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sur 4023 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ceci n'est pas un livre, c'est un état d'esprit. En effet, qu'on se le dise, Jack Kerouac n'a pas écrit une histoire : au début, on est tenté de suivre les péripéties des deux gaillards principaux, Sal Paradise alias Kerouac lui-même et Dean Moriarty alias Neal Cassady (N. B. : dans le rouleau original, Kerouac n'a même pas pris la peine de modifier les noms réels des protagonistes, ainsi Neal Cassady, Allen Ginsberg et autres apparaissent directement sous leur véritable identité).

Mais au bout d'un moment l'histoire semble patiner et nous avec et puis, d'un coup, paf ! On se rend compte que l'histoire n'a absolument aucun intérêt, que la seule chose qui prime, c'est l'état d'esprit, le « Mood » pour reprendre un terme de jazz si propre à l'écriture de Kerouac.

Soit cela prend et c'est magique, soit cela ne prend pas et c'est une cruelle déception pour le lecteur. Vous aurez compris que pour moi, ça a pris, peut-être parce que je l'ai lu moi aussi sur la route, il y a bien longtemps, au volant d'une petite voiture bouffonne, avec Bob Dylan à plein tubes dans les oreilles, dans une pérégrination entre le Cap Nord et le Sahara, sans but et sans mobile comme les deux protagonistes et à peu près au même âge qu'eux.

Quand cela prend, on n'en ressort jamais complètement indemne : il y a un avant et un après Kerouac. La route prend une tout autre signification, car ce livre n'est rien moins qu'une autre manière de voir la vie. Cela devient de la métaphysique, une philosophie de vie à la Hermann Hesse (qui sera développée plus tard dans Les Clochards célestes).

Est-ce moral de fuir ainsi tout le temps, d'abandonner ses enfants et ses compagnes comme le fait Dean ? Est-ce que ça changerait quelque chose, à l'heure du dernier soupir, de ne pas les avoir abandonnés ? Ce livre a le mérite d'exister et de souffler une autre vision de la vie que l'utilitarisme.

Faire des choses qui ne servent à rien, juste pour les vivre, juste pour l'éphémère sensation qu'elles vous procurent. Vivre tout à fond, comme si c'était la dernière fois, expérimenter à tout va, la folle vitesse, les folles drogues, les folles orgies, les folles distances, les folles déprimes, les folles rigolades, les folles relations humaines, explorer des terrains inconnus de l'être, de la société, de la morale, de l'espace, vivre 100 vies en une, bref, accumuler des expériences, des expériences, et encore des expériences, quels qu'en soient la nature et le type, se chercher soi-même en une quête sans cesse réitérée au travers de ce que l'on ne connaît pas.

Voilà, pour moi, sur la route, c'est tout ça. La devise de ces joyeux drilles pourrait être « peu importe le flacon, pour peu qu'il y ait l'ivresse ! »

Le livre sortit en 1957, année mémorable à plus d'un titre, mais en particulier pour l'envoi dans l'espace du fameux satellite artificiel soviétique nommé Spoutnik. Il n'en fallut pas plus à un journaliste pour imaginer le terme de « beatnik » afin de qualifier ces sortes d'électrons libres déguenillés ayant la bougeotte.

Kerouac lui-même expliqua dans une interview que le terme « beat » faisait référence, selon lui, à trois notions combinées : la première provient des populations noires du métro de New York, littéralement les « battus », oubliés du rêve américain, croupissant dans la misère et l'absence de perspective, mais caractérisés par une sorte d'insouciance, une bonne humeur et une fraternité de tous les instants, couplée à une sérieuse tendance à chanter pour un oui pour un non.

La seconde provient de la notion de pulsation, de « battement », terme qui évoque le coeur, mais aussi et surtout la rythmique du jazz, dont la prose spontanée de Kerouac se veut l'équivalent littéraire des improvisations propres à cette musique.

Enfin, n'oublions pas que Kerouac était francophone et que le français était même sa langue maternelle et donc que le terme « beat » fait également écho aux termes français « béat, béatitude » dans leur sens d'émerveillement simple et naturel devant le spectacle de la nature (humaine ou rencontrée sur la route).

Ainsi, l'auteur désigna-t-il sa génération (ceux qui ont fait 39-45 et en sont revenus un peu paumés) comme la « beat generation », clin d'oeil à la non moins fameuse « génération perdue » de 14-18, si bien décrite par D. H. Lawrence dans L'Amant de Lady Chatterley, et dont l'écrivain Ernest Hemingway en est un archétype.

À titre de comparaison, si vous avez l'occasion, lisez cet autre « Sur la route » qu'est Voyage à motocyclette de Che Guevara et vous verrez un tout autre effet du fait de voyager sans but. D'une certaine manière, c'est la même histoire, les mêmes protagonistes, mais le hasard a fait qu'ils n'ont pas croisé la même réalité et qu'elle n'a pas eu les mêmes effets sur eux. Ceci engendre une autre métaphysique qu'il n'est pas inintéressant de confronter.

Enfin, est-il utile de préciser que le « Sur la route » de Kerouac est dans la lignée des romans américains qui tirent leur origine du monument de Herman Melville, Moby Dick. J'en veux pour preuve la première et la dernière page du roman.

Dans la première, le héros ressemble à s'y méprendre au Ishmaël de Melville et dans la dernière, Kerouac compare l'Amérique à un ventre géant et allongé, allusion à peine masquée à la grosse baleine tueuse.

En somme, d'après moi, Sur La Route est un livre qu'il est bon de laisser décanter en nous, pour en saisir le sens profond, lequel sens profond, me concernant, n'était pas forcément dans le projet de l'auteur. Je crois que la phrase, ou du moins l'une des phrases, les plus importantes du roman apparaît dès la première page et est la suivante :

« Avec l'arrivée de Dean Moriarty commença le chapitre de ma vie qu'on pourrait baptiser : Ma vie sur la route. » Ceci implique que, même pour Kerouac, cette période devait être transitoire, qu'elle avait quelque chose d'extraordinaire, de hors du temps, qu'elle ne se reproduira jamais, et qu'elle est fortement liée à la personnalité si atypique de Dean.

D'après moi, en aucun cas, au moment où il écrit Sur la route, il ne songe à en faire un mode de vie qui soit une alternative crédible au système dominant, mais plutôt une relation d'expériences diverses qui sont une initiation, quelque chose comme faire ses armes avant de passer à la vraie vie dans le monde et dans la réalité.

Avant d'en finir, je voudrais encore vous offrir un passage qui me paraît fondamental pour comprendre l'oeuvre dans son entier. (Il s'agit de la traduction de Jacques Houbart datant de 1960, qui ne me semble pas géniale, mais bon, faute de lire le livre en VO, ça aide un peu quand même.)

« Mais alors ils s'en allaient, dansant dans les rues comme des clochedingues, et je traînais derrière eux comme je l'ai fait toute ma vie derrière les gens qui m'intéressent, parce que les seules personnes qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d'être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller ni sortir un lieu commun mais qui brûlent, qui brûlent, pareils aux fabuleux feux jaunes des chandelles romaines explosant comme des poêles à frire à travers les étoiles et, au milieu, on voit éclater le bleu du pétard central et chacun fait : " Aaaah ! " »

« They danced down the streets like dingledodies, and I shambled after as I've been doing all my life after people who interest me, because the only people for me are the mad ones, the ones who are mad to live, mad to talk, mad to be saved, desirous of everything at the same time, the ones who never yawn or say a commonplace thing, but burn, burn, burn like fabulous yellow roman candles exploding like spiders across the stars and in the middle you see the blue centerlight pop and everybody goes " Awww ! " »

Enfin, chers Babelionautes, puisqu'il n'est nullement prescrit la forme et la fonction que doit revêtir une critique sur ce site, j'en termine en vous laissant le fruit d'une expérimentation : je me suis demandée comment rendre, dans une critique, un volatil état d'esprit, restituer un sentiment aussi insaisissable, aussi impalpable que le livre qu'elle représente. Et j'ai accouché de ça, ce truc, sans forme et sans nom :

On vient
Jusqu'à mon jardin
Cueillir le muguet
Sentir le lilas

Et moi
Dans mon gros village
Derrière mon voilage
Je reste plantée là

On vient
Jusqu'à mon jardin
Sentir les fumets
S'évader des plats

Et moi
Dans mon gros village
Derrière mon voilage
On m'embarque pas

Et Dean
Avec une copine
Est passé par là
Et m'a dit comme ça :

Eh toi !
Dans ton gros village
Derrière ton voilage
Faut pas rester là

Eh toi !
Quitte ton gros village
Boucle ton paquetage
Et viens dans mes bras

Mais, bien entendu, comme toujours, vous avez compris que tout cela n'est que pure subjectivité, n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Ca y est, j'y suis arrivé, quel voyage, les amis ! La route fut longue mais tellement incroyable, Kerouac nous ballotte d'une contrée, d'un état à l'autre. C'est le genre de livre qui à mon avis, l'on dévore très vite ou qu'on rejette très vite. Heureusement pour moi, c'est la première solution qui m'a guidée. Des kilomètres de bitume ou drogue, alcool, sexe sont les moteurs. Une forme de fuite en avant pour trouver un sens à tout ça. Vivre à fond sans penser à l'avenir. Des rencontres, des questionnements, une vie au jour le jour, une course perpétuelle pour trouver de l'argent, à manger, un toit. Kerouac remplit les pages, avec une frénésie et un style incroyables. Cette route-là avec la naissance de la génération Beatnik est drôlement addictive. Moi, je me suis régalé. On comprend pourquoi les pérégrinations de Kerouac sont devenues de même que son auteur cultes.
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A l'ombre des séquoias géants, dans les pas de Kerouac et Moriarty, sans attache ni lien, je laisse derrière moi la grisaille et le froid: direction la Californie.
Big Sur est pour moi la finalité de mon voyage.
L'océan que l'on dit pacifique a modelé pour toujours falaises et plages afin de ne pas oublier la supériorité des éléments face à la médiocrité des hommes.
Ce soir la lune est pleine, moi clochard céleste la tête dans les étoiles je m'en vais heureux vers l'ouest. Des villes au prénom de femme résonne dans ma tête Santa Monica, Santa Lucia, Santa Barbara.
un petit hommage au grand Kerouac, qui m'a donné le gout des grands espaces .
pour Croquignolle ma muse
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Sal Paradise, le narrateur, rencontre un jour Dean Moriarty. Ces deux jeunes gens, « les deux anges déchus de la nuit de l'Ouest » (p. 270), ont une passion commune pour le voyage. Sillonner l'Amérique les tenaille et l'appel de la route est insistant. « Quelque part sur le chemin, je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin, on me tendrait la perle rare ». (p. 25) S'engage alors une nouvelle conquête de l'Ouest, plus intime et plus furieuse. L'urgence est la même que celle qui animait les colons, mais la finalité est différente : les terres que Dean et Sal veulent gagner ne sont pas faites de poussière, mais de rêves. Finalement, c'est peut-être la même chose.

Sal et Dean sont deux jeunes hommes un peu perdus. le premier est un vétéran, étudiant peu assidu et auteur qui peine sur un premier roman. le second sort de prison et est tenaillé par l'envie d'écrire et de bouger. Cette jeunesse exaltée a la fureur de vivre et d'expérimenter. « Il en vint à m'enseigner autant de choses que probablement je pouvais lui en apprendre. » (p. 19) Pour eux, l'initiation passe par le bitume, quoi qu'il en coûte. Sur la route et dans toutes les villes qu'ils traversent, Sal et Dean croisent de nombreux jeunes gens avec lesquels ils partagent de longues et fiévreuses conversations. Sal se met souvent en retrait : « Si vous continuez ce petit jeu, vous allez tous les deux devenir dingues, mais tenez-moi au courant aussi longtemps que vous continuerez. » (p. 79) Rapidement se dessine la folie de Dean Moriarty : ce mordu de la route est instable, presque dangereux, au moins pour lui et peut-être aussi pour Sal. « La mouche m'avait piqué de nouveau et le nom de la mouche, c'était Dean Moriarty et j'étais bon pour un nouveau galop sur la route. » (p. 164) le départ, ça les prend comme une fièvre, c'est un ressort superbe qui se détend et qui relance la machine.

De l'Est vers l'Ouest, de New York à San Francisco en passant par Denver, Houston, ou Los Angeles, Sal et Dean se cognent aux frontières de l'Amérique. « Voici que j'étais au bout de l'Amérique, au bout de la terre, et maintenant il n'y avait nulle part où aller, sinon revenir. Je résolus du moins d'adopter un périple circulaire. » (p. 115) Sal appartient à New York et Dean ne tend que vers San Francisco. Toujours, il leur faut reprendre la marche, revenir aux sources, puis repartir. La route prend la forme d'un monstrueux jokari : elle permet des envolées et des échappées superbes, mais elle ne laisse personne s'écarter ou s'immobiliser. Grâce à la route, l'Amérique est un territoire unifié à conquérir et à explorer. Les jeunes hommes veulent laisser la trace de leurs godasses sur le sol de toutes les villes qu'ils foulent. Pour cela, il faut une voiture : mettez un volant entre les mains de Dean Moriarty et il ira partout. « Toi et moi, Sal, on savourerait le monde entier avec une voiture comme ça, parce que, mon pote, la route doit en fin de compte mener dans le monde entier. Il n'y a pas un coin où elle ne puisse aller, hein ? » (p. 326) Et voilà comment la voiture devient partie prenante du récit, personnage secondaire essentiel, adjuvant obligatoire.

Entre alcool, drogue et sexualité, les périples automobiles sont riches en expériences très diverses. Chacun court après quelques dollars pour faire un plein d'essence ou manger. Il faut alors chaparder, escroquer. Aucun problème, la route vous le rendra ! de même, les amours sont furtives, mais intenses et sincères. « Nous nous retournâmes au douzième pas, puisque l'amour est un duel et on se regarda l'un l'autre pour la dernière fois. » (p. 146) Sauf pour Dean Moriarty qui balance entre Marylou et Camille. de l'une à l'autre, il s'épuise et se trahit. S'asseoir et s'attacher, c'est mourir. Mais n'est-ce pas partir qui est mourir, un peu ? Peut-être, mais rester semble tellement pire ! « Quel est ce sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez rapetisser dans la plaine jusqu'à, finalement, disparaître ? C'est le monde trop vaste qui nous pèse et c'est l'adieu. Pourtant nous allons tête baissée au-devant d'une nouvelle et folle aventure sous le ciel. » (p. 220)

Sal Paradise n'est pas moins perturbé ou incertain : « J'ai du goût pour trop de choses que je mélange, m'attardant à courir d'une étoile filante à une autre jusqu'à temps que je me casse la figure. Voilà ce que c'est que de vivre dans la nuit, voilà ce que ça fait de vous. Je n'avais rien à offrir à personne que ma propre confusion. » (p. 178) À force d'être partout et de ne rester nulle part, Sal s'étourdit et perd pied. Mais pas question de raccrocher les souliers : la route ne se referme pas, on ne lui tourne pas le dos.

Avec Marylou et Dean, l'odyssée américaine prend des airs de revendication, de bravade. « C'était trois enfants de la nuit de la terre qui voulaient affirmer leur liberté et les siècles passés, de tout leur poids, les écrasaient dans les ténèbres. » (p. 187) Les trois jeunes gens se révoltent, sans vraiment en parler, contre une Amérique bureaucratique, policière et suspicieuse. Animés d'un romantisme crasseux et sublime, ils mènent un train d'enfer sur les routes mythiques de l'Amérique. Ils fuient leurs tourments et la vacuité de l'existence, avant de comprendre au terme d'un énième voyage que rien ne s'abandonne, que la route ne peut rien effacer.

« Un gars de l'Ouest, de la race solaire, tel était Dean. » (p. 25) Dean Moriarty attire et fascine, mais il est dangereux, décidément néfaste. « Tu n'as absolument aucun égard pour personne sinon pour toi-même et tes sacrés plaisirs de cinglé. Tu ne penses à rien d'autre qu'à ce qui te pend entre les jambes et au fric ou à l'amusement que tu peux tirer des gens et puis tu les envoies paître. Sans compter que dans tout ça tu te conduis stupidement. Il ne t'est jamais venu à l'esprit que la vie est une chose sérieuse et qu'il y a des gens qui s'efforcent d'en user honnêtement au lieu de glander à longueur de temps. Voilà ce que Dean était le GLANDEUR MYSTIQUE. » (p. 275) le héros solaire est plutôt sombre, comme un phare de naufrageurs : qui s'y frotte risque d'y perdre ses ailes. Et pourtant, quand il n'est pas là, il manque. Sal s'y réfère, s'en rappelle et, à sa façon, l'honore.

Voilà quelques mots sur cette lecture époustouflante. Que ce roman soit le manifeste de la beat generation, c'est une évidence. Qu'il soit devenu le vademecum de plusieurs générations de jeunes gens, c'est encore plus évident. Je repose le roman, mais je vais le garder à porter de main, relire certains passages et rêver de prendre la route, de mettre mes pompes dans les pas de Dean Moriarty et de Sal Paradise, et de me couler un instant dans l'esprit un peu foutraque de Jack Kerouac. Je vais poursuivre cette lecture sublime par la visite de l'exposition Kerouac au Musée des lettres et manuscrits et par une séance de cinéma que j'espère à la hauteur du roman.
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1995, 18 ans, je découvre Sur la Route par la voix mélancolique d'une prof de lettres d'une soixantaine d'années. Sal Paradise sur la remorque aux côtés de Old Slim et Mississippi Gene, chaussures trouées, route qui défile sous les roues.
Je continue la lecture seule, et je me revois encore dans ma chambre découvrir ce livre pendant mes vacances scolaires, étant dans l'incapacité physique de le poser un instant pour aller manger, prendre l'air au soleil mais obligée de le lire debout et non allongée, soupirant régulièrement de l'envie de PARTIR. Ce livre m'a littéralement mise en transe, je sentais mes nerfs palpiter quand je le lisais, et prise du nerveux désir, besoin, d'aller tout de suite, comme Sal Paradise et ses copains, n'importe où, sur la route.
Et cette route, je l'ai prise par la suite. Parce que cette route, c'est bien sûr celle qui passe au-dessus du Mississippi, traverse le midwest, comme je l'ai fait version originale à la main, mais finalement c'est une route universelle, et j'ai aussi retrouvé Kerouac dans des endroits plus improbables comme en Irlande, Ecosse, Espagne, Suède, où ses mots, ses onomatopées devenaient miens et me transportaient.
Kerouac m'envoûte depuis ce temps-là, et il représente pour moi, avant tout, la quête, la recherche de soi, de son identité, la fuite du temps, et l'inatteignable Absolu.

Vingt ans après, j'ouvre enfin la version du rouleau original, traduit cette fois-ci par Josée Kamoun, et la magie opère à nouveau: je ne peux pas le lâcher, j'y pense en marchant, la ville se métamorphose à nouveau sous mes yeux. Oui, je suis maintenant plus vieille que Kerouac quand il l'a écrit - j'étais beaucoup plus jeune à mes premières lectures! - et oui, je souris parfois à la jeunesse des protagonistes, parfois encore un peu innocents, spontanés, excités par la vie qui les attend, mais je me laisse emporter à la fois par la mélancolie parfois de Kerouac et par ce roman qui transpire par tous les pores les odeurs des nuits, des villes, de la chaleur, du Mexique, des clubs, des trains, de l'asphalte, et tous les sons, le moindre soupir, le ronflement d'une voiture, car la prose de Kerouac embrasse absolument tout ce qui est sensation et émotion, observateur méticuleux du moindre frémissement.

Dans cette version, sans retour à la ligne, sans chapitres, mais aussi grâce à une traduction plus moderne et un peu moins près du texte mais plus proche du sens, j'ai trouvé une nouvelle vitalité, une authentique jeunesse. Et encore une fois, la dernière ligne lue - et les quatre préfaces - il m'a fallu un temps pour m'en remettre.

(Petite anecdote: aux Etats-Unis, il serait souvent rangé derrière le comptoir dans les librairies car ce serait le livre le plus volé!)
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Quand déboule cet ovni littéraire, l'Amérique ne sait pas encore, que la littérature mondiale vient de connaître une révolution existentielle sur le fond et la forme, ce roman étant le chantre d'une philosophie poético-littéraire avec son style instantanée, désinvolte, rapide et familier qui marquera toute une génération pour l'éternité. Ce récit aux accents de carnet de route autobiographique, dépeint l'urgence d'une jeunesse désenchantée face au vide qu'elle ressent dans une Amérique ou la seule quête de bonheur, semble devenir le bien-être matériel. Au travers d'un road trip un peu fou, ces jeunes américains partent redécouvrir les grands espaces de l'ouest de leur pays, s'énivrant au passage, dans la recherche d'expériences littéraires, musicales, sexuelles, hypnotiques, hallucinogènes, sur fond de drogues, d'alcools et de jazz, sorte de quête déjantée, mais nécessaire pour trouver une mystique sacrée, empreinte d'une spiritualité insondable, détachée des contingences du quotidien. L'auteur membre de la beat génération, a livré sûrement là, l'un des plus beaux textes sur une rébellion intérieure exacerbée non-violente, comme une ode à la liberté individuelle totale, pour s'affranchir des tabous d'une société sclérosée, rejoignant un peu l'esprit transcendantal d'un Thoreau pour une éthique d'absolue.
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Voici le genre de livre que l'on dévore quasiment d'une seule bouchée ou bien que l'on abandonne par ennui. J'imagine mal un entre deux.
En fait, avec les deux protagonistes que sont Dean Moriaty (Alias Neal Cassady) et Sal Paradise (alias Jack Kerouac), soit on embarque avec ceux-là pour des virées insensées à travers l'Amérique sans louper la moindre goutte de vie à l'extrême qu'ils propagent, soit on tombe sur le bas-côté de la route à bouffer la poussière des Ford et autre Cadillac filant à 120 Miles l'heure.
Ce livre, je le crie haut et fort, n'est pas fait pour tout le monde. Et la première fois que je l'avais entamé, j'avais senti que je pouvais en être écarté. J'avais volontairement quitté la route - l'esprit même de ce voyage me laissait sans doute de marbre - donc, pas concerné par ce trip se perdant dans les bas quartiers de Denver et de la Nouvelle Orléans.
Sauf que là, en cette année 2015, j'ai eu une envie soudaine de ré-entamer tout l'itinéraire de Kerouac, vivre avec lui l'ensemble de son voyage, sentir l'amitié forte de ces potes qui vous refont le monde en deux temps trois mouvements. Quel plaisir j'ai eu de voir ces deux zigs parcourir l'Amérique et jouir d'une existence libre de toute contrainte. Bien sûr, alcool, drogue, sexe furent des aspects qui ont cadencé le voyage. Mais, j'en retiens autre chose. Ce livre nous présente avant tout (et j'y reviens encore) l'échange voire l'osmose qu'il y a entre des amis qui sont presque devenus des frangins.
Comme certains l'ont dit, il n'y a pas d'histoire ici (quoique). Je m'en fiche un peu. Je me sentais, souvent, confortablement installé aux côtés de Sal, Dean, Ed ou encore Marylou et j'en avais même oublié que le livre pouvait se terminer.
Et là, stupeur chez moi!!. En arrivant subitement à la dernière page, j'ai eu un sentiment de vide, de ravin, comme si j'avais loupé un virage de montagne. Eh oui: Dean et Sal n'étaient plus. Il en était fini pour moi de cette belle évasion.
En tout cas, trop trop content d'avoir repris ce livre et de m'en être presque soûlé.
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Mes impressions : Avant la lecture, appréhension, car il s'agit d'un livre sans aucun chapitre ni paragraphe, l'auteur l'a écrit d'un seul tenant sur un long rouleau de papier analogue à la route 66 qui traverse les Etats Unis d'Est en Ouest ou d'Ouest en Est si vous préférez. Je vais donc lire la version originale contrairement au roman épuré qui a été publié auparavant.
Voilà, je me lance et de suite, j'adopte le rythme de lecture que m'impose Jack. C'est une première, une lecture sans repère, sans pause, tout se suit et s'enchaîne à merveille !
Je suis happée par les récits de Jack, emballée difficile de m'arrêter. Quel prodigieux talent !
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Wouah, quelle gifle ! Tourbillon d'énergie, de rencontres, d'enthousiasme désespéré …. Et d'amitiés (un comble quand on sait que Kerouac finira sa vie seul …)

J'avais lu une première fois ce classique (eh oui, il faut bien appeler un chat un chat et je considère ce roman comme un classique) lors de mon adolescence. Je n'en avais pas gardé un souvenir impérissable … Comme quoi, la période de la vie est une donnée essentielle dans l'activité de lecteur...

La relecture de « sur la route » à cette période-ci de ma vie était une très bonne idée. Et une magnifique occasion de me rabibocher avec les Etats-Unis.

Et pourtant, on peut se demander ce que le héros cherche sur cette route (et c'est probablement ce que dans ma prime jeunesse je n'ai pas capté), à toujours se remettre en chemin, à toujours se remettre en question. Bizarrement aujourd'hui je comprends cette soif d'aventure, ce refus de s'enfermer dans une vie bien réglée, cette envie de liberté, cette recherche d'absolu, d'extase métaphysique. Et bien que je n'adhère pas à toutes les solutions essayées par Kerouac, loin s'en faut, je ne comprends que trop bien sa frustration et sa recherche de consolation face au si affligeant « La vie, c'est boulot-métro-dodo, rien de plus. Et encore estimez-vous heureux d'avoir un boulot !», qu'on nous ressasse à longueur de journée.

Partir, pour mieux se (re)trouver, prendre de la distance face au quotidien, accueillir l'autre dans sa différence, … Vivre et sentir la musique, le jazz, la transe …

C'est frais, c'est vivant. Ecrit au fil du voyage, avec ses temps morts, ses détours, ses banalités. Sans tricherie, sans artifice. Hypnotique. Puis tout à coup une ambiance (j'ai beaucoup pensé au chanteur-poète-comédien américain Tom Waits pendant cette lecture), une étincelle, une lumière, … et le livre nous tombe des mains car oui c'est exactement ça. Dans le mille !

Et on ne peut que s'étonner de la modernité du propos, le constat de la surconsommation, la dénonciation de l'obsolescence programmée, et d'autres choses encore. Tout reste d'actualité, sauf peut-être le Mexique qui entretemps est devenu gris, uniforme, où tout se monnaie. Un endroit comme un autre, une pâle copie du grand frère américain. Comme l'Europe …
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C'est une gageure que de se lancer dans la critique d'une oeuvre aussi puissante. Inventeur du road-movie improbable et déjanté, chef de file de la Beat Generation, Jack Kerouac nous décrit d'une écriture magnifique à la fois serrée et boulimique le périple de jeunes paumés à travers les Etats-Unis. Serrée parce que sans fioritures sentimentales et sans reflexions philosophiques inutiles (en pragmatique au style "viril" Kerouac va directement à l'essentiel, utilisant des métaphores réalistes qui percutent ) et boulimique parce que à travers ses descriptions et ses procédés stylistiques d'accumulation, Kerouac s'efforce d'atteindre une vison maximum de l'Amérique profonde, celle des petits et des perdants, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s'intégrer au système, celle de ceux qui boulinguent pour fuir ou pour se fuir, à l'image même de la vie où celui qui s'arrête meurt. Violent, passionnant, difficile, cocktail détonnant d'alcool, de sexe et de drogue, le roman de Kerouac nous plonge dans l'urgence, celle de l'instant vécu qui ne sait pas de quoi celui d'après sera fait, celle de la folie où le mensonge tient lieu de sagesse et la déchéance de destin. Celles où des filles, aussi perdues que leurs compagnons les supportent avec héroïsme par amour (!) quand elles ne sont pas plaquées par eux. Celle où sa majesté le Jazz est roi, seule identité véritable de l'Amérique profonde.
Il y aurait tant à dire que je préfère m'arrêter à ce bref aperçu, consciente que je suis de n'avoir fait qu'effleurer ce chef-d'oeuvre qui aura marqué toute une époque.
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