Marqué par [son] éveil, le pèlerin ne s’arrêtera pas en si bon chemin : il revient pour mieux repartir. Tant qu’il n’a pas trouvé sa véritable demeure, il reprend la route. À l’instar de saint Benoît Joseph Labre, errant de sanctuaire en sanctuaire, ou des « fols en Christ » en Russie, nombreux sont nos contemporains qui enchaînent les pèlerinages. On les appelle « les pèlerins multirécidivistes ». Croient-ils que, comme l’affirme une tradition, chaque pèlerinage rapproche du but final, la Jérusalem céleste, ce Paradis qui se manifestera à la fin des temps ? Souhaitent-ils secrètement finir leur vie en chemin ? Après son deuxième pèlerinage à Chartres, Charles Péguy écrivait : « Ce serait beau de mourir sur une route et d’aller au Ciel tout d’un coup. » Et Humbert Jacomet cite les paroles d’un prêtre à des jeunes qui voulaient le suivre : « Nous partons à Saint-Jacques pour mourir. » La métaphore est belle, tout autant que le rituel initiatique qui clôt le pèlerinage, au cap Finisterre. Là, le jacquet brûle ses vêtements encore tout maculés de la poussière du chemin. Par cet acte symbolique, le vieil homme laisse place à l’homme nouveau. Si le pèlerinage a partie liée avec la mort, c’est donc parce qu’elle est une étape nécessaire vers la renaissance, vers un nouveau commencement.
Il faut mettre en garde les touristes, les vrais, ceux qui partent pour le trek et la découverte, contre toute tentation de pratiquer un humanitaire sauvage. Pensez toujours que vous allez repartir. Que deviendra demain, dans une semaine, dans un an, cet enfant que l’on a mis, imprudemment, sous un antibiotique de dernière génération tiré au hasard d’une trousse de secours ? La vraie générosité n’est pas toujours d’agir, s’abstenir, en tout cas se limiter est parfois préférable. Aider des structures de soin locales est moins gratifiant, mais plus utile que de jouer au Grand docteur Blanc. Albert Schweitzer n’était pas un touriste…
Le Petit livre de la marche
Gaële de la Brosse
Salvator, (février 2019)
Dans la société contemporaine, la marche revient à la mode comme une nécessité humaine, mais aussi spirituelle. L'auteure développe le sens de cette activité proche de la méditation et donne la parole à de grands marcheurs qui partagent leur expérience. © Electre 2019