Il est très difficile d'écrire un billet sur un livre qui traite de la mort d'un enfant, et de savoir qu'en plus il ne s'agit pas d'un roman mais d'un récit, donc d'une histoire « vraie » et encore si récente. Perdre un enfant, c'est bien la seule chose qu'on ne souhaiterait à personne, pas même à son meilleur ennemi. Contre-nature, contre-intuitif, à l'encontre du bon sens, c'est un scénario qui glace le sang de tout parent dès qu'il est évoqué. Nous avons dans la tête, malgré nous, un ordre précis des choses : nous faisons des enfants, nous les élevons, ils deviennent des adultes autonomes et responsables, et ils recommencent le cycle de la vie.
On veut TOUS ça.
Et on imagine globalement que c'est ce que l'on va vivre.
Mais ça, c'est une projection idéale…
La vie et la mort peuvent nous rattraper. Les accidents, les maladies… Et puis aussi une chose que l'on n'imagine pas, un enfant qui va profondément mal alors qu'il n'y a pas de « raison » particulière et que l'on ne comprend pas, ne comprend plus, ce qui se joue.
Ne rentre pas trop tard est le témoignage, en demi-teinte, de l'auteure, suite au suicide de son fils, Arnaud. le livre est écrit à la première personne, celle du fils, pour tenter de montrer le mal-être et la maladie (en l'occurrence ici, la bipolarité) qui gagnent du terrain. En creux, au travers des mots d'Arnaud, on voit les parents qui s'agitent, qui tentent des choses, cherchent de l'aide, se questionnent sur les attitudes à adopter et les postures à tenir.
Arnaud n'avait rien d'un enfant malheureux. Il a vécu la séparation de ses parents, certes, et sûrement les déceptions familiales qui en découlent, comme c'est le cas de plus de la moitié d'entre nous. Enfant, il était rieur et enjoué. Même devenu adolescent et adulte, tout le monde le décrit comme tchatcheur, intelligent, drôle. Arnaud n'a rien du garçon malheureux en apparence, mais sombre chaque jour un peu plus dans une mélancolie mortifère, qui alterne avec quelques phases euphoriques. Très vite, il trouve refuge dans l'alcool, et sera considéré comme dépendant par le corps médical avant même sa majorité.
La mère culpabilise. Qu'a-t-elle raté ? Et son ex-mari ? Je pense que c'est le poids monstrueux de cette inquiétude et de cette culpabilité qui m'a le plus marquée dans le livre. Car on peut vraiment essayer chaque jour de faire de son mieux, rien n'empêchera autrui de prendre la route qu'il a envie de prendre. Aurait-on pu « sauver » Arnaud, et était-ce aux autres de le sauver, avant qu'il ne décide de se suicider dans sa chambre de bonne ? Impossible de le savoir. On peut toujours se dire qu'on aurait pu faire autrement. On peut toujours se dire qu'on a pris, à tel ou tel moment, la mauvaise décision. Mais est-ce parce qu'on se le dit que c'est vrai ? Une telle décision de suicide peut-elle reposer sur un potentiel raté, une possible erreur, de la part des parents ?
Le mal-être psychique de l'un de ses enfants est une souffrance sans nom. On ne comprend pas, on aimerait hurler « réveille-toi, la vie est belle aussi, tu peux agir », et en même temps on veut soutenir, accompagner, être présent. Ce n'est pas pour rien qu'il existe de multiples associations pour les aidants et les proches. Car eux sont submergés par le poids de la responsabilité et de la culpabilité qui n'est probablement pas le leur. Mais c'est comme ça : ils ont des enfants qui ont un chemin de vie chaotique. Ils en payent le tribut très cher. Tout le monde en paye l'addition. Mais pourquoi ? Je n'en sais rien. On connaît tous des individus qui flirtent avec la mort, ou ont franchi le Rubicon. On ne sait pas comment l'interpréter. On trouve des pistes d'explications, a posteriori, on a besoin d'une relation de causalité. le pire à supporter, c'est qu'il n'y en ait peut-être pas. C'est ainsi parce que c'est ainsi.
Un autre sujet qui revient dans ce récit est le rapport au secret médical. Un parent d'un jeune alcoolique de 18 ans ne peut rien savoir, car les médecins sont tenus au secret professionnel. On le tolère en théorie, mais c'est probablement invivable dans la réalité, quand rien ni personne ne vous donne une quelconque information sur l'état de votre jeune adulte, parce qu'il a eu ce p*** d'anniversaire de majorité. Est-ce dans l'intérêt du patient ? Sujet très controversé et compliqué. le secret médical a dû autant sauver que tuer. L'éthique est un sujet trop chargé d'affects pour en avoir une opinion tranchée.
Un récit dur, frappant, et en même temps terriblement nécessaire pour percevoir une réalité bien plus fréquente qu'on ne le dit, mais aussi et surtout pour accepter la part d'impuissance contre laquelle nous luttons tous en permanence.
Jo la Frite
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