C'est en prison, dans les deux mois qui ont séparé sa condamnation de son exécution, le 9 janvier 1836, que
Pierre-François Lacenaire a rédigé ces bien étranges
Mémoires. A ce moment, il n'était plus temps de mentir : on pourrait penser que le "poète assassin" a tenu à expliquer avec sincérité comment un jeune homme issu d'une famille bourgeoise relativement aisée, qui a reçu une bonne éducation, s'est transformé en meurtrier pour se venger de la société. On pourrait presque y croire, tant l'auteur manie la langue avec aisance et trouve facilement la justification de chacun de ses actes. Mais le récit de sa vie nous révèle un être ambigu, tout à la fois révolté, cynique et surtout malhonnête.
Dès la première préface, nous voilà prévenus et invités à nous méfier : s'adressant au lecteur, Larcenaire lui écrit "Tu peux donc, les yeux fermés, t'abandonner à ma sincérité, quoique je n'aie pas prêté serment". Quelle malice ! Cette méfiance que l'auteur lui-même a suscitée ne m'a pas quitté tout au long de la lecture de ces
Mémoires. Et bien souvent, je suis resté perplexe, confronté aux justifications ambigues et aux "circonstances atténuantes" pas toujours convaincantes. On comprend que cette personnalité difficile à saisir ait intrigué ses contemporains, qui auraient tant voulu comprendre les ressorts de cet assassin hors norme. Quant à moi, jusqu'au dernier moment, je n'ai pas pu trancher. Et quand, en quittant sa cellule pour rejoindre l'échafaud, Lacenaire lance ses derniers mots : "Oh ! gardez-moi quelque place dans votre souvenir", il ne se trompe pas, car je me souviendrai longtemps de ce livre. Mais avec le sentiment pénible de n'avoir pas été totalement convaincu.