Au dernier soir sur cette terre nous détachons nos jours
De nos arbrisseaux, et comptons les côtes que nous emporterons
et celle que nous laisserons. Là. Au dernier soir
Nous ne disons adieu à rien, et ne trouvons pas le temps pour notre fin
Tout demeure en l'état. Le lieu renouvelle nos rêves
Et ses visiteurs. Soudain nous ne sommes plus capables d'ironie
Car le lieu est apprêté pour accueillir le néant. Ici, au dernier soir
Nous saturons nos yeux des montagnes qui ceignent les nuages. Conquête et reconquête
Et un temps ancien qui remet à ce temps nouveau les clefs de nos portes
Entrez dans nos maisons, ô conquérants, et buvez notre vin
Sur le mode simple de notre mouwachah. Car nous sommes la nuit à sa mienuit. Et nulle
Aube portée par un cavalier venu du dernier appel à la prière
Notre thé est vert et chaud, buvez le, nos pistaches sont fraîches, mangez-les
Et les lits sont verts en bois de cèdre, cédez au sommeil
Après ce long siège, et dormez sur le duvet de nos rêves
Les draps sont mis, les parfums déposés aux portes, et les miroirs nombreux
Entrez-y pour que nous en sortions jusqu'au dernier. Et sous peu nous chercherons ce que
Fut notre Histoire autour de la vôtre dans les contrées lointaines
Et à la fin nous nous demanderons : l'Andalousie fut-elle Là ou là-bas ? Sur la terre...ou dans le poème ?
Un temps long passera avant que, pareil à nous-mêmes, notre présent devienne un passé. Nous irons tout d'abord à notre mort, et nous défendrons les arbres qui nous habillent et la cloche de la nuit, nous défendrons la lune que nous désirons au dessus de nos cabanes. Et l'étourderie de nos gazelles défendrons, la glaise de nos poteries et notre plumage dans l'aile des chansons dernières. Sous peu vous édifierez votre monde sur le nôtre. De nos tombes vous tracerez les chemins vers les satellites. Voici venu le temps des industries. Le temps des métaux. Du charbon jaillit le champagne des puissants. Et il y a morts et colonies, morts et bulldozers, morts et hôpitaux, morts et radars surveillant des morts qui plus d'une fois s'éteignent dans une vie, des morts qui survivent après trépas, des morts qui enseignent la mort au monstre des civilisations, et des morts qui trépassent pour transporter la terre au-dessus des restes des défunts. O maître des Blancs, où emportes-tu mon peuple et le tien? Vers quel gouffre ce robot hérissé d'avions et de porte-avions entraîne-t-il la terre? Vers quel gouffre béant montez-vous ? Et tout ce que vous désirez vous échoit. La nouvelle Rome, la Sparte de la technologie et l'idéologie de la folie. Et nous, nous fuirons un temps pour lequel nous n'avons pas encore apprêté notre obsession. Nous nous en irons vers la patrie de l'oiseau, volée d'humains avant-coureurs. Des gravats de notre terre, nous verrons notre terre ; des trouées dans les nuages, nous verrons notre terre; de la paroles des étoiles, nous verrons notre terre; et de l'air des lacs, du duvet du maïs fragile, de la fleur des tombes, des feuilles de peuplier, de tout ce qui vous encercle, ô Blancs, morts qui trépassent, morts vivants, morts qui ressuscitent, morts qui divulguent le secret. Laissez donc un sursis à la terre. Qu'elle dise la vérité, toute la vérité. Quant à vous, quant à nous. Quant à nous, quant à vous.
Qui préservera nos coutumes du fracas des métaux ? "Nous vous annonçons la bonne nouvelle de la civilisation" a dit l'Etranger, et il a dit "Je suis le seigneur du temps, venu recevoir la terre de vos mains". "Passez que je vous dénombre, dépouille après dépouille sur la surface du lac" (...) Et l'Etranger prononce d'étranges paroles et creuse dans la terre un puits pour y enfouir le ciel. Et l'Etranger prononce d'étranges paroles et chasse nos enfants et les papillons. Qu'as tu promis à notre jardin l'Etranger ? Roses de zinc plus belles que les nôtres ? Mais sais tu que la gazelle ne se nourrit point de l'herbe si notre sang l'effleure ? Sais-tu que les bisons sont nos frères, et la flore, l'Etranger ? Arrête de creuser ! Ne blesse point la tortue, notre mère la terre sommeille sur son dos, et nos arbres sont sa chevelure, et ses fleurs, nos atours. "Point de mort en cette terre" N'altère pas la fragilité de sa constitution ! Ne brise pas les miroirs de ses vergers, ne la laisse pas prendre le mors aux dents, et ne l'endoloris pas. Nos fleuves sont sa hanche et nous sommes tous, vous et nous, ses enfants. Ne la mettez pas à mort. Sous peu nous partirons. Prenez notre sang et laissez-la, telle qu'elle est, la plus belle des choses par Dieu écrite sur les eaux. Cette terre est notre mère, sainte, pierre par pierre, et cette terre est une cabane pour des dieux qui vécurent avec nous, étoile par étoile, et qui pour nous, éclairèrent les nuits de la prière. Nous avons marché pieds nus pour toucher l'âme des gravats, et nus, avons marché afin que l'âme des vents nous habille de femes qui nous renvoient les dons de la nature. Notre histoire était la sienne. Et le temps était un temps pour notre naissance en elle, pour revenir d'elle vers elle, ramenant à la terre ses âmes, petit à petit. Et nous gardions les souvenirs de nos aimés dans les jarres avec l'huile et le sel, et nous suspendions leurs noms aux oiseaux des ruisseaux. Et nous étions les premiers. Nul plafond entre le ciel et la bleuité de nos portes. Nul étranger traversant les nuits de nos femmes. Laissez la flûte au vent, qu'il pleure le peuple de ce lieu blessé, et qui demain vous pleurera, et demain vous pleurera.
Nous savons ce que cache cette éloquente ambiguïté. Un ciel qui se répand sur notre sel et rend l'âme, un saule qui avance sur les pas du vent, un monstre qui fonde un royaume dans les trouées de l'atmosphère blessée et une mer qui sale les bois de nos portes. La terre n'était pas plus lourde avant la création. Mais nous avons connu cela avant le temps. Les vents nous conteront notre commencement et la fin, mais nous saignons aujourd'hui notre présent et enterrons nos jours dans la cendre des légendes.
Qu'ai-je fait ? "Tu as cherché seul tes pas et tu n'en a pas averti ton maître"
Qui est mon maître ? Ils m'ont répondu " L'emblème sur le mur" J'ai dit : Non.
Nul autre maître que mon sang dans mon corps consumé qui cherche ma main
Pour qu'elle frappe aux portes de la nuit. Non. Nul autre maître que mon sang. C'est une chanson
Et je dois trouver le chant pour divertir qui je divertis :
mon meurtrier et ma bien aimée
Car j'aime pour soulever les décombres qui pèsent sur mon âme, et j'aime parfois pour aimer
Le 07 octobre 2007, le poète palestinien Mahmoud Darwich (en arabe : محمود درويش) lisait son poème “Pour décrire les fleurs d'amandier” au Théâtre de l'Odéon (Odéon - Théâtre de l'Europe). Traduction de l'arabe vers le français : Elias Sanbar. Lecture de la traduction française : Didier Sandre. Peinture : Vincent Van Gogh, “Amandier en fleurs”, 1890. “Pour décrire les fleurs d'amandier” :
Pour décrire les fleurs d'amandier, l'encyclopédie
des fleurs et le dictionnaire
ne me sont d'aucune aide...
Les mots m'emporteront
vers les ficelles de la rhétorique
et la rhétorique blesse le sens
puis flatte sa blessure,
comme le mâle dictant à la femelle ses sentiments.
Comment les fleurs d'amandier
resplendiraient-elles
dans ma langue, moi l'écho ?
Transparentes comme un rire aquatique,
elles perlent de la pudeur de la rosée
sur les branches...
Légères, telle une phrase blanche mélodieuse...
Fragiles, telle une pensée fugace
ouverte sur nos doigts
et que nous consignons pour rien...
Denses, tel un vers
que les lettres ne peuvent transcrire.
Pour décrire les fleurs d'amandier,
j'ai besoin de visites
à l'inconscient qui me guident aux noms
d'un sentiment suspendu aux arbres.
Comment s'appellent-elles ?
Quel est le nom de cette chose
dans la poétique du rien ?
Pour ressentir la légèreté des mots,
j'ai besoin de traverser la pesanteur et les mots
lorsqu'ils deviennent ombre murmurante,
que je deviens eux et que, transparents blancs,
ils deviennent moi.
Ni patrie ni exil que les mots,
mais la passion du blanc
pour la description des fleurs d'amandier.
Ni neige ni coton. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu'un parvenait
à une brève description des fleurs d'amandier,
la brume se rétracterait des collines
et un peuple dirait à l'unisson :
Les voici,
les paroles de notre hymne national !
Source : France Culture
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