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172 pages
Editions de la francité (01/01/1970)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Kouretcha est un fleuve, un dieu pour les indigènes d'un petit village africain. Les autorités, aidées de techniciens blancs, décident d'y construire un barrage. Le roman raconte les conflits qui opposent les forces anciennes aux forces nouvelles. Mais ce qui lui donne toute sa valeur, c'est que l'Afrique entière s'y retrouve sans artifices, sans embellissement et sans critique. La vie d'un village, les réactions des habitants, leurs raisonnements, leurs propos colo... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Dans un de nos vastes villages d'Afrique occidentale, à quelques mètres de la berge d'un fleuve impétueux, par le petit matin du quatorzième jour de juillet, un homme sortait de sa case et longeait la grand-rue déserte au milieu des logis encore tout couverts de brume. Son apparence semblait devoir produire l'effet contraire à tout ce dont on peut s'attendre de la part d'un robuste sexagénaire. Sa mine pourtant n'avait rien d'extraordinaire à part de grands yeux vifs et rusés qui s'harmonisaient bien avec des oreilles en pointe et sa bouche rentrée, mais ses vêtements se jouaient de lui. Si c'était une défroque militaire, on ne pouvait en être de toute façon certain qu'après un examen sérieux de ces espèces de loques grotesques, toutes fraîches sorties de quelque malle humide. La doublure de la veste droite et ample retombait par derrière jusqu'à mi-jambe ; l'état des poignets maintes fois reprisés donnait l'idée d'un tricot arrêté par la plus sinistre des Parques, la filasse déodorée des épaulettes emmêlées au velours autrefois marron permettait la même comparaison ; quant au col, raide soutien du menton bien rasé, il portait la trace indélébile de plis noirâtres, et le pantalon était tout fripé, tout usé. La couleur initiale de cet ensemble curieux avait dû être le blanc comme toutes les grandes tenues des années coloniales, car tout compte fait, c'était bel et bien la tenue de parade d'une époque que cet homme avait endossée.
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Tougon fait partie de ces hommes qui semblent inquiets et mélancoliques dès qu'ils sont à la recherche d'une ligne de conduite. Cette catégorie d'individus est celle qui a discipliné par elle-même et sur le tard sa pensée. Tombé dans Paris à la fameuse époque où Saint-Germain-des-Prés exportait son utopie d'existentialisme à travers le monde occidental et en donnait le ton à la jeunesse, l'étudiant d'alors prit le chemin de l'isolement. Il était parrmi ces rares personnes qui firent bande à part et considérèrent le Quartier Latin comme un gouffre de perdition. Dans la solitude, le jeune homme put se créer ainsi son monde intérieur ; son couloir de méditation s'ouvrit au large de la réflexion. Il venait d'un milieu où les instincts se développent avec liberté, imprègnent tous les sentiments d'émotions violentes. Sorti d'une société exubérante, expansive, il avait eu beaucoup de mal à discipliner sa pensée et ses jugements. Il en était devenu amer ou du moins il donnait l'impression de l'être. Par la suite, les études l'avait rendu insociable, ses amis le trouvèrent hargneux. Il voyait le monde corrompu, l'homme à refaire ; c'est à cette époque qu'il dirigeait la maison des étudiants africains ; il dirigeait sans souplesse. Intolérant comme un idéologue, inflexible comme saint Dominique devant les hérétiques, il s'était vu peu à peu abandonner de tous ses amis ; lui l'ami de tous, il était devenu l'ennemi de tous.
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Deux Européens viennent de surgir sur le seuil. Ils sont grands tous les deux. Le plus haut est tout muscle, l'œil bleu de lin, la chevelure noire et abondante, l'autre possède un ventre rebondi, et son front lisse, dégarni à la naissance des cheveux frisés, n'en éloigne pas pour autant de l'œil large, gris-vert, un sourcil très rapproché ; il porte un collier de barbe soignée, sa lèvre est assez lippue. Tandis que Dam'no cherche à se souvenir s'il n'a pas déjà rencontré cet individu quelque part, celui-ci demande à être introduit avec son compagnon chez le préfet. Le commis auquel il s'est adressé a le nez dans le journal local ; son visage maigre, aux yeux larmoyants, précocement vieilli, se lève puis s'abaisse tout aussitôt sur le quotidien comme si de rien n'était. L'Européen revient à la charge mais ce n'est qu'après avoir pris le temps d'achever trois lignes de lecture que le commis relève la tête. Il a l'air blasé. Néanmoins, il braque un regard interrogateur sur le visiteur pour laisser voir qu'il n'a jusqu'à présent rien entendu, puis comme s'il venait de saisir soudain l'écho de la question posée, il se retourne avec lenteur vers un de ses collègues qui tape à la machine lettre par lettre.
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Ainsi, quand vint le crépuscule, Dam'no se trouvait n'avoir parcouru que la moitié du chemin. La nuit descendit, une de ces nuits de la jungle où quelqu'un peut vous mettre le doigt dans l'œil sans que vous l'ayez vu s'approcher. L'obscurité peuplée d'animaux nyctalopes qu'on devinait sans même en distinguer la lueur des yeux, soulignait de son poids magnétique le fracas du fleuve tout proche, Kouretcha, dont les chutes grondantes semblaient avoir absorbé tous les frémissements des tropiques nocturnes. Ces bruits d'outre-tombe enflés par le silence pesant des vivants, cette force qu'on sentait dans les remous du fleuve effaçaient la fièvre de la journée en ville et plongeaient Pierre dans une épouvante quasi-enfantine.
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Il en allait toujours ainsi. Dans ces nuits, chez celui qu'épouvante la croisade des esprits, le moindre glissement sous la branche complice déclenche la terreur. Naguère, c'était l'heure des sacrifices humains ; on la disait depuis, cette heure remplacée par celle des mercenaires. Mais pourtant, dès l'instant que le vieil homme mettait le pied dans la forêt, la puissance immuable de la terre primitive l'ensorcelait et lui faisait perdre jusqu'à la notion des choses nouvelles, même s'il venait de quitter comme il y a quelques heures à peine notre cité aux buildings serrés. Il ne pensait plus alors qu'aux monstres hideux et aux frôlements des hommes-panthères qui glissent entre les lianes.
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