Marcel Lecomte a longtemps fréquenté les surréalistes belges et s'est lui-même considéré comme tel, il s'est même inspiré pour ses poèmes des tableaux de Magritte et n'a pas eu peur des rapprochements improbables à la Breton ou
Dali. Cependant, on retrouvera pas vraiment cet effet de surprise ou de vertige auquel les surréalistes nous ont habitués.
"Ce voyageur qui se porte vers l'horizon, serait-ce un observateur sincère du pittoresque. Mais pourtant il ne regarde pas la campagne, ne tourne pas la tête.
Faisant de soi-même l'instrument de ses propres recherches, ne semble-t-il lentement percevoir la zone d'énergie cachée des choses, de cette énergie sans cesse renouvelée d'un monde à notre usage."
Le vertige chez Lecomte est d'une autre saveur, toute intériorisée. Il s'agit avant tout de contemplation jusqu'au moindre détail du réel, jusqu'à la ligne plus que ténue de la lumière et de l'ombre qui sépare les objets du visible et nous donne cette sensation d'ivresse des hauteurs.
"Du cercle de mes songes,
je contemple ce filigrane secret.
Je le vois,
sans bouger plus que toi
Il s'élève du paysage de nos mains.
Il apparaît sur le chemin sinueux des lignes.
Il sait comment surgir
dans la plénitude exaltée
de l'ignorance de nos fins."
Cette contemplation transforme inexorablement les paysages extérieurs en visions intérieures comme chez Noiret (
Joseph Noiret pas moi).
"Ta présence contient tout le possible de ma vie."
Cependant, vertige encore, Lecomte use de phrases gigognes, d'un enchevêtrement d'incises et de subordonnées, d'évocations en poupées russes où les paysages et la vie du dehors deviennent le jouet d'un monde intérieur qui se démultiplie comme ces parties du corps qui prennent vie comme de nouveaux corps.
"Il s'agit d'un très vaste espace et ce que l'on voit maintenant est une femme étendue au milieu du monde.
C'est la tête, le corps et ce sont les bras et les mains.
Les jambes et les pieds sont cachés sous une hauteur à droite.
Au-dessus quelque ville repose, étagée.
Mais ce paysage ne se montre pas à tous.
Il convient de le lire avec lenteur."
En outre, chez Lecomte tout s'accomplit dans la lenteur, la monotonie, pourrait-on dire (tout le contraire des tableaux visionnaires de Magritte). C'est un long regard, une évocation circulaire digne d'un exercice zen où il n'y aurait pas de création mais une révélation.
"Une fois, nous eûmes vingt ans ; grands arbres de la forêt triomphale, vos miroirs équivoques rayonnent à l'aurore, reflets suspendus des matinées choisies. Nous avons retrouvé la grâce."
Et au bout du texte, on assiste à une véritable révélation, une incarnation (dans son sens propre et charnel) de la pensée: il s'agit bien de se penser, se rêver.
"I1 faut s'échapper. Il faut atteindre l'autre rive mais il convient de se donner le temps de l'atteindre. Car c'est là un moyen de communiquer avec nous-même. Oui, il nous
faut produire en nous la force et l'intimité de notre constante genèse.
Mais il se peut que nous abritions aussi en nous quelqu'un qui nous lit, nous surveille, qui oriente notre voyage. Mais nous ne le savons pas toujours
jusqu'à cet instant toutefois, où rassemblant toutes nos parts, il nous fait entrer dans la liberté de l'accueil final de l'inconnu."
Il y a qqch, un paysage ou plutôt une pensée ou encore une extase à rejoindre dans la poésie de
Marcel Lecomte, au lointain mais là depuis toujours devant nos yeux. Et le chemin (le lent chemin) fait toute la poésie.