Jadis, étant enfant, j'avais vu la statue d'un chien couché au pied d'une tombe. Elle avait une histoire. C'était un chien qui était mort de chagrin sur la tombe de son maître, et, en souvenir, on avait mis là ce chien de pierre. A l'époque, j'avais trouvé cela laid et prétentieux. Je me demande ce que ferait Tray si je l'emmenais sur la tombe de père. Je me demande si c'est là qu'il va lorsqu'il disparaît pendant des heures chaque jour. Je ne l'ai jamais vu quitter le parc ou y entrer, mais Anna dit qu'il le fait. Il épouvante Anna. Un soir, elle l'a enfermé dans la cuisine parce qu'il y faisait plus chaud que dans le couloir, et le lendemain matin il était toujours enfermé, mais ses poils étaient humides, ses pattes pleines de sable et de gravier. Ce soir là, il n'était pas venu se promener avec moi - j'étais restée dans ma chambre. Mais je racontai à Anna que c'était moi qui l'avais fait sortir.
Demain, j'irai dans la chambre de père, regarder ce qu'il a laissé derrière lui. Il y a des armoires pleines d'affaires, mais il y manquera un complet. Il y a un bureau plein de papiers. Parmi tout cela, je trouverai peut-être quelque chose qui m'indiquera ce qu'il avait en tête ce matin-là, il y a un mois, quand il est parti de la maison pour la dernière fois.
Ce matin-là, je venais de me promener le long de la grand-route et je prenais le tournant pour passer le portail lorsque je vis sa voiture descendre l'avenue. A peine une heure auparavant, il avait renvoyé son plateau de petit déjeuner intact et avait dit à maman qu'il ne voulait pas être dérangé. Et le voilà qui arrivait, sans chapeau, conduisant comme un enragé, le chien assis à l'avant près de lui. Je levai le bras à son passage, et je n'oublierai jamais son geste brusque de désarroi.
Ce soir, je me suis encore promenée dans le jardin et le chien m'a suivie. Il me suit chaque fois que je sors de la maison. Quelquefois, je me dis que j'ai réussi à lui échapper ; j'attends qu'il soit endormi sur sa couverture dans le couloir de la cuisine, ou qu'il soit parti pour une de ses expéditions qui lui sont coutumières. Mais au bout d'un petit moment, j'entends derrière moi cette foulée régulière, ces pattes qui trottent sur l'épais tapis de feuilles humides ou sur le pavé des vieilles allées. Il ne me regarde jamais, ne me frôle jamais, mais il se tient à mes côtés comme si c'était là sa place attitrée.