Le titre mystérieux de ce livre a quelque chose d'impénétrable, comme une invitation à attendre l'invisible. Il serait facile pour un illuminé d'y voir un Signe.
Ce fut d'ailleurs mon cas.
Pendant plusieurs semaines, j'ai monté la garde au chevet de la table de ce livre sans oser le toucher, attendant, attendant. J'attendais obsessionnellement un miracle, une justification, une sainteté magique. Je crois que cette attente m'a rendu chèvre.
Mais pendant toute cette attente il ne s'est rien produit. Néant ! J'ai donc quitté mon poste de sentinelle et me suis résolu à lire ces trois nouvelles.
Et alors, surprise : toute mon attente était là. Les obsessions, la sainteté, la magie, le néant et même la chèvre.
Joli tour de force réussi par l'auteur brésilien
Harry Laus, qui décortique les psychés détraquées de ceux auxquels la vie ne suffit pas et qui cherchent à en modifier le mécanisme comme des apprentis horlogers.
La nouvelle éponyme a la délicatesse de s'arrêter au moment où le héros satisfait son obsession, comme si l'histoire de la chèvre de monsieur Seguin se stoppait net au moment où Blanquette, tout heureuse, se sauve.
Mais la seconde nouvelle, « Les réveils de Zénon » suit jusqu'au bout la tentative du héros pour échapper à la réalité. Cette fuite aura bien entendu la même chance de succès qu'Achille cherchant à rattraper la tortue dans les paradoxes du philosophe éléatique auquel Zénon emprunte son nom. Les horloges de Zénon scandent le rythme impitoyable des obsessions et des compulsions, réglées comme une mécanique infernale où le bon sens n'existe plus, parce que l'on cherche dans les manifestations du réel un autre bon sens, une bonne heure qui apporterait le bonheur, un angle irrationnel et inconnu dans les aiguilles des horloges, qui nous entraîne vers sa non-existence, son néant. Quand Narcisse cherche à étreindre son reflet dans l'eau, la noyade sonne le réveil.
La dernière histoire quitte l'échelle individuelle et se concentre sur plusieurs personnages à la fois, en une peinture pittoresque du littoral de Porto Belo au Brésil. Mais là encore les héros voudraient être ailleurs : en tutu plutôt qu'en robe de bure, dans les bras d'un amant plutôt que d'un mari, ou dans l'immatériel plutôt que le matériel. le genre fantastique permet justement au matériel et à l'immatériel de se croiser, et la littérature indique une voie possible pour pallier les insuffisances de la vie. Mais peut-on faire confiance à l'être humain pour ne pas tout gâcher ?
Afin de le savoir, à vous d'aller attendre en remuant ces pages.
Merci Bookycooky pour ce beau cadeau !