Le roman d'
Arthur Koestler,
le Zéro et l'infini, écrit en 1940 et paru en 1945 en France fait partie des oeuvres qui ont marqué la deuxième partie du XX ème siècle. Son succès a été immense, quitte à porter de l'ombre au reste de son oeuvre, mais les critiques à son encontre furent également très violentes. Il est vrai qu'
Arthur Koestler, dans cette oeuvre, démonte l'escroquerie intellectuelle, à laquelle d'ailleurs l'auteur a participé, du communisme. On imagine l'accueil qu'a reçu ce roman au sortir de la Seconde guerre mondiale, surtout en France, bien sûr de la part des intellectuels du PCF mais également de ses compagnons de route, notamment
Simone de Beauvoir. « Renégat » est la plus modérée des épithètes qui lui furent adressées. Il est vrai que la Guerre froide battait son plein et qu'il « fallait choisir son camp, camarade » et une fois choisi, il ne fallait ni l'abandonner ni, surtout le trahir. Il est vrai aussi que ce roman, dont le sujet atteint les sommets du tragique, a aussi quelque chose de la farce de l'arroseur arrosé. Encore aujourd'hui,
Arthur Koestler est signalé, parfois, comme un auteur « controversé » notamment à propos de ce roman, comme si
L Histoire n'avait pas encore apporté une éclatante confirmation de ses propos.
Malgré tout, le roman d'
Arthur Koestler s'est imposé comme une dénonciation du totalitarisme mais l'a-t-on lu avec toute l'attention requise ? Pas toujours, car il s'agit, au-delà d'une dénonciation, du démontage des outils qu'utilisent les totalitarismes.
Roman à clés, également. Assez transparent pour les lecteurs des années 40, beaucoup moins pour les lecteurs des années 20 du 21ème siècle. Aucun nom de la grande histoire n'y est cité, mais les lecteurs comprenaient que le roman avait pour décor l'entre-deux-guerres, la Révolution bolchévique, la Révolution de Novembre manquée en Allemagne et la montée du nazisme, les zigzags stratégiques du Parti communiste de l'URSS, passant de la stratégie classe contre classe , à la lutte contre les sociaux-traitres au pacte germano-soviétique en passant par la stratégie de front populaire. Inspiré des purges staliniennes (bien que le nom de Staline n'y soit jamais cité), ce roman imagine l'itinéraire d'un dignitaire soviétique, Roubachof, qui, après une carrière d'aparatchik (diplomate, espion, fidèle du Chef et lui-même instructeur des grands procès), est jeté en prison et jugé. Ces purges staliniennes ne concernent donc pas le citoyen moyen mais l'élite communiste, intégrée, par définition dans l'appareil du parti et de l'Etat.
Arthur Koestler décrit les méthodes utilisées par l'appareil d'Etat communiste : travestissement de la réalité, contrôle du discours, manipulation et maîtrise de la pensée. La réalité n'existe pas en dehors du discours autorisé par l'appareil d'Etat. Lui seul décide de la réalité. L'individu doit renoncer à voir ce qu'il voit, à penser seul. Il doit voir le réel à travers ce que lui dit le Parti et ne penser que comme le Parti. En effet ce dernier détient la Vérité grâce à l'outil scientifique du marxisme-léninisme :
L Histoire mène les peuples inéluctablement vers le socialisme puis le communisme. Un seul parti est le garant de la meilleure manière d'y parvenir : le parti communiste avant-garde du prolétariat. Donc contredire le parti, c'est ralentir
L Histoire. Aucune action, aucune pensée ne peut se justifier en dehors de sa contribution à l'atteinte du but de la Révolution, le communisme. le « Je » n'existe plus, n'a de toute façon aucune valeur, c'est le « nous » soviétique qui prévaut ; autrement dit la fin justifie les moyens.
Roubachov, comme tous les « purgés » des années 30 a consacré sa vie à la Révolution. Et voilà que cette Révolution le broie, l'écrase. Il est désigné comme un ennemi. Il sait que ce dont on l'accuse est faux. Mais l'intérêt du Parti n'est-il pas qu'il reconnaisse les crimes dont on l'accuse ? C'est le dernier service qu'il peut rendre à la Révolution. du moment que cela sert la cause !
Tragédie grecque. Roubachov va-t-il aller au bout de la logique décrite par
A. Koestler ? Va-t-il accepter de jouer le jeu et reconnaître ses crimes et apporter un dernier soutien à la Révolution ou va-t-il refuser et dénoncer la supercherie :
L Histoire n'est pas encore écrite ?
Probablement un des meilleurs ouvrages d'
Arthur Koestler, qui allie profondeur de la pensée à qualité de l'écriture et épaisseur des personnages. Son apport à la compréhension des totalitarismes passés est encore utile aux citoyens d'aujourd'hui pour veiller à tout retour intempestif de ces méthodes, fût-ce dans une version atténuée.