VALSE
Ah! pourquoi de vos yeux
Tant appeler mes yeux,
Et pourquoi d’une folle étreinte me dire
Que tout est puéril
Hors élan de nos cœurs
Éperdus l’un vers l’autre.
Ces lampes claires et ces girandoles
Dévoileraient mon trouble sans doute,
Si je laissais vos yeux
Tant parler à mes yeux.
Vois l’enchantement de cette nuit complice
Et ces roses
Amoureuses
Aux corsages des Amoureuses.
Respirons les aromes charmants
Qui montent de ces fleurs,
Parées comme des femmes,
Et de ces femmes parées
Comme des fleurs.
Enivrons-nous du doux vin
Cher à Cythérée,
Tandis que les violons
Traînent des notes pâmées
Et que les violoncelles sont
Des voix humaines extasiées.
Ne fuyez pas, chers yeux, tes yeux
Abandonnez-vous vaincus et vainqueurs,
Abandonnez-vous, tes yeux à mes yeux.
Les fenêtres ( extrait)
Le long des boulevards et le long des rues, elles étoilent les maisons;
A l'heure grise du matin, repliant leurs deux ailes en persiennes, elles abritent les exquises paresses et emmitouflent de ténèbres le rêve frileux.
Mais le soleil les fait épanouir comme des fleurs- avec leurs rideaux blancs, rouges ou roses.
Le long des boulevards et des rues.
et tandis que la vitre miroite comme de l'eau dormante, que de charme inquiétant et de confidences muettes, entre les plis des rideaux blancs, rouges ou roses.
SYMPHONIE EN GRIS
À Rodolphe Salis.
Plus d'ardentes lueurs sur le ciel alourdi,
Qui semble tristement rêver.
Les arbres, sans mouvement,
Mettent dans le loin une dentelle grise. ―
Sur le ciel qui semble tristement rêver,
Plus d'ardentes lueurs. ―
Dans l'air gris flottent les apaisements,
Les résignations et les inquiétudes.
Du sol consterné monte une rumeur étrange, sur-
humaine.
Cabalistique langage entendu seulement
Des âmes attentives. ―
Les apaisements, les résignations, et les inquiétudes
Flottent dans l'air gris. ―
Les silhouettes vagues ont le geste de la folie.
Les maisons sont assises disgracieusement
Comme de vieilles femmes ―
Les silhouettes vagues ont le geste de la folie. ―
C'est l'heure cruelle et stupéfiante,
Où la chauve-souris déploie ses ailes grises,
Et s'en va rôdant comme un malfaiteur. ―
Les silhouettes vagues ont le geste de la folie. ―
Près de l'étang endormi
Le grillon fredonne d'exquises romances.
Et doucement ressuscitent dans l'air gris
Les choses enfuies.
Près de l'étang endormi
Le grillon fredonne d'exquises romances.
Sous le ciel qui semble tristement rêver.
4 novembre 1882.
p.16-17
LES RÉSURRECTIONS
Métempsycose
À Georges Lorin.
Longtemps après que toute vie
Sur la terre veuve aura cessé,
Les tristes ombres des humains,
Les âmes plaintives des humains,
Reviendront visiter
La terre veuve
Où toute vie aura cessé.
Elles quitteront les corps nouveaux
Que la tyrannique droite de Dieu
Aura assigné à leur destinée pérégrine,
Dans quelque planète lointaine,
Et pieusement viendront visiter
La terre veuve.
Allors, leur prunelle spirituelle
Et leur immatérielle oreille
Reconnaîtront les formes, les couleurs et les sons
Qui furent les œuvres de leurs mains assidues,
Durant les âges amoncelés et oubliés.
Qui furent les œuvres de leurs mains débiles,
De leurs mains plus fortes pourtant
Que le Néant.
Tandis que palpitait en eux la terrestre vie
Et que leur bouche proclamait
Le nom trois fois saint de l’Art immortel.
Et quand, au matin revenu, un autre soleil
Les rappellera vers les corps assignés
À leur destinée pérégrine,
Dans quelque planète lointaine,
Chaque ombre errante, chaque âme plaintive
Dira : – j’ai fait un rêve prodigieux.
Et, sous le fouet de l’éternelle Beauté
Et de l’éternelle Mélancolie,
Les humains à nouveau dompteront —
Dans cette planète lointaine —
Les couleurs, les formes et les sons.
La gigue
Les Talons
Vont
D’un train d’enfer
Sur le sable blond.
Les Talons
Vont,
Sur le plancher clair,
D’un train d’enfer.
Implacablement
Et rythmiquement,
Avec une méthode d’enfer,
Les Talons
Vont.
Cependant le corps,
Sans nul désarroi,
Se tient tout droit,
Comme appréhendé au collet
Par les
Recors.
La danseuse exhibe ses bas noirs
Sur des jambes dures
Comme du bois.
Mais le visage reste coi
Et l’œil vert
Comme les bois
Ne trahit nul émoi.
Puis d’un coup sec
Comme du bois,
Le danseur, la danseuse
Retombent droits,
D’un parfait accord,
Les bras le long
Du corps ;
Et dans une attitude aussi sereine
Que si l’on portait
La santé
De la Reine.
Mais, de nouveau,
Les Talons
Vont,
D’un train d’enfer,
Sur le plancher clair.
« Une anthologie de femmes-poètes ! - Eh oui, pourquoi pas ?
[…]
On a dit du XIXe siècle que ce fut le siècle de la vapeur. le XXe siècle sera le siècle de la femme. - Dans les sciences, dans les arts, dans les affaires et jusque dans la politique, la femme jouera un rôle de plus en plus important. Mais c'est dans les lettres surtout, - et particulièrement dans la poésie, - qu'elle est appelée à tenir une place considérable. En nos temps d'émancipation féminine, alors que, pour conquérir sa liberté, la femme accepte résolument de travailler, - quel travail saurait mieux lui convenir que le travail littéraire ?! […] Poète par essence, elle s'exprimera aussi facilement en vers qu'en prose. Plus facilement même, car elle n'aura point à se préoccuper d'inventer des intrigues, de se créer un genre, de se faire le champion d'une idée quelconque ; - non, il lui suffira d'aimer, de souffrir, de vivre. Sa sensibilité, voilà le meilleur de son imagination. Elle chantera ses joies et ses peines, elle écoutera battre son coeur, et tout ce qu'elle sentira, elle saura le dire avec facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin.
[…]
Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l'homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d'inventorier - si l'on peut dire, - son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. […] » (Alphonse Séché [1876-1964])
« Il n'y a pas de poésie féminine. Il y a la poésie. Certains et certaines y excellent, d'autres non. On ne peut donc parler d'un avenir spécial de telle poésie, masculine ou féminine. La poésie a toujours tout l'avenir. Il naîtra toujours de grands poètes, hommes ou femmes […]. Où ? Quand ? Cela gît sur les genoux des dieux, et nul ne peut prophétiser là-dessus.
[…]. » (Fernand Gregh [1873-1960])
0:00 - Sophie Huë
0:30 - Ondine Valmore
1:41 - Augustine-Malvina Souville, dite Madame Blanchecotte
2:53 - Tola Dorian
4:14 - Émilie-Georgette-Louisa Siéfert
6:01 - Jeanne Loiseau, dite Daniel Lesueur
6:51 - Maria Anastasia Krysiska
8:36 - Générique
Références bibliographiques :
Alphonse Séché, Les muses françaises, anthologie des femmes-poètes (1200 à 1891), Éditions Louis-Michaud, 1908
Alphonse Séché, Les muses françaises, anthologie des femmes-poètes (XXe siècle), Éditions Louis-Michaud, 1908
Images d'illustration :
Ondine Valmore : cf. « Référence bibliographique »
Tola Dorian : https://www.alamy.com/stock-image-portrait-of-kapitolina-sergueevna-mestcherskaa-1839-1918-known-as-164523258.html
Daniel Lesueur, née Jeanne Loiseau : cf. « Référence bibliographique »
Maria Anastasia Krysiska : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Krysinska#/media/Fichier:Marie-krysinska.jpg
Bande sonore originale : Arthur Vyncke - Uncertainty
Uncertainty by Arthur Vyncke is licensed under a CC BY-SA 3.0 Attribution-ShareAlike 3.0 license.
Site :
https://www.free-stock-music.com/arthur-vyncke-uncertainty.html
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