Ces courtes
nouvelles font appel à de grandes figures de l'Histoire et des mythes, détournées sur le mode burlesque. La forme du dialogue est privilégiée, et les descriptions sont minimalistes, si bien que ces « fariboles » s'apparentent à des saynètes. Voilà de quoi satisfaire Hamlet, qui fait un passage dans ce recueil et songe à tout plaquer pour devenir comédien, tout en se demandant si être artiste, c'est être (ou ne pas être) proactif contre le tyran qui a usurpé le trône de son père. Sans doute faut-il lire là-dedans un questionnement du rôle politique de l'écrivain, car Čapek rédige une bonne partie de ces textes dans les années 1930, alors qu'un autre tyran accédait au pouvoir en Allemagne. L'une des dernières « fariboles », parue en 1937 s'intitule « Alexandre le Grand », et met en scène la mégalomanie expansionniste du roi grec, trouvant ainsi un prolongement évident dans ce qui attendait la République Tchèque, dépossédée de ses Sudètes l'année suivante. Année 1938 où Čapek, dans «
La mort d'Archimède », anticipe également le sort que les nazis avaient prévu pour lui, à l'image de tous les intellectuels ne souhaitant pas faire de compromis avec ceux qui veulent dominer le monde. Ces conquérants ne sont finalement que des enfants jouant à des jeux de guerre, comme le révèle Napoléon dans la faribole qui clôt le recueil. Et
Dino Buzzati ne dira pas le contraire plus tard, avec sa
nouvelle sur « Dolfi ».
Dans ces histoires intemporelles, qui mettent en perspective l'actualité angoissante de l'époque, Čapek ridiculise ainsi les travers puérils des adultes. Mais pas uniquement sous la forme que je viens d'évoquer, car tout y passe : jalousie de politiciens grecs face au don du feu à l'humanité par Prométhée, mesquinerie de Marthe voulant faire honte à sa soeur d'écouter Jésus lui parler (alors qu'aucune tâche domestique "nécessaire" à l'accueil de ce dernier n'a été accomplie), dogmatisme des vieux hommes des cavernes atterrés de voir les jeunes abandonner le travail de la pierre pour celui de l'os (signe irréfutable du déclin de la civilisation), lâcheté d'un Lazare ayant trop peur de mourir une seconde fois pour sortir de chez lui, égoïsme de Dioclétien qui utilise la raison d'État pour refuser de prendre au sérieux le point de vue des autres. Et cetera. L'humanité est ici une grande et méchante enfant… que Čapek ne peut s'empêcher de trouver attachante, à l'image du juste de Sodome qui préfère rester aux côtés de ses semblables, car il leur doit tout ce qu'il est. Avec le grec Agathon, Čapek critique l'intelligence (égoïste) et la raison (insensible) pour se placer du côté de la sagesse, qui prend chez lui la forme d'un humanisme iconoclaste : « j'aime mieux les hommes que leurs idées ». Sa philosophie relativiste s'appuie sur la fameuse question de Pilate à Joseph d'Arimatie « qu'est-ce-que la vérité ? », et nous invite à étendre figurativement le monde (par la fiction, par exemple) afin que chacune de nos réponses à cette question trouve la place de s'épanouir.