Oui, Darwin choque encore ! Les tenants de la lecture littérale de la Genèse sont de plus en plus influents dans certains pays, dans certains milieux. La question posée dans ce petit livre est importante: le créationnisme est-il une alternative crédible à la théorie scientifique de l'évolution ? Et une opinion et/ou une croyance peuvent-elles être opposées à une théorie scientifique cohérente ?
Selon l'auteur, les créationnistes ont au moins deux grands griefs à l'encontre de la science. D'abord celle-ci s'est émancipée d'un fondement philosophique des conservateurs, « l'essentialisme », qui attribue à chaque élément du monde un destin prédéfini par sa "nature" intrinsèque. Ensuite, pour les créationnistes, la science accepte trop tranquillement l'intervention du hasard, ce qui contredit l'idée d'une intervention divine directe ou indirecte.
Le créationnisme se divise en deux catégories: « métaphysique » (restant extérieur à la science) et « intrusif » (prétendant définir ce qui serait vrai ou faux dans la science). Les scientifiques, eux, se refusent à chercher des causes extra-naturelles aux phénomènes qu'ils étudient; leur travail est étranger aux spéculations et aux dogmes.
Une autre question se pose alors: les scientifiques doivent-ils débattre avec les créationnistes ? Non, répond l'auteur: ceux-ci, ne respectant pas les règles élémentaires du débat scientifique, sont en quelque sorte des « tricheurs ». Une controverse avec les créationnistes, sur la théorie de l'évolution, ferait croire au grand public que tous les arguments sont sur un pied d'égalité et que le point de vue des ultra-conservateurs a une valeur scientifique. En fait, il n'y a aucun point de contact entre la « foi » (qui n'a pas besoin de justification objective) et la « croyance » des savants en leur théorie scientifique qu'ils jugent cohérente.
L'auteur, qui a une approche très sérieuse et complète du sujet, s'attache à décortiquer les arguments et les officines des créationnistes. Il se focalise notamment sur le fameux concept de l'Intelligent Design (qui est très en vogue); il évoque également le fer de lance des ultra-conservateurs en France, l'Université Interdisciplinaire de Paris, dont je n'avais pas entendu parler jusqu'ici.
L'auteur a donc étudié avec précision les limites séparant la connaissance objective d'une part, et d'autre part les mythes et les croyances: ça m'a intéressé. Toutefois il faut être bien motivé pour lire ce livre, car il n'est pas spécialement facile à lire.
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Si l’évolution est contestée par les partis politiques européens traditionnels, par les marges les plus conservatrices des trois grands monothéismes, c’est qu’elle commet trois grandes transgressions, à leurs yeux.
La première est qu’à travers le phénomène de l’évolution biologique et humaine, les sciences s’émancipent vis-à-vis de l’essentialisme qui est le fondement philosophique de la plupart des conservatismes. […]
La seconde transgression est l’acceptation tranquille du hasard […]
La troisième transgression est quasiment un corollaire de la précédente. Elle réside dans la façon qu’ont les sciences de l’évolution de décrire des mécanismes du changement organique, biologique, humain et social sans jamais faire appel à la notion de destin. [...]
Le rôle des sciences est de dire ce qui est du monde réel, et de l’expliquer par les moyens de la raison et d’un rapport à la nature appelé expérimentation. La science explique la nature avec les seuls moyens de la nature, comme le postulèrent les encyclopédistes. Cela signifie que, par contrat, on exclut tout recours à un principe extra-naturel (providence, miracle…) lorsqu’il s’agit d’expliquer scientifiquement une manifestation du monde réel. Cette exclusion n’est pas nécessairement une négation ; elle est une garantie méthodologique.
FESTIVAL DES UTOPIALES 2023
La science vise à établir une lecture cohérente du monde. Mais une nouvelle théorie scientifique provient souvent d'un pas de côté tel Einstein et sa théorie de la gravitation, réalisant qu'une personne en chute libre ne sentira plus son poids. La science-fiction déclenche des mécanismes cognitifs visant à reconstituer un monde cohérent. La SF serait-elle la continuation de la science ?
Modérateur : François Bontems
Les intervenants : Estelle Blanquet, Sylvie Lainé, Guillaume Lecointre, Audrey Pleynet