans les deux livres, elles sont mystérieuses et finalement assez peu décrites, pas forcément bienveillantes et même parfois menaçantes pour l'homme. Leur univers semble riche et intrigant, mais juste effleuré (ce qui ne m'a pas dérangé, mais qui pourrait en frustrer certains). J'ai beaucoup aimé les passages dans lesquels Tara raconte son absence, et j'ai trouvé ces êtres assez fascinants.
Par contre, je me suis un peu interrogée sur le choix de Bragelonne de publier
Comme un conte dans leur collection « L'Autre ». D'après ce que j'avais compris, cette collection sert à classer les inclassables, les romans hybrides et surprenants. Je n'avais lu jusqu'ici que
le Voyageur de
James Smythe qui rentre tout à fait dans cette définition, et par comparaison
Comme un conte me semble plus conventionnel, je n'aurais pas réfléchi deux fois avant de le classer dans le fantastique. J'ai donc fouillé un peu et je suis tombée sur la description de l'Autre, qui a éclairé ma lanterne :
Des romans qui ne correspondent pas exactement à un genre, une cible, une catégorie. Soit parce qu'ils mélangent les genres, les références et les inspirations au point de ne pouvoir être rangés sous aucune des étiquettes habituelles (SF, Fantasy, fantastique, policier etc.). Soit parce que les éléments imaginaires n'y sont qu'un mince prétexte, se fondent dans le récit plutôt que d'être développés et explorés, et servent à déclencher et mettre en valeur une histoire essentiellement humaine et universelle.
Alors effectivement,
Comme un conte entre sans peine dans le second cas de figure : comme je le disais plus haut, on ne se concentre finalement pas tant que ça sur l'escapade de Tara, ce n'est qu'un prétexte pour parler des réactions des autres, de leur ressenti pendant toutes ces années, et du choc de son retour. C'est pour ça qu'au fond, l'important n'est pas de savoir si son histoire est réelle ou inventée de toutes pièces : certains personnages ne seront d'ailleurs pas forcés de reconnaître qu'elle dit la vérité et resteront convaincus qu'elle fabule, et c'est un angle que je trouve très intéressant.
En bref, je garde un très bon souvenir de cette lecture qui n'est pas allée là où je l'attendais mais qui a vraiment quelque chose à proposer au genre du fantastique.
Chronique plus complète ici :
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