Le dernier train pour l'exil : sept personnes à quai pour dire la tragédie.
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BARNABÉ : Toi, Dacquin, qui accuses, tu n’as jamais coiffé un indigène, on n’a jamais vu un Arabe dans ton échoppe !
DACQUIN : Cela ne m’aurait pas dérangé de coiffer un Arabe. Il n’en venait pas, même ceux qui étaient mes amis. Nous les avons repoussés si loin qu’ils ne pouvaient revenir. Nous avons profité de leur candeur et accaparé les plus belles situations : dans les campagnes, les terres les plus fertiles, celles qui bordent ruisseaux et oueds, sont les nôtres ; nous y avons élevé nos fermes, étendu des domaines à perte de vue. Nos troupeaux paissent en de verts et abondants pâturages et vont s’abreuver sans courir ; quant à eux, les indigènes, ils ont reculé si loin sur la terre craquelée afin de trouver ne serait-ce qu’un ru près duquel ils ont dressé leurs gourbis que nous les avons perdus à jamais.
PERRET : Dacquin ! Tu voulais une Algérie algérienne ! Tu l’as ! Alors restes-y ! Car ce dernier train, tu ne monteras pas dedans, foi de moi, sur ma vie je le jure !
DACQUIN : Oui, je voulais une Algérie algérienne. Nous leur avons bien imposé notre administration, notre drapeau, notre langue, et ç’a failli aller loin, pourquoi refuser d’être algériens à notre tour ?
LÉONIE : Ils nous auraient tous éliminés, tu rêves Dacquin !
DACQUIN : Nous serions un même peuple ! Des dirigeants arabes ? Et alors ! Avec le temps tout se serait arrangé ; là, nous perdons tout, par orgueil et par haine.
PERRET : Là, Dacquin, tu joues de la trompette avec ton zob.
DACQUIN : J’ai hurlé de toutes mes forces afin de vous prévenir : restons dans une Algérie algérienne ! L’O.A.S., votre organisation fasciste, m’a condamné à mort ; j’ai dû fuir, rejoindre la montagne où les fellaghas m’ont pris, ils ont voulu me supprimer, je ne dois mon salut qu’au fils Belhadj qui m’a reconnu. Je les ai suivis, et je me suis terré à leurs côtés dans les mahals entre deux embuscades.
PERRET : Tu as tiré sur les nôtres dans ces embuscades ?
Le nouveau gouvernement ! Une bande d’assassins à la botte des communistes russes qui va exproprier nos terres et vous faire trimer comme des esclaves ! Ne les écoute pas, Tahar, va de ce pas habiter ma ferme et cultiver ma terre, c’est à toi ! Tu y as laissé autant de rides et de sueur que moi et Jules. Tu es notre ouvrier et tout ce bien que nous laissons revient en priorité à toi et à ta famille.
Fumiers d’indigènes, macaques, fellouzes de mon cul ! La France, la vraie, représentée par Barnabé ici même… (Il se tape sur la poitrine) …valeureux cheminot de la grande famille de la SNCF qui a tant œuvré pour vous en amenant le progrès et la civilisation jusqu’aux portes de vos gourbis de merde, vous prévient que ce n’est pas fini, que nous ne sommes pas encore partis, et que tant que je suis encore là… (Il ne sait plus quoi dire) …tant que… (Il est frustré, les mots lui manquent)… tant que… je serai là !