Alors que vient d'être publié le magistral - bien que court - ouvrage : Deux ans au Caire.
Lawrence d'Arabie avant la légende, de
Christophe Leclerc, il n'est pas inutile de revenir sur un livre précédent du même auteur, dont, jusqu'ici, je n'avais lu que quelques pages, trop occupé que j'étais à la rédaction de mes propres travaux biographiques successifs sur
Jeanne d'Arc puis sur
Charles V le Sage.
Lawrence d'Arabie : Gloire et légendes est un travail sérieux et particulièrement réussi, car il aborde le sujet sous l'aspect d'une lente construction, celle où l'on surprend T.E.Lawrence lui-même participer à la fabrication de sa propre légende, ce qui devait lui valoir presque autant d'admirateurs que de détracteurs, et il faut bien admettre qu'il n'a pas facilité la tâche aux historiens, aux biographes et aux écrivains, entraînant des
Robert Graves ou des
Basil Liddell Hart sur des chemins où ils s'égarèrent un peu, et il fallut attendre bien du temps pour trouver enfin des auteurs moins aveugles et moins passionnés, et donc des travaux plus neutres et plus fondés historiquement. La biographie relève-t-elle autant de la littérature que de l'histoire ? S'il soulève aussi au passage cette question et y apporte des éléments de réponse,
Christophe Leclerc dresse surtout un état chronologique des lieux, donnant de l'importance aux travaux qui le méritent, constatant que des ouvrages fantaisistes ou polémiques ont côtoyé, au fil du temps, des travaux plus fouillés et plus sérieux pour aboutir à des thèses, comme ce fut le cas avec
Maurice Larès, ou à des sommes, comme la biographie autorisée rédigée par
Jeremy Wilson. On a d'abord traité le personnage de
T.E. Lawrence sous les rapports de la légende et du génie littéraire, puis fait son procès en le traitant comme un mythomane ou un imposteur, tout en cherchant à en faire un héros (à admirer certes mais pas sans quelque trouble ou sans quelque questionnement sur sa sincérité). Puis, les archives se sont ouvertes, et chacun a voulu y prendre ce qui le confirmait dans son opinion préétablie. Larès et Wilson, chacun à sa manière, puis les très sérieuses publications de la T.E. Lawrence Society, ont permis d'encadrer le débat, de le faire sortir du champ des approches non historiquement vérifiées pour le faire entrer rationnellement dans celui de la discipline historique rigoureuse et fondée sur une étude et une exploitation plus scientifique des documents et des sources. Malgré tout, des débats ont toujours cours, parce que l'on voit bien que la personne et l'histoire de Lawrence appellent aussi des réflexions psychologiques et des analyses sur la personnalité de l'homme (ce qu'ont fait John E. Mack, moi-même dans une certaine mesure et également
Gérard Pirlot), ce qu'a d'ailleurs bien souligné aussi
Christophe Leclerc, qui ne doute pas une seconde que
Lawrence d'Arabie est un personnage qui continuera de susciter un immense intérêt. Il existe aussi une nette tendance à étudier isolément tel ou tel aspect de l'action ou des centres d'intérêt de Lawrence, ce qui oblige ceux qui s'y livrent à davantage de spécialisation. Mais
C. Leclerc a raison d'y insister,
Thomas Edward Lawrence ne doit plus être mythifié, et l'on doit le considérer avec plus de sérieux et de méthode que cela n'a été parfois le cas dans le passé. Surtout qu'à notre époque, la confrontation des textes nous permet de le prendre lui-même de plus en plus au sérieux, comme un acteur important de l'action militaire, politique et diplomatique au Moyen-Orient entre décembre 1914 et 1922 (et non pas comme un amateur ainsi que certains ont pu le supposer), même si, pour finir,
L Histoire a été passablement différente de celle qu'il souhaitait sincèrement écrire dans cette région du monde.
François Sarindar, auteur de
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010).