DICE MEN de
Ian Livingstone et Steve Jackson, est une autobiographie et une "success story", celle de l'entreprise
Games Workshop. Ne pas confondre avec le roman "l'homme-dé" de
Luke Rhinehart ! Petit instant de trouble en feuilletant : malgré le sous-titre en première de couverture, je m'étais persuadé qu'une grande partie du volume serait consacrée aux origines des livres-jeu "Défis Fantastiques". Car c'est surtout pour ça que Ian et Steve sont connus en France. En lisant, j'apprends que ça n'est en fait qu'une partie de leur carrière ! C'est un peu la même chose avec JH Brennan, qui a signé son autobiographie de... thérapeute par la lumière et les cristaux, où il ne dit sans doute pas un mot de son activité d'auteur de livres-jeu ! le souvenir qu'on aimerait laisser et celui qu'on laisse vraiment ne sont pas toujours les mêmes...
Voltaire croyait passer à la postérité pour ses tragédies, on n'a retenu que "Candide" et "Zadig".
La lecture de "Dice Men, les origines de
Games Workshop" est ponctuée de nombreuses photos et documents d'époque, en noir et blanc ou aux couleurs délicieusement passées. On voit des gens souriants, des voitures d'époque, des poses cool et des tenues décontractées. On se surprend à se dire "Ah, les années 70-80... C'était mieux avant !" Bien sûr on idéalise, le passé est toujours plus vert dans l'album de photo de nos parents.
La plume est tenue par
Ian Livingstone avec ici et là, des encarts de témoignage d'autres noms connus : d'anciens employés, devenus parfois créateurs, auteurs ou illustrateurs à succès à leur tour. On suit la trajectoire d'un succès commercial, depuis l'amitié de deux lycéens passionnés de jeu, jusqu'au succès de la société qu'ils avaient fondé sans trop savoir ce qu'ils faisaient, dixit Ian. Celui-ci a surtout une formation en marketing et ses premières expériences professionnelles étaient dans la pub et le commerce. Ça se sent un peu à son obsession des marques (de jeux, de voitures, de modèles d'ordinateurs, même des marques de colle ou de pâte à modeler), qu'il cite à longueur de pages avec une telle insistance qu'on a parfois l'impression de lire des pages tombées de
Brett Easton Ellis. Les noms de rue des appartements, magasins et entrepôts sont eux aussi assénés, avec une exactitude factuelle presque épuisante par moments, là où on aurait voulu du recul, de l'analyse, du commentaire des faits.
Le chapitre sur les "Défis Fantastiques" a, forcément, des airs de déjà vu avec l'article de
Benjamin Berget dans le fanzine "Rétro Lazer" n°1 (Omake Books, avril 2018) et avec le livre '"En quête des livres dont vous êtes le héros" de
Raphaël Lucas (2023). Bon, on songe aux interviews lisibles sur le net de divers co-auteurs de la série "Défis Fantastiques", mi-figue mi-raison : les contrats léonins imposés par le duo, les faibles droits accordés, les noms chassés de la couverture (Ian évoque le fait sans l'expliquer, p.252)... Pas un mot de tout ça dans "Dice Men" ! Ceci dit, on croit comprendre que la perte de la licence "Donjons & Dragons" pour leur boutique avait été un tel choc que par la suite, Ian et Steve prenaient soin de ne vivre que de titres sur lesquels ils avaient les droits, sans se placer sous la dépendance de quiconque. Ceci explique cela, je suppose.
L'objet-livre est beau, d'un grand format, avec une très belle couverture de
Iain McCaig. Quelques regrets, pourtant. La petite taille de la police choisie ; les lignes de texte semblent nager dans une page immense, et on doit lire de près. La tabulation énorme devant chaque note de bas de page : pourquoi ? le manque de certaines précisions devant des noms de marques (tout le monde n'est pas forcé de savoir qu'un ZX est un ordinateur, ou la Fimo une pâte à sculpter ; à la traduction, le mot générique pouvait être ajouté devant le nom commercial). Deux petites erreurs dans la biblio en début de livre, deux titres sont indiqués à tort comme "non traduits" en français (l'un paru chez Gallimard dans les années 80, l'autre à peu près en même temps que "Dice Men"). Voilà.
Après avoir lu trois versions des débuts des "Défis Fantastiques", j'avoue que j'aspire à présent à découvrir les débuts d'autres séries, l'histoire d'autres auteurs de livres-jeu emblématiques des années 80-90, qui n'ont pas l'art du story telling de Ian Livingstione. Au-delà des articles et interviews qu'on peut lire (entre autres) dans le fanzine "Le Marteau et l'enclume", quid de biographies un peu fouillées de
Joe Dever, de JH Brennan (comme auteur, pas comme guide spirituel...), du français
Gildas Sagot, de tant d'autres ?...