Ce qui garde, malgré tout, à ces visions ou à ces rêves une valeur historique, c'est qu'ils ne furent pas ceux des seuls artistes et qu'ils échappent, en leurs plus vivantes expressions, à tout ce que l'histoire nous raconte des lois, des règlements, des inspirations de leurs patrons ou de leurs protecteurs. L'art n'est pas seulement universel par son objet : il l'est encore par ses sources. Il ne montre pas seulement mieux la vie universelle d'un temps : il révèle mieux l'universalité des sentiments de ce temps.
Mais là où révolution et le rajeunissement sont les plus sensibles, c'est dans le surnaturel, c'est-à-dire dans les personnages du ciel qui se joignent, en cette nuit solennelle, à ceux de la terre. Ce sont au point de vue plastique, les seuls personnages surnaturels du tableau. Le groupe divin, lui, n'embarrasse pas les peintres : il a des apparences toutes réelles, il a été vu sous des dehors communs à toute l'humanité. Si la photographie avait existé de son temps, il aurait pu être photographié. Mais, autour de lui, se groupent des visiteurs venus de deux mondes très différents et l'un de ces mondes est le monde invisible. Il les réunit, un instant, comme un hôte qui reçoit des amis de conditions sociales très diverses. Il les reçoit, au début de l'Art, sur un pied parfait d'égalité. De la terre sont venus les Bergers qui sont les anges des troupeaux. Du ciel viennent les Anges qui sont les gardiens des âmes.
CE n'est pas seulement le geste de l'acteur qui change, dans les portraits, c'est aussi le décor. Il se modifie, selon l'époque, avec une simultanéité telle qu'il semble qu'un même machiniste fait jouer des ressorts pareils derrière toutes ces tètes de femmes. Au début, le fond est uni et sombre, mat et irréel. Les profils ou les faces luisent dans cette nuit, comme des apparitions. Ce sont les Clouet, les Ghirlandajo, les Ambrogio de Prédis, et même les Rembrandt et jusqu'aux Philippe de Champaigne. Un rideau noir, vert ou rouge est tiré derrière la figure humaine. Le monde extérieur n'existe pas et importe peu. Pour être, il suffit qu'on pense, et l'esprit est plus facile à connaître que la nature. L'attention se porte tout entière sur le front, siège de la pensée, sans que rien la puisse distraire.
Les Anges dans la peinture du XVIIe et du XVIIIe siècle conservent bien leur forme robuste et parfois l'exagèrent, mais comme ils ne se montrent plus en des attitudes normales et coutumières, l'étonnement remplace en nous la foi et le nuage qui les enveloppe, sans les dissimuler à notre vue, nous permet cependant de les considérer comme un phénomène violent et fortuit. Ils passent et repassent froissant leurs plumes aux madriers de la toiture en ruines, se suspendant selon les mille aspérités imprévues des portiques et des corbeaux de pierre, comme des nuées apportées par un vent d'orage et qu'un autre souffle va peut-être emporter.