Il s'agit d'une longue étude de très grande qualité, qui tient à pousser l'analyse textuelle jusqu'au bout. Un ouvrage de cet acabit ne se laisse pas bien résumer. Disons simplement que l'enjeu s'inscrit dans un problème qui n'est pas qu'historique, puisqu'il s'agit tout simplement de comprendre pourquoi la phénoménologie se comprend en un sens transcendantal alors même qu'elle provient de la psychologie descriptive et de ses problèmes. En outre, comment la doctrine de la constitution peut-elle rabattre la transcendance sur l'immanence sans dissoudre cette transcendance ? Lavigne met minutieusement à jour les raisons qui ont permis l'émergence de la phénoménologie transcendantale, et révèle la décision qui caractérise cette transcendantalisation. Très schématiquement, nous pouvons considérer trois temps dans l'évolution philosophique de
Husserl :
- le temps des Recherches logiques et de leur neutralité métaphysique, Recherches qui ne parviennent pas à sortir du psychologisme, et se retrouvent pleinement dans ce que
Husserl nommera plus tard l'attitude naturelle.
- La phénoménologie immanentiste, née en 1903 de l'autocritique des Recherches, qui se concentre sur la pure immanence du sujet : le moi est encore entendu comme réal,
Husserl reste encore prisonnier des présupposés du psychologisme des Recherches, il est incapable d'envisager un ego qui ne serait pas empirique. Mais la phénoménologie est ici déjà idéaliste, et elle n'a jamais eu à le devenir. La réduction phénoménologique y est négative, et n'a pas encore sa caractérisation positive : il s'agit simplement de prendre conscience de la distinction entre phénoménologie et psychologie (même descriptive), ce qui n'était pas fait en 1900. La réduction eidétique est un moment de la réduction phénoménologique : c'est le même acte.
- La phénoménologie transcendantale et sa célèbre doctrine de la constitution, son corrélationisme, qui prend la transcendance comme problème (et, corrélativement, l'intersubjectivité) : elle relève d'une décision, d'une radicalisation de l'idéalisme en idéalisme ontologique, d'une prise de position ontologique qui était initialement proscrite. Ici,
Kant n'influence pas
Husserl, mais c'est
Husserl qui va vers certains problèmes de
Kant. Ici, la réduction transcendantale précède et permet la réduction eidétique.