AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782072732928
104 pages
Gallimard (08/06/2017)
5/5   1 notes
Résumé :
Philippe Sollers, Le roi des jardins - Deviner la Chine. André Magnan, Il confidente Manuzzi vs Bibo et Candido. Julia Kristeva - Catherine Calvet - Cécile Daumas, Manifeste culturel (entretien). Guillaume Basquin, Le Parc, futur antérieur - Philippe Forest. Frans De Haes, [Présentation du Chant suprême] Anonymes, Le Chant suprême. Olivier-Pierre Thébault, L'âme baudelairienne des parfums. Marcelin Pleynet, Oscar Wilde - L'art de la boxe. Jean-Luc Hennig, Deux lettr... >Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après L'infini, n°139Voir plus
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Il était minuit quand Zarathoustra se mit en chemin par-dessus la crête et de l’île pour arriver le matin de très bonne heure à l’autre rive : car c’est là qu’il voulait s’embarquer. Il y avait sur cette rive une bonne rade où des vaisseaux étrangers aimaient à jeter l’ancre ; ils emmenaient avec eux quelques-uns d’entre ceux des Îles Bienheureuses qui voulaient passer la mer. Zarathoustra, tout en montant la montagne, songea en route aux nombreux voyages solitaires qu’il avait accomplis depuis sa jeunesse, et combien de montagnes, de crêtes et de sommets il avait déjà gravis.


Je suis un voyageur et un grimpeur de montagnes, dit-il à son cœur, je n’aime pas les plaines et il me semble que je ne puis pas rester tranquille longtemps.

Et quelle que soit ma destinée, quel que soit l’événement qui m’arrive, — ce sera toujours pour moi un voyage ou une ascension : on finit par ne plus vivre que ce que l’on a en soi.

Les temps sont passés où je pouvais m’attendre aux événements du hasard, et que m’adviendrait-il encore qui ne m’appartienne déjà ?

Il ne fait que me revenir, il est enfin de retour — mon propre moi, et voici toutes les parties de lui-même qui furent longtemps à l’étranger et dispersées parmi toutes les choses et tous les hasards.

Et je sais une chose encore : je suis maintenant devant mon dernier sommet et devant ce qui m’a été épargné le plus longtemps. Hélas ! il faut que je suive mon chemin le plus difficile ! Hélas ! j’ai commencé mon plus solitaire voyage !

Mais celui qui est de mon espèce n’échappe pas à une pareille heure, l’heure qui lui dit : « C’est maintenant seulement que tu suis ton chemin de la grandeur ! Le sommet et l’abîme se sont maintenant confondus !

Tu suis ton chemin de la grandeur : maintenant ce qui jusqu’à présent était ton dernier danger est devenu ton dernier asile !

Tu suis ton chemin de la grandeur : il faut maintenant que ce soit ton meilleur courage de n’avoir plus de chemins derrière toi !

Tu suis ton chemin de la grandeur : ici personne ne se glissera à ta suite ! Tes pas eux-mêmes ont effacé ton chemin derrière toi, et au-dessus de ton chemin il est écrit : Impossibilité.

Et si dorénavant toutes les échelles te manquent, il faudra que tu saches grimper sur ta propre tête : comment voudrais-tu faire autrement pour monter plus haut ?

Sur ta propre tête et au delà, par-dessus ton propre cœur ! Maintenant ta chose la plus douce va devenir la plus dure.

Chez celui qui s’est toujours beaucoup ménagé, l’excès de ménagement finit par devenir une maladie. Béni soit ce qui rend dur ! Je ne vante pas le pays où coulent le beurre et le miel !

Pour voir beaucoup de choses il faut apprendre à voir loin de soi : — cette dureté est nécessaire pour tous ceux qui gravissent les montagnes.

Mais celui qui cherche la connaissance avec des yeux indiscrets, comment saurait-il voir autre chose que les idées de premier plan !

Mais toi, ô Zarathoustra ! tu voulais apercevoir toutes les raisons et l’arrière-plan des choses : il te faut donc passer sur toi-même pour monter — au delà, plus haut, jusqu’à ce que tes étoiles elles-mêmes soient au-dessous de toi !

Oui ! Regarder en bas sur moi-même et sur mes étoiles : ceci seul serait pour moi le sommet, ceci demeure pour moi le dernier sommet à gravir ! —



Ainsi se parlait à lui-même Zarathoustra, tandis qu’il montait, consolant son cœur avec de dures maximes : car il avait le cœur plus blessé que jamais. Et lorsqu’il arriva sur la hauteur de la crête, il vit l’autre mer qui était étendue devant lui : alors il demeura immobile et il garda longtemps le silence. Mais à cette hauteur la nuit était froide et claire et étoilée.

Je reconnais mon sort, dit-il enfin avec tristesse. Allons ! je suis prêt. Ma dernière solitude vient de commencer.

Ah ! mer triste et noire au-dessous de moi ! Ah ! sombre et nocturne mécontentement ! Ah ! destinée, océan ! C’est vers vous qu’il faut que je descende !

Je suis devant ma plus haute montagne et devant mon plus long voyage : c’est pourquoi il faut que je descende plus bas que je ne suis jamais monté :

— plus bas dans la douleur que je ne suis jamais descendu, jusque dans l’onde la plus noire de douleur ! Ainsi le veut ma destinée : Eh bien ! Je suis prêt.

D’où viennent les plus hautes montagnes ? c’est que j’ai demandé jadis. Alors, j’ai appris qu’elles viennent de la mer.

Ce témoignage est écrit dans leurs rochers et dans les pics de leurs sommets. C’est du plus bas que le plus haut doit atteindre son sommet. —



Ainsi parlait Zarathoustra au sommet de la montagne où il faisait froid ; mais lorsqu’il arriva près de la mer et qu’il finit par être seul parmi les récifs, il se sentit fatigué de sa route et plus que jamais rempli de désir.

Tout dort encore maintenant, dit-il ; la mer aussi est endormie. Son œil regarde vers moi, étrange et somnolent.

Mais son haleine est chaude, je le sens. Et je sens aussi qu’elle rêve. Elle s’agite, en rêvant, sur de durs coussins.

Écoute ! Écoute ! Comme les mauvais souvenirs lui font pousser des gémissements ! ou bien sont-ce de mauvais présages ?

Hélas ! je suis triste avec toi, monstre obscur, et je m’en veux à moi-même à cause de toi.

Hélas ! pourquoi ma main n’a-t-elle pas assez de force ! Que j’aimerais vraiment te délivrer des mauvais rêves ! —

Tandis que Zarathoustra parlait ainsi, il se mit à rire sur lui-même avec mélancolie et amertume. Comment ! Zarathoustra ! dit-il, tu veux encore chanter des consolations à la mer ?

Hélas ! Zarathoustra, fou riche d’amour, ivre de confiance ? Mais tu fus toujours ainsi : tu t’es toujours approché familièrement de toutes les choses terribles.

Tu voulais caresser tous les monstres. Le souffle d’une chaude haleine, un peu de souple fourrure aux pattes — : et immédiatement tu étais prêt à aimer et à attirer à toi.

L’amour est le danger du plus solitaire ; l’amour de toute chose pourvu qu’elle soit vivante ! Elles prêtent vraiment à rire, ma folie et ma modestie dans l’amour ! —

Ainsi parlait Zarathoustra et il se mit à rire une seconde fois : mais alors il pensa à ses amis abandonnés, et, comme si, dans ses pensées, il avait péché contre eux, il fut fâché contre lui-même à cause de sa pensée. Et aussitôt il advint que tout en riant il se mit à pleurer : — Zarathoustra pleura amèrement de colère et de désir.
Commenter  J’apprécie          00
Tremblement de Bataille 2

Première phrase de Madame Edwarda :

« Au coin d’une rue, l’angoisse, une angoisse sale et grisante, me décomposa (peut-être d’avoir vu deux filles furtives dans l’escalier d’un lavabo). »
Ces ouvertures, simples et fulgurantes, déclenchent aussitôt des rencontres de personnages féminins inoubliables, Simone, Marcelle, Edwarda, dont les crises convulsives sont partagées et comme vécues de l’intérieur par le narrateur. De telles figures de femmes sont précisément ce qu’on peut reprocher le plus à Bataille ; c’est là qu’est son expérience de dévoilement et de vérité folle. Comment "illustrer" un passage de ce genre ?

« La mer faisait déjà un bruit énorme, dominé par de longs roulements de tonnerre, et des éclairs permettaient de voir comme en plein jour les deux culs branlés des jeunes filles devenues muettes »
Emportement et précision de l’écriture, vision ironique globale, tout est là.

« A d’autres, écrit encore Bataille, l’univers paraît honnête. Il semble honnête aux honnêtes gens parce qu’ils ont des yeux châtrés. C’est pourquoi ils craignent l’obscénité. Ils n’éprouvent aucune angoisse s’ils entendent le cri du coq ou s’il découvrent le ciel étoilé. En général, on goûte les "plaisirs de la chair" à la condition qu’ils soient fades. »
L’hystérie, la fadeur, sont une trahison permanente du tragique et du comique de l’aventure humaine. Celle-ci est à la fois rire et horreur, angoisse et extase, identité des contraires faisant coïncider douleur et jouissance.

« En moi, la mort définitive a le sens d’une étrange victoire. Elle me baigne de sa lueur, elle ouvre en moi le rire infiniment joyeux : celui de la disparition !... »
Ces phrases sont-elles aujourd’hui plus audibles que lorsqu’elles ont été écrites ? Non. Le seront-elles dans l’avenir ? Non. Ou alors seulement par quelqu’un qui, à son tour, sera contraint de prendre un pseudonyme ou de se taire devant l’énormité de sa découverte. Non pas à cause de l’obscénité, donc (qui n’est qu’un moyen), mais de la conscience de soi qu’elle comporte.

Sans doute pour se moquer de Malraux et de ses Voix du silence, Bataille, à la fin de sa vie, composa une anthologie raisonnée sous le titre Les Larmes d’Eros. La voilà rééditée à son tour. On y trouve la célèbre photo du supplicié chinois (image insoutenable [3]) insérée dans une galerie de tableaux des plus grands peintres (mais aussi des plus contestables au fur et à mesure qu’augmente la vulgarité des temps).

Lascaux. La scène du puits
En réalité, Bataille veut insister sur les figurations les plus énigmatiques, celle de la préhistoire (il est quand même celui qui aura su parler aussi justement de Manet [4] que de la grotte de Lascaux). Ce qu’il a à dire de bouleversant est plus proche des peintures du paléolithique que de l’affadissement stéréotypé de nos jours. Ainsi de cette scène du "puits" sur laquelle il revient sans cesse : un bison blessé et rageur, un homme à tête d’oiseau s’effondrant le sexe dressé, un oiseau posé sur un bâton, un rhinocéros massif qui s’éloigne ... Qui est descendu là-bas une fois est marqué à jamais par ce cri de silence. Bataille, lui, dans une caverne comme dans un bordel, continuait à voir le ciel étoilé.
Commenter  J’apprécie          00
Tremblement de Bataille


Il s’est développé, autour de Georges Bataille, toute une légende de fausses reconnaissances ou d’amitiés embarrassées qui ont pour fonction d’empêcher la lecture de ses livres.

Si on y ajoute le discours universitaire ou psychanalytique, l’obscurité s’accroît. Elle culmine enfin dans le désir de voir en lui un auteur "obscène" pour mieux détourner l’attention de l’aspect profondément religieux (et donc antiphilosophique) de sa pensée.
Nous parlons de sexualité, de pornographie, nous en ruminons pauvrement et industriellement les variantes mécaniques possibles, et, comme par hasard, le fanatisme intégriste répond par le meurtre et le terrorisme. Nous sommes donc toujours dans la même impasse qui consiste à ne pas vouloir savoir de quoi, réellement, il s’agit.

« Le sens de l’érotisme échappe à quiconque n’en voit pas le sens religieux. Réciproquement, le sens des religions échappe à quiconque néglige le lien qu’il présente avec l’érotisme. »
Un silence gêné accueille cette affirmation. Elle choque aussi bien les dévots que les pervers rationnels qui croient les combattre. La lumière nouvelle que Bataille projette violemment sur la condition humaine ne cherche d’ailleurs pas l’assentiment mais la vibration d’une expérience individuelle. Ainsi Bataille n’hésite pas à écrire dans Madame Edwarda :

« Voici donc la première théologie proposée par un homme que le rire illumine et qui daigne ne pas limiter ce qui ne sait pas ce qu’est la limite. Marquez le jour où vous lisez d’un caillou de flamme, vous qui avez pâli sur les textes des philosophes ! Comment peut s’exprimer celui qui les fait taire, sinon d’une manière qui ne leur est pas concevable ? »
Misère de la philosophie, bavardage de la morale, ennui profond, livres inertes : tout se passe, et c’est bien normal, comme si Sade et Nietzsche avaient existé et écrit pour rien. Et Bataille ? Rien.

On réédite donc, ces temps-ci, ces deux grands chefs-d’oeuvre que sont Histoire de l’oeil et Madame Edwarda. L’effet de cette publication est bizarre. On se souvient d’abord que Bataille a commencé de les signer de deux pseudonymes, Lord Auch et Pierre Angélique. On tourne les pages de ces tirages limités illustrés d’autrefois, et on note aussitôt le dépérissement des images. Fautrier, Masson, Bellmer paraissent à côté du sens et de l’énergie des récits, tantôt trop éloquents (Masson [1]), tantôt trop maniérés (Bellmer [2]). Bataille, lui, est à la fois plus subtil et violent, plus cru et plus réaliste. Première phrase d’Histoire de l’oeil :

« J’ai été élevé seul et, aussi loin que je me le rappelle, j’étais anxieux des choses sexuelles. »
Commenter  J’apprécie          00
Le Chemin de Nietzsche à Eze et autres promenades

À Nice, en octobre, il fait (faisait) froid. Le 23 novembre, M.N. note :

« Je suis assis ce matin, pour la première fois dans une pièce chauffée. »

Puis :

« Je me promène une heure le matin, trois heures l’après-midi, à pas vifs - le même chemin jour après jour : il est assez beau pour cela. »

Quatre heures de marche par jour, voilà comment ça s’écrit : à pas vifs, toujours le même chemin et jamais le même. Éternel retour du chemin.

« Après le dîner, au salon, jusqu’à 9 heures, je suis assis à une table, sous l’abat-jour de ma lampe, avec des Anglais et des Anglaises pour compagnie presque exclusive. »

Les Anglais et les Anglaises parlent distinctement et font peu de bruit, contrairement aux Américains et surtout aux Américaines, ces sourds et ces sourdes. J’ai failli, plusieurs fois, à Venise, en étrangler cinq ou six.

Le chemin de Nietzsche est un sentier qui relie le village d’Èze au sommet de sa colline à 400 mètres d’altitude environ jusqu’à Èze-sur-Mer sur la Méditerranée.



Il est de difficulté moyenne. Avec de nombreuses marches assez hautes au départ, près du village d’Èze qui le rendent impraticable en VTT. Une fois quitté Èze et avant d’arriver à Èze-sur-mer, il serpente en pleine nature.



Friedrich Nietzsche arriva sur la Côte d’Azur en 1883 et s’installa à Nice. À cette époque, son moral était au plus bas. Ses livres se vendaient mal, il venait de se brouiller avec Richard Wagner et de se faire éconduire par Lou Andreas-Salomé. Sur la Côte d’Azur, il retrouva l’émotion créatrice nécessaire pour écrire

Comme de nombreux écrivains, il avait besoin de marcher pour créer : "L’agilité des muscles fut toujours la plus grande chez moi lorsque la puissance créatrice était la plus forte. Le corps est enthousiasmé … Je pouvais alors, sans avoir la notion de fatigue, être en route dans les montagnes pendant sept ou huit heures de suite. Je dormais bien, je riais beaucoup. J’étais dans un parfait état de vigueur et de patience"

Il y conçut la troisième partie de son oeuvre Ainsi parlait Zarathoustra . « L’hiver suivant, sous le ciel alcyonien de Nice qui, pour la première fois rayonna alors dans ma vie, j’ai trouvé le troisième Zarathoustra - et j’avais ainsi terminé. (...) Cette partie décisive qui porte le titre : « Des vieilles et des nouvelles Tables » fut composée pendant une montée des plus pénibles de la gare au merveilleux village maure Eza, bâti au milieu des rochers »

Nietzsche revint chaque année sur la Riviera jusqu’en 1888.
Commenter  J’apprécie          00

autres livres classés : boxeVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (3) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1220 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}