À jamais je marcherai…
À jamais je marcherai
sur ces rivages,
Entre sable et écume.
La marée haute effacera
les empreintes de mes pas,
Et le vent soufflera l’écume.
Mais la mer et le rivage
resteront à jamais.
Lorsque l'amour vous fait signe, suivez-le,
Bien que ses chemins soient abruptes et escarpés.
Et quand ses ailes vous enveloppent, livrez-vous à lui,
Malgré l'épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.
Et s'il vous adresse la parole, croyez en lui,
Même si sa voix fracasse vos rêves, comme le vent du nord dévaste les jardins.
Car autant l'amour peut vous couronner, autant il peut vous crucifier. Alors même qu'il vous aide à croître, il vous pousse à vous élaguer.
Alors même qu'il s'élève au plus haut de vous-mêmes et caresse les plus tendres de vos branches qui ondoient au soleil,
Il s'enfonce au plus profond de vos racines pour les ébranler dans leurs attaches à la terre.
Comme des gerbes de blé, il vous rassemble en vous serrant contre lui.
Nombreux sont les aigles qui descendent de l'air supérieur pour vivre avec les taupes afin de connaître les secrets de la terre. Il y a ceux qui renoncent au royaume des rêves afin de ne pas sembler distants de ceux qui ne rêvent pas. Et ceux qui renoncent au royaume de la nudité, en couvrant leurs âmes, afin que les autres ne soient pas intimidés en voyant la vérité non couverte et la beauté non voilée. Et plus extraordinaire encore que tous ceux-là est celui qui renonce au royaume de la tristesse pour ne pas paraître fier et orgueilleux.
Mon ami, je ne suis pas ce que je parais. L'apparence n'est qu'un vêtement que je porte — un vêtement, tissé avec soin, qui me protège de tes questionnements et te protège de ma négligence.
Le « je » en moi, mon ami, habite la maison du silence, et il y restera à jamais, inaperçu, inabordable.
Je ne veux pas que tu croies en ce que je dis, ni que tu aies confiance en ce que je fais — car mes paroles ne sont autres que tes propres pensées en sons et mes actes, tes propres espoirs en action.
L'éloquent, je l'ai jugé de langue fourchue et le silencieux, de lèvres en pierre ; et à celui qui est simple et naïf, j'ai crié : les morts ne se lassent jamais de la mort.
Les chercheurs de la connaissance du monde, je les ai condamnés d'avoir été offenseurs de l'esprit saint ; et ceux qui ne cherchent rien d'autre que l'esprit, je les ai traités de pêcheurs d'ombres qui jettent leurs filets dans les eaux plates et ne pêchent rien d'autre que leurs propres images.
Lecture par l'autrice & Tania Saleh, accompagnées de Pierre Millet
Publié en 1923 puis traduit en 40 langues, le Prophète de Khalil Gibran est universel et intemporel. Ce conte philosophique puise dans les enseignements des trois cultes monothéistes, des religions de l'Inde mais aussi aux sources d'oeuvres révolutionnaires, tels que les écrits de William Blake, de Nietzsche et de Jung. Zeina Abirached offre ici la première version entièrement dessinée de ce chef-d'oeuvre. Dans une chorégraphie d'ombres et de lumières, elle nous invite à rejoindre les habitants d'Orphalèse réunis pour questionner le jeune Almustafa sur les grandes orientations de la vie. Enfant du Liban et de l'exil, comme Khalil Gibran avant elle, Zeina Abirached nous propose de découvrir autrement ce texte magistral dont la force et la portée n'ont pas fini de nous surprendre.
« C'est dans la rosée des petites choses que le coeur trouve son matin et se rafraîchit. »
Khalil Gibran, le prophète
À lire – Zeina Abirached & Khalil Gibran, le Prophète, trad. par Didier Sénécal, éd. Seghers, 2023.
Son : Alain Garceau
Lumière : Patrick Clitus
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Marilyn Mugot
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