Black Badge, tome 3

Ce tome est le dernier de la trilogie qui forme une histoire complète indépendante de toute autre. Il faut donc avoir commencé par le premier tome de la série : Black Badge, Vol. 1 (épisodes 1 à 4). Celui-ci contient les épisodes 1 à 12, initialement publiés en 2019, écrits par Matt Kindt, dessinés et encrés par Tyler Jenkins, avec une mise en couleurs réalisée par Hilary Jenkins. Il contient également les couvertures originales réalisées par Matt Kindt (très en forme), et les couvertures alternatives réalisées par Tyler Jenkins, ainsi que 6 pages en crayonnés avec le script correspondant, et 4 pages de recherche graphique sur les personnages, croqués par Kindt.

Berlin Est en 1985, à proximité du mur : un jeune homme colporte les journaux et en propose à un employé d'une société de livraison en train de consommer au comptoir, qui l'envoie paître. Sans qu'il s'en rende compte, le jeune scout lui a barboté les clés de son camion plateau. Dans un atelier de mécanique, un autre scout achète deux bonbonnes d'hydrogène, et l'ouvrier accepte de lui louer un camion plateau. Dans une usine de fabrication de textiles, une scout s'introduit de nuit par effraction, en réussissant à éviter les rondes du gardien. L'opération se déroule sans anicroche : un vol d'un énorme rouleau de tissu. Quelques jours plus tard, tout est prêt pour faire passer Braun, un scientifique, en Allemagne de l'Ouest, par le biais d'un ballon gonflable. L'opération s'avère périlleuse du fait d'une saute de vent. Au temps présent, Kenny, Cliff et Mitz sont attablés dans une aire en grand air, sur la place d'un village dont la localisation exacte leur est inconnue. Ils ne se souviennent pas comment ils sont arrivés là. Avec d'autres scouts répartis sur d'autres tables et bancs, ils se livrent à l'activité manuelle du jour, sous les directives d'une adulte. Tout en maniant l'aiguille et le tissu, ils discutent ensemble à voix basse pour ne pas être entendus, ni par elle, ni pas les autres scouts.

Kenny demande aux deux autres s'ils souviennent depuis combien de temps ils sont là. Mitz répond qu'elle se souvient juste de s'être réveillée dans son lit. Elle se demande si leur situation n'a pas un rapport avec la légende sur l'existence d'une communauté de retraite pour les Badges Noirs. Kenny se dit que leur difficulté à réfléchir doit être occasionnée par des produits dans leur nourriture ou la boisson. Ils prennent la décision de ne pas manger, ni de boire de la journée. Cliff estime qu'ils doivent sortir d'ici. L'animatrice est très fière des scouts : ils ont tous réussi à confectionner un joli porte-monnaie cousu main. le soir-même, Kenny, Cliff et Mitz franchissent le porche qui marque la sortie du village. Tout d'un coup, Mitz se souvient que Willy a disparu. Juste sous le porche, ils sont arrêtés par un drone qui leur indique qu'ils vont être immobilisés et qu'ils n'ont pas le droit de pénétrer dans cette zone interdite. Cliff s'empare d'une pierre pour la jeter sur le drone. Ce dernier balance des petites cartouches de gaz, et les 3 scouts tombent inconscients.

Après un premier tome prometteur, lecteur avait été conquis par la ressource des scouts au badge noir dans le deuxième tome, ainsi que par leurs équipements improbables mais plausibles, leurs compétences innombrables, et leurs missions étonnantes. le temps est venu pour les auteurs de lever tous les mystères. le lecteur retrouve avec plaisir la mise en couleurs d'Hilary Jenkins qui utilise la gouache pour cette série, après avoir utilisé l'aquarelle pour la série Grass Kings. Comme dans les tomes précédents, elle vient nourrir les traits donnant une sensation d'esquisse du dessinateur. Elle varie son approche, entre une mise en couleurs naturaliste qui colorie chaque surface, en la faisant ressortir par rapport à sa voisine, et des séquences où elle applique une ambiance par le biais d'une teinte déclinée en plusieurs couleurs. Avec la première technique, elle adapte sa palette à la tonalité générale de la séquence : des couleurs plus ternes et plus sombre pour la mission d'exfiltration en Allemagne de l'Est, des couleurs plus claires et plus chaudes pour la mission au Venezuela. Pour les ambiances sur la base d'une teinte, le lecteur apprécie l'effraction dans l'usine textile sur la base d'un bleu de Prusse, et la compare avec le vol en ballon de fortune, avec un bleu de Minuit un peu plus chaud. Il remarque que la coloriste ajoute essentiellement des teintes, avec des nuances pour rehausser discrètement le relief, des couleurs qui peuvent trancher en fond de case pour un effet expressionniste pour une émotion, mais qu'elle ne dessine pas en couleur directe, qu'elle ne représente pas des éléments supplémentaires à ceux avec un contour encré.

Comme dans les tomes précédents, Tyler Jenkins dessine d'un trait un peu lâche qu'il ne repasse pas pour obtenir un contour très lissé. Il sait évoquer ainsi chaque décor : la rue longeant le mur de séparation entre Berlin Est et Berlin Ouest, la pièce où sont stockées les gigantesques bobines de textile, le village d'activités pour les scouts, le manoir piégé de Hearst junior, le camp de Wayword, le camp des scouts sans frontière, le pont d'une route traversant une jungle vénézuélienne. Malgré tout, régulièrement, le lecteur se dit qu'il aurait bien aimé que ces différents environnements bénéficient d'une représentation plus détaillée, pour qu'ils soient plus consistants. Les dessins des personnages sont plus travaillés, à commencer par leur tenue vestimentaire. Cette fois-ci, les scouts n'utilisent quasiment aucun gadget, mais le lecteur peut comparer les uniformes portés en 1985, ceux portés au temps présent. le dessinateur met en oeuvre une direction d'acteur dans un registre naturaliste, à l'exception des scènes d'action. Il n'exagère ni la morphologie de ces adolescents, ni leurs capacités physiques, ce qui fait que leurs aventures restent du domaine du plausible la plupart du temps. Ainsi le lecteur prend plaisir à regarder Hooka s'introduire par effraction dans l'usine, le vol chahuté du ballon de fortune avec une nacelle minuscule pour un unique passager, l'atelier couture pour réaliser un portemonnaie artisanal, le groupe de scouts (Gottschalk, William Falls, Hooka) progressant dans le manoir piégé en 1985, le camp des scouts sans frontière, ou encore la coordination de la mission au Venezuela.

Le temps est venu pour Matt Kindt de dénouer les fils de son intrigue. Il commence par un retour en arrière pour une mission d'un groupe de Badge Noir précédent, en 1985. Il continue avec ce village très paisible pour scouts à badge noir, un clin d'oeil au village de le Prisonnier (1967/1968) de Patrick McGoohan, avec un rodeur plus technologique en forme de drone. Il est visible qu'il continue de s'amuser en écrivant cette série, avec une épreuve consistant à gagner à une borne d'arcade, ou encore avec les pièges dans les différentes pièces du manoir, ou la révélation de l'identité du mystérieux Hook Hand dont une main est effectivement remplacée par un crochet mécanique. Les ressources et les compétences des scouts sont à nouveau fortement sollicitées. le scénariste résout également le mystère sur la réalité des bonnes actions constituées par les missions des scouts, et sur l'existence d'autres branches tels que les scouts sans frontière ou encore l'organisation Honour Society. Mitz, Cliff et Kenny ont la confirmation qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des scouts : personne ne sait ce que sont devenus les scouts qui ont réussi les épreuves finales, comme s'ils avaient disparu ou s'ils avaient été supprimés. Comme il est de coutume dans ce récit de genre, le trio est au centre de toutes les machinations, à la fois manipulé, à la fois agent du changement et héros qui vont tout résoudre après de terribles aventures. Effectivement, Mitz, Cliff et Kenny se retrouvent au milieu d'une conspiration courant au moins sur trois générations. Néanmoins, ils ne deviennent pas les sauveurs de toute une organisation et du monde libre à eux tous seuls. Ils rejoignent une autre organisation et participent à son effort pour démasquer le traître et faire éclater la vérité au grand jour. le lecteur reste un peu décontenancé par la structure du récit et par sa rapidité.

Les éléments du passé sont dévoilés dans l'épisode 10, de manière plutôt organique, sans long exposé artificiel. Mais dans l'épisode 11, tout s'accélère, à tel point que tout est résolu en 22 pages, l'épisode 12 servant d'épilogue pour savoir ce que vont devenir les scouts au badge noir. le lecteur est pris de court par la rapidité de cette résolution, et tique un peu en constatant la faible distance qui sépare les camps ennemis, comme si ces scouts tellement débrouillards n'auraient pas pu se rendre compte d'un camp ennemi si proche. le lecteur se demande si la série a été raccourcie obligeant les auteurs à une forme de précipitation. Il constate également que les auteurs se focalisent sur l'intrigue, sans pouvoir développer la personnalité de leurs héros, ni même pouvoir la faire s'exprimer.

Le lecteur est content de découvrir la fin du récit et de voir les jeunes scouts mettre à jour la conspiration au sein de leur organisation, cessant ainsi d'être manipulés comme des pantins. Il sourit de bon coeur quand un ancien dit à son assassin avant de mourir, que la nouvelle génération va réparer toutes les erreurs commises par lui et le tueur : une déclaration de confiance aux jeunes générations, très constructive. Il retrouve la narration visuelle fluide de Tyler Jenkins et la mise en couleurs en phase d'Hilary Jenkins, en regrettant le faible niveau d'informations visuelles dans quelques pages. Il note que Matt Kindt se focalise sur son intrigue, perdant un peu de vue ses personnages.